A Lyon, sur les traces des traders de baskets

De Lyon au Qatar, ils revendent des baskets rares aux plus offrants, à des prix parfois exorbitants. Un business apparu à la faveur du boom des sneakers, un marché estimé à 1,5 milliard d'euros en France début 2017. Ceux qu'on appelle les resellers ont révolutionné la façon de consommer les chaussures de sport. Reportage aux côtés de ces spéculateurs d'un nouveau genre.
Une paire de baskets peut être vendue 2 600 dollars, soit huit fois son prix d'origine. Un exemple à suivre pour ces spéculateurs en herbe.

"Quand il ne reste que des petites tailles en magasin, je les prends quand même parce que ça se revend bien en Asie", s'amuse Charles. Derrière des lunettes en écailles, ce Lyonnais de 18 ans, prêt à attendre des heures devant un magasin pour la sortie d'un modèle rare, raconte sa passion pour les sneakers, ces baskets devenues des incontournables de la mode. S'il reste discret sur la valeur de sa collection, il partage volontiers ses expériences de petit revendeur.

Face au boom du marché, une communauté de resellers s'est formée en parallèle, avec un vocabulaire propre et ses réseaux en ligne. Il y a les plus expérimentés avec un carnet d'adresse international et des pré-commandes assurées avant la sortie d'une édition limitée, et les amateurs, plus jeunes, qui essayent de revendre coûte-que-coûte leurs chaussures à des prix dépassant largement celui d'origine. Mais tout le monde ne peut s'improviser revendeur et nombreux sont ceux qui ne font que de faibles plus-values. Un petit business pas toujours lucratif lorsque l'on sait les nuits passées à "camper" devant les magasins ou la sueur versée lors d'une chasse au trésor organisée par tel ou tel concept store. Charles, lui, s'étonne encore d'avoir vendu des paires au Qatar ou en Chine.

Bourse des sneakers

A ses côtés, son complice Hadrien plonge sur son téléphone. Casquette enfoncée sur la tête, cet étudiant consulte le site StockX, ses courbes, l'indication des prix moyens ou encore la volatilité du marché sur chaque paire. C'est la bourse des sneakers. D'autres préfèrent consulter le site Flightclub, un concept store new-yorkais devenu une référence. Les chaussures les plus convoitées sont celles provenant de deadstocks, c'est-à-dire les paires neuves jamais portées, ou encore les modèles vintage, conservées sous-vide par certains puristes. « C'est comme une voiture, il y a une cote !", s'exclame Hadrien.

Au hasard des recherches, on découvre une paire, au nom mystique de "Jordan 1 Retro High OG Spike Lee Fort Green", vendue jusqu'à 2600 dollars, soit huit fois son prix d'origine. Un exemple à suivre pour ces spéculateurs en herbe. Mais c'est surtout sur les réseaux sociaux qu'on trouve les meilleures informations et de nouveaux clients, comme sur La ligue de la sneaker, Troc sneakers ou The drop date. Quand les revendeurs ne passent pas  directement par les sites de vente en ligne Ebay ou Goat.

Rapidement, Charles et Hadrien dévoilent des connaissances inattendues sur l'histoire des sneakers, prompts à citer mécaniquement l'année de création de n'importe quel modèle, les films ou les artistes qui en ont influencé le style. "On est aussi complètement pris dans le marketing des marques", reconnaît Hadrien. Lui porte à ses pieds une réédition de la Cortez, la basket du film culte Forrest Gump (1994). Leurs classiques restent néanmoins les Yeezy du rappeur américain Kanye West, les Airmax ou les Air Jordan, en référence au célèbre basketteur. "La première Jordan est sortie en 1985, c'est mythique", s'enthousiasment-ils.

L'emprise du marketing

A Lyon, leurs magasins favoris s'appellent So Sport, Street Connexion et Shoez Gallery. Ce dernier est un des rares à avoir l'exclusivité pour vendre les baskets Yeezi, dont les sorties, soumises à des embargos stricts de la marque Adidas, provoquent l'hystérie générale dans la nouvelle génération. "Sur les Yeezi, il y a un gros phénomène de revente. Les plupart des jeunes ne les achètent pas pour les porter. ll y a un vrai changement dans la façon de consommer", explique Florent Altounian, gérant du Shoez Gallery près de la place des Terreaux, une paire de Nike aux pieds designée par le plasticien Tom Sachs.

Depuis trois ans, ce commerçant confirme l'explosion des ventes de sneakers. Fin juin 2017, le marché de la chaussure de sport représentait 3,02 milliard d'euros en France pour 67,9 millions de paires vendues. La moitié de ces ventes correspond aux baskets de loisirs, les fameuses sneakers, selon le cabinet d'expertise NPD Group. Bien que récente, la croissance des ventes de baskets pour femmes accentue le phénomène. Pour preuve, Florent Altounian a dû ouvrir une nouvelle boutique dédiée aux chaussures féminines, en 2016. "Elles deviennent aussi sélectives que les hommes. Par exemple, il leur faut LA basket Puma du moment, celle de Rihanna il y a quelques mois et celle de la chanteuse Selena Gomez actuellement". L'emprise du marketing dépite ce connaisseur, pourtant ravi de voir le panier moyen s'envoler de 90 à 150 euros en moyenne dans sa boutique.

Dealer de baskets

Accoudé au bureau, Bruno Robert, le fondateur de Shoez Gallery, n'en revient pas de cette course effrénée. Au point de prendre des mesures de sécurité drastiques. "C'était dangereux de laisser les jeunes, avec beaucoup d'argent dans les poches, faire la queue toute une nuit devant le magasin. Même avec un agent de sécurité. Il y avait des tensions. Certains étaient même payés pour faire la queue. Donc notre solution est d'organiser des concours sur internet lors d'une grosse sortie", explique-t-il. "On ne parle plus de baskets, on parle d'argent maintenant", regrette-t-il. "L'achat au coup de cœur, c'est fini. Les jeunes demandent d'abord si la basket se revend bien, si elle est cotée avant d'acheter", surenchérit Florent Altounian. "C'est le nouveau jeu, les ados jouent à la bourse avec les baskets. Mais dans une cour de récré, il n'y en a qu'un qui y arrive vraiment, comme il n'y a qu'un dealer. Et encore...", ironise Bruno Robert. Cette pratique de reventes reste marginale à Lyon, selon ces professionnels. Faute de réseau, des adolescents, penauds, ramènent parfois au magasin ces petits bijoux lorsqu'ils n'ont pas trouvé de bons clients prêts à débourser plus qu'il ne faut.

De quoi agacer Jean-Charles. Depuis douze ans, ce Lyonnais revend des paires soigneusement sélectionnées, en parallèle de son métier de commercial. Et l'évolution de ce microcosme, ses folies, ne le réjouissent pas. "Maintenant, ce sont surtout des adolescents qui arrivent et qui ont compris le filon, mais leurs reventes ne se passent pas toujours bien, explique-t-il. Il y a seulement une dizaine de resellers à Lyon qui en vit vraiment. Les autres sont à Paris".  Face à cette nouvelle concurrence, lui espère se reconvertir et faire de sa passion une activité professionnelle à l'avenir. Ce dimanche, Jean-Charles ira tout de même lorgner les étales des revendeurs de baskets à l'événement La ligue shop ses sneakers. Juste pour se rincer l'œil, car les précieuses chaussures seront vendues à prix d'or.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.