Climat : le futur du lac Léman se décide aujourd'hui

Comment limiter les effets du changement climatique sur le Léman, le plus grand lac d'Europe occidentale ? La réponse aura une influence des sommets alpins jusqu'au delta du Rhône. Pour être formulée, elle nécessite une coordination accrue des acteurs impliqués dans la gestion des eaux du Léman et du Rhône. Les participants des 1ères Rencontres du Léman auxquelles Acteurs de l'économie est associé en débattront le 2 octobre à Genève.

L'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse (RMC) a tiré la sonnette d'alarme fin 2014 : certaines activités tributaires du débit du Rhône, et non des moindres, seront menacées d'ici à 2060. « Avec la combinaison de la diminution des débits et de l'augmentation de la température de l'air, le niveau de production actuel des centrales nucléaires ne serait plus garanti. Ce scénario montre la nécessité de s'adapter dès à présent », mentionne le rapport intitulé Étude de la gestion quantitative du fleuve Rhône à l'étiage : constats et recommandations et publié par l'Agence de l'eau RMC en novembre dernier.

Un million d'habitants supplémentaires

 Pour établir cette projection, l'organisme se base sur des prévisions de hausse des prélèvements, en raison de l'afflux attendu d'un million d'habitants supplémentaires dans le sud-est de la France d'ici à 2060, ainsi que sur « un scénario de changement climatique raisonnablement pessimiste ».

Pour connaître les raisons qui amèneraient le débit du Rhône à diminuer, c'est en bonne partie du côté du lac Léman qu'il faut regarder. Au mois d'août, lorsque le débit du Rhône est le plus faible, le lac lui apporte pas moins de 40 % de ses eaux (constaté à la hauteur de Beaucaire, NDLR), indique l'Agence de l'eau dans la même étude.

Plusieurs paliers de décisions

Or, le lac Léman a cette particularité d'être partagé entre deux pays, ce qui multiplie les paliers de décision. Aux gouvernements nationaux s'ajoutent les cantons suisses de Genève, de Vaud et du Valais, ainsi que le département de la Haute-Savoie côté français. Ajoutez à cela les communes et une multitude d'acteurs privés, dont certains pèsent lourd.

Côté français, la Compagnie nationale du Rhône (CNR) est chargée par l'État d'aménager le Rhône et de l'exploiter, via notamment les 19 centrales hydro-électriques sur le fleuve. EDF utilise aussi l'eau du Rhône pour refroidir quatre centrales nucléaires (Bugey, Saint-Alban, Cruas, Tricastin). Également dépendante de son fleuve, la métropole de Lyon est, avec Nîmes, une des deux plus grandes consommatrices d'eau potable prélevée dans le Rhône. Enfin, pour leurs besoins en irrigation, les activités agricoles représentent près de la moitié des prélèvements effectués sur le fleuve.

Des pénuries d'eau dans quatre décennies

Tous ces utilisateurs pourraient se retrouver confrontés à des pénuries d'eau récurrentes dans quatre décennies, c'est-à-dire demain, à l'échelle des politiques publiques d'aménagement. « Les situations extrêmes demeurent rares, mais elles ne le seront plus. Il faudra être prêt pour les années 2040 et 2050, quand les changements climatiques seront beaucoup plus visibles. Or, les politiques nécessaires sont des politiques de longue durée. Il faudra s'adapter relativement vite », préconise Jean-François Donzier, secrétaire général de l'Office international de l'eau (OIEAU).

« Il y aura toujours de l'eau dans le lac Léman à la fin de ce siècle. Mais lorsque la moitié des glaciers aura disparu, entre 2050 et 2100, la donne aura changé. Nous observerons des changements saisonniers dans les débits du Rhône et un volume diminué tout au long de l'année. » assure Martin Beniston, directeur de l'Institut des sciences de l'environnement à l'Université de Genève, et ancien vice-président du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec)

De 50 à 90 % des glaciers disparus

« Si, par miracle, un accord important est conclu à la Conférence de Paris sur les changements climatiques (COP21), la casse sera limitée », espère Martin Beniston,
. La limitation à un réchauffement de deux degrés par rapport aux valeurs préindustrielles permettrait de conserver 50 % des glaciers alpins à l'horizon 2100. « Mais si nous laissons s'accroître le réchauffement climatique, 90 % des glaciers auront disparu, prévient-il. Il ne restera plus que la mer de Glace et le glacier d'Aletsch (dans le canton suisse du Valais, NDLR). Mais ils seront considérablement amincis. »

Le climatologue pointe également le réchauffement des eaux du Léman, qui rendra plus difficile le refroidissement des centrales nucléaires françaises. « Le problème s'est déjà posé durant la canicule de 2003, avec un débit insuffisant et des eaux trop chaudes », rappelle-t-il. Et ce réchauffement contribuera à faire proliférer certaines algues toxiques susceptibles de compliquer les prélèvements destinés à la consommation d'eau potable, poursuit le scientifique.

Des résultats en matière de lutte contre la pollution

Il existe des espaces de coordination entre les différents acteurs, telle la Commission internationale pour la protection des eaux du Léman (Cipel). Depuis 1962, cet organisme transfrontalier qui réunit des élus et des experts des deux pays a obtenu des résultats en matière de lutte contre la pollution. « À la fin des années 1970, on disait du Léman qu'il était presque mort », témoigne Claude Haegi, président de la Fondation européenne pour le développement durable des Régions (Fedre) et ancien maire de la ville de Genève. Depuis 40 ans, les eaux du Léman bénéficient des actions préconisées par la Cipel, comme la construction de stations d'épuration, l'application de nouvelles pratiques agricoles, la lutte contre l'érosion des sols. Même si la teneur en phosphore et en micropolluants demeure encore trop élevée : leur limitation est une des priorités du plan d'action 2011-2020 de la Commission.

Carte Léman

Aucun espace de coordination en aval du Léman

Si la Cipel se préoccupe de la qualité des eaux du lac, aucun espace de coordination n'existe actuellement pour prévenir les tensions qui pourraient naître de trop faibles débits en aval du Léman, c'est-à-dire dans le Rhône. Il n'existe qu'un accord, interne à la Suisse, qui vise à respecter un certain niveau du Léman. La Suisse peut donc faire varier le débit du Rhône selon ses propres normes.

Ainsi, en 2011, à la suite de faibles précipitations neigeuses et de faibles pluies printanières, les autorités suisses ont décidé de réduire de moitié le débit de sortie du lac pendant quelques jours afin de remonter son niveau. « Cette décision a provoqué une inquiétude quant au fonctionnement de la centrale nucléaire de Bugey dans le respect des seuils règlementaires de débits et de température », précise l'étude publique de l'Agence de l'eau RMC. « Nous observons une récurrence des situations de tension », pointe Christian Bréthaut, directeur de la composante recherche et éducation du Pôle Eau Genève, et qui vient de travailler sur le projet de recherche GouvRhône portant sur la gouvernance transfrontalière du Rhône, du Léman à Lyon.

Cette étude est née du constat que les effets des changements climatiques pourraient causer des tensions supplémentaires entre les multiples acteurs. « Le gros problème structurel réside dans l'opacité du système de gouvernance, du fait de la multitude d'acteurs, affirme Christian Bréthaut. Ainsi, il existe de nombreux accords bilatéraux de droit privé entre les hydroélectriciens. Nous avons cherché à comprendre comment ils fonctionnent. »

Un accord devra être trouvé entre la France et la Suisse

Principaux producteurs d'hydroélectricité en aval du Léman, la CNR, en France, et l'entreprise Services industriels de Genève (SIG), en Suisse, ont ainsi développé des ententes depuis une tension survenue en 2012. À l'époque, les SIG avaient vidangé le barrage de Verbois, quelques kilomètres en aval du Léman, libérant d'énormes quantités de sédiments dans le Rhône. La CNR avait menacé les SIG de poursuites pour payer le dragage des sédiments, avant d'engager des discussions communes destinées à mettre en place des protocoles communs. « Ce mode de relation permet une certaine flexibilité que ne permettrait pas une convention entre États », constate Christian Bréthaut. Pour la CNR, l'enjeu est d'autant plus important que l'entreprise française dispose de faibles capacités de rétention d'eau. « La coordination du transit de l'eau avec les SIG est donc extrêmement importante pour la CNR, mais les SIG sont en position de force », détaille-t-il.

Cet exemple de coordination ne concerne que deux acteurs parmi l'ensemble des acteurs intéressés par l'aspect quantitatif des eaux du Léman. « Il faudra certainement aménager la coordination actuelle, basée sur le principe de lutte contre la pollution, affirme Jean-François Donzier. Un accord devra être trouvé entre la France et la Suisse à ce sujet. ». Selon l'étude GouvRhône, la future coordination entre acteurs ne pourra revêtir que trois formes.

« Soit une gestion intégrée de l'eau, incarnée par une institution forte ; soit un modèle monofonctionnel incluant davantage de contrôle des mécanismes régissant les relations entre opérateurs ; soit un modèle polycentrique au sein duquel différentes autorités devraient développer leur coordination, énumère Christian Bréthaut. À présent, la décision appartient aux autorités politiques. »

Des nouveaux paramètres d'incertitude

L'enjeu de la nouvelle gouvernance ne doit pas faire oublier le nécessaire changement de paradigme qu'engendrent les changements climatiques, souligne Jean-François Donzier. « Par le passé, les ingénieurs partaient du postulat que le climat rencontrait des aléas, mais qu'il était stable dans la durée, rappelle-t-il. À partir des mesures du passé, on pouvait prédire le futur, ce qui permettait de dimensionner facilement les ouvrages et d'encadrer les autorisations de prélèvement. »

Mais avec les changements climatiques, les ingénieurs font face à l'inconnu. « Les incertitudes grandissent », ajoute le secrétaire général de l'OIEAU. Les futurs plans de gestion devront tenir compte de ces nouveaux paramètres d'incertitude. « Tous les acteurs devront en être conscients », assène-t-il. Un des rôles du futur espace de coordination consistera à sensibiliser les acteurs, avant de pouvoir les mobiliser dans les actions nécessaires à l'adaptation aux changements climatiques. Et ce travail de sensibilisation ne devra pas oublier les acteurs locaux, prévient Jean-François Donzier. Ainsi, « les mesures de rétention des eaux sont toutes des mesures locales. » Et de citer pour exemples les pratiques d'irrigation, la détection des fuites sur les réseaux, la remise en valeur des alpages, etc. Or, 90 % des solutions techniques sont dès aujourd'hui largement disponibles, poursuit-il. « L'essentiel, prévient-il, est de changer les habitudes, de revoir la conception de certains aménagements pour pouvoir tenir compte de l'incertitude liée aux changements climatiques. »


Le lac Léman en chiffres

  • Le lac s'étend sur un peu plus de 580 km2.
  • En moyenne, chaque seconde, 92 m3 d'eau sont prélevés du bassin versant du Rhône pour satisfaire les activités humaines, soit trois milliards de m3 par an. Cela représente 5 % du débit du Rhône à la hauteur de la ville de Beaucaire.
  • 42 % de ces prélèvements sont destinés à l'irrigation, 23 % à l'hydroélectricité, 18 % à l'approvisionnement en eau potable, 14 % aux industries et 3 % à la navigation. (source : Agence de l'eau RMC).



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