Incubateur université Lyon 3 : aux sources de l'entrepreneuriat

Encore étudiants à l'université Jean-Moulin Lyon 3, ils sont plusieurs, chaque année, à choisir l'aventure entrepreneuriale, motivés par l'envie d'être utiles et maîtres de leur destin. Et pour leur donner les moyens de les accompagner dans ce grand bain, l'établissement met à disposition un incubateur d'entreprises afin de les guider dans les meilleures conditions. A l’occasion du Salon des entrepreneurs, qui débute ce mardi à Lyon, Acteurs de l'économie - La Tribune vous propose une immersion dans cette structure un peu particulière dans l'écosystème entrepreneurial lyonnais puisque son modèle repose sur la gratuité et la confiance entre les individus.
L'université Lyon 3 est l'une des seules en France à héberger, financer et accompagner un incubateur d'entreprises.
L'université Lyon 3 est l'une des seules en France à héberger, financer et accompagner un incubateur d'entreprises. (Crédits : Laurent Cerino/ADE)

Ils s'appellent Lucas, Matthias, Lorraine, Marion, Bérengère, Julie, Laure, Mathilde ou encore Baudouin. Ils partagent ce point commun d'être de jeunes entrepreneurs. Pour certains, réalisant déjà un chiffre d'affaires et se versant même un salaire ; pour les autres, au début de l'aventure de la création d'une entreprise, affinant encore leur modèle. De nouveaux chefs d'entreprise pour qui l'acte même d'entreprendre est synonyme de liberté, de passion et d'envie.

Tous sont logés à la même enseigne, celle de l'incubateur de l'université Jean-Moulin Lyon 3 qui accompagne les jeunes pousses suivant deux programmes : "Start", que décrit le directeur Pierre Poizat par la question "Faut-il y aller ou pas ?". Comprendre : "Le modèle de l'entreprise est-il viable et pérenne ?" Et "Up", "pour ceux qui possèdent déjà des clients mais ont besoin d'être boostés". Une structure "originale" et "différente" des autres programmes d'incubation du territoire et qui en fait sa singularité. D'abord parce que cet incubateur est "l'un des seuls en France à être financé et hébergé par une université", souligne fièrement Pierre Poizat, offrant aux incubés un accompagnement gratuit. Un argument qui convainc la majorité des bénéficiaires qui, encore étudiants, peuvent concilier leurs deux activités, déboursant seulement les frais universitaires.

"Créer des emplois"

Une raison qui a, "en partie", motivé Laure Cavallini et Mathilde du Gardin, 22 et 23 ans, issues de la dernière promotion. En master 2e année d'ingénierie financière, elles développent, avec le programme Start et en parallèle de leurs études, Extra Vacant, une startup permettant à un restaurateur de trouver un extra en quelques minutes. "C'est très important pour nous de pouvoir créer notre entreprise en étant accompagnées de manière gratuite. Étudiantes, nous n'aurions pas eu les moyens de pouvoir le faire ailleurs", souligne Mathilde du Gardin, à l'origine du projet et dirigeante associée. Autre particularité de l'incubateur : l'idée retenue, le projet sélectionné. "Nous avons la volonté de privilégier des dossiers qui ne sont pas dans l'air du temps", précise Pierre Poizat.

Pierre Pozat

Pierre Poizat, directeur de l'incubateur.

Ces derniers peuvent donc aussi bien être rangés dans les catégories numérique, agroalimentaire, artistique ou service. "De plus, nous choisissons des projets qui créeront des emplois dans le futur." L'une des conditions sine qua non que le futur incubé doit inscrire à son dossier. Ce sera bientôt le cas pour Baudouin Niogret. Ingénieur en agroalimentaire, sorti de l'Isara, il a créé avec un associé, en mai 2015, l'entreprise Cultures Chefs qui met en relation, sans intermédiaire, les restaurateurs et les producteurs locaux. Un concept qui séduit puisqu'au-delà de Lyon et Saint-Étienne, il sera bientôt développé à Grenoble et Valence. Pour cela, le dirigeant prévoit de recruter trois personnes d'ici à quelques mois avec, en vue, une levée de fonds prévue au printemps 2017. "Pour y parvenir, nous avons besoin de disposer de mentors au plus proche de nous afin d'apporter de la valeur au projet ", explique le jeune homme, dont la startup a intégré le programme Up.

Marion Derouvroy et Bérengère Wolff, fondatrices de Trafalgar, "première" maison de portraits écrits, ont déjà réussi ce pari, outre d'avoir créé leur propre emploi - "ma première fiche de paie fut celle de Trafalgar", se souvient d'ailleurs la première -, surtout d'en fédérer une multitude autour d'elles, photographes et nouvelles plumes, et ce, à chaque commande.

"Hybride"

Iconoclaste, l'incubateur de l'université "n'a pas de programme défini ; celui-ci est à la carte", "ni de modèle économique établi". Une caractéristique propre, fruit du soutien de l'université Jean-Moulin Lyon 3 (140 000 euros de budget annuel "réel") et de moyens alloués par des partenaires privés (Caisse d'Épargne Rhône-Alpes et Alptis, entre autres) qui lui permettent d'accompagner les projets "sans rechercher la rentabilité". Avec son lot de réussites et d'échecs. "Nous prenons le risque, car il est important d'aider des projets qui ne sont pas 'bankables' et ne trouvent pas d'écho ailleurs", indique Pierre Poizat.

Lire aussi : Le "25", un nouvel incubateur à Lyon lancé par Lyon III et Alptis

Un modèle "hybride" qui plaît puisque les effectifs des promotions augmentent chaque année un peu plus et, avec eux, le nombre de candidatures - cinq ont été retenues la première année pour le programme Start, puis neuf, 13 et 25 actuellement. Ce sont ainsi 60 dossiers reçus pour composer la dernière promotion. Au jury d'une quinzaine de professionnels, de faire son choix sur des critères "subjectifs" : "Nous nous concentrons à la fois sur la personnalité du porteur de projet, sur la faisabilité de celui-ci et déterminons, en fonction de ce projet, si nous sommes en mesure de l'accompagner", énonce le directeur. Une fois sélectionnés, les projets demandent mûre réflexion pour certains, d'être totalement revus pour d'autres et, pour quelques-uns, d'être seulement affinés.

Humain

Pour développer leur projet, les entrepreneurs disposent des ressources de l'université : audiovisuel, communication, édition, mais également de la communauté de professeurs et d'étudiants sollicités parfois pour tester des concepts. De plus, ils bénéficient d'un cercle de professionnels disponibles et "bienveillants", à l'écoute de leurs interrogations lors d'ateliers (portant sur la stratégie, l'aide au financement, le marketing, etc.) ou de rendez-vous individuels. "Nous sommes dans la discussion et l'échange", souligne le chef d'entreprise Daniel Coster qui intervient notamment sur la partie business modèle.

"Nous savons peu de choses au lancement d'un projet. Nous avons donc besoin d'eux, car ils apportent un regard extérieur, une expertise et peuvent nous dire si nous prenons une mauvaise direction", admet Laure Cavallini dont l'entreprise d'extras pour la restauration affiche une vingtaine de clients.

Laure Cavallini

Mathilde du Gardin et Laure Cavallini, fondatrices d'Extra Vacant. Crédits : LC/ADE

Leur rôle se résume ainsi à conseiller et "intervenir pour éclairer des situations", ajoute l'entrepreneur Pierre-Yves Nury. Engagés de manière bénévole, ces professionnels volontaires trouvent en cette expérience un acte de "transmission", une "satisfaction de voir des personnes motivées réussir". Et "en retour, nous apprenons énormément", reconnaît Pierre-Yves Nury. Une dimension humaine qui résonne avec l'atmosphère générale qui se dégage du lieu, installé au cœur de l'université de la Manufacture des tabacs, dans le 8e arrondissement de Lyon.

"Un aspect essentiel, affirme Julie Autonès, fondatrice de Mamieadom.com, plateforme en ligne qui s'adresse aux personnes âgées souhaitant garder des enfants, à la manière des filles au pair. Nous avons tous des cursus différents, et nos échanges, la confrontation de nos points de vue et la relation humaine m'aident indiscutablement dans mon développement."

Passée par le programme Start puis Up, son site compte désormais 600 inscrits. "La personnalité de l'incubé est primordiale et fonde l'esprit de l'incubateur", annonce Pierre Poizat. "Ici, tous les projets se construisent autour de la personnalité de chacun, remarque Matthias Bruno, fondateur de Submind, marque d'équipement pour la pratique de l'apnée. Nous sommes sélectionnés pour ce que nous sommes et ce que nous pouvons apporter aux autres, quand les incubateurs existants sont plus orientés business, ce que nous n'occultons pas néanmoins." Une particularité à laquelle tous doivent adhérer. C'est ainsi qu'une relation de confiance se crée entre incubés, professionnels et encadrants. Avec, en ligne de compte, un contrat moral liant les entrepreneurs à l'incubateur.

Confiance

Car si leur accompagnement est gratuit, les incubés se doivent de rendre, peu ou prou, la monnaie de la pièce, et ce "tôt ou tard", en "remettant au pot", dès lors qu'ils commencent à gagner suffisamment d'argent avec leur entreprise. "Si nous devions définir le modèle économique de l'incubateur, ce serait sans doute celui-ci", résume, convaincu, Pierre Poizat. Ici, rien n'est écrit, tout repose sur la confiance. Un fonctionnement particulier qui fait des adeptes. "Nous le ferons avec plaisir, annonce Baudouin Niogret. Venir en aide aux suivants, c'est un état d'esprit très nord-américain." "Ce contrat moral est inscrit dans mon business plan, et lorsque ce jour viendra, je serai fier de l'avoir fait", confie Matthias Bruno.

Une démarche qui a pour but de soutenir la structure et les générations futures d'incubés. Un aspect plus symbolique que rentable pour l'incubateur mais "un juste retour des choses" pour l'université qui soutient activement l'entrepreneuriat en son sein ; l'une des seules en France à héberger, financer et accompagner un incubateur d'entreprises.

Révolte et ambition

À ce jour, difficile de connaître le nombre d'entreprises encore en activité après leur passage par l'incubateur, "le but étant de les laisser voler de leurs propres ailes ensuite", estime Pierre Poizat qui avance le nombre d'une vingtaine. Toujours est-il que s'ils échouent, l'expérience ne peut être que constructive pour ces jeunes motivés par l'envie de faire autrement et de rester maître de leur destin. Dans cet environnement favorable, toutes les conditions sont alors réunies pour qu'ils développent leur projet. Des entrepreneurs en herbe en licence, master ou doctorat (certains ne sont plus étudiants et ont déjà une expérience professionnelle mais ont le droit aussi à l'incubation) et dont la voie universitaire classique était toute tracée mais qui, à un moment de leur vie, sont pourtant tentés par l'aventure entrepreneuriale sans trop savoir où elle les mènera.

Marion Derouvroy

Marion Derouvroy et Bérengère Wolff, fondatrices de Trafalgar. Crédits : LC/ADE

Une chose est sûre, tous possèdent cette envie d'être utiles et de faire bouger l'ordre établi. Marion Derouvroy définit cet engagement comme un "acte de révolte. Une volonté de construire sa vie". Tous avancent aussi ce désir d'autonomie qui exige débrouillardise et inventivité. L'essence même de l'université. "Ils sont amenés à prendre du recul et à se poser les bonnes questions", assure Pierre Poizat qui les suit en entretien individuel toutes les trois semaines. Entreprendre, c'est aussi "partir de sa créativité pour construire un autre modèle, ne pas avoir peur de prendre le risque", reconnaît Lorraine Alamartine, cofondatrice de SameSame, une application mobile permettant aux voyageurs de se faire comprendre facilement partout dans le monde, en utilisant des images. De "changer le monde" à l'image de Lucas Gebhardt, créateur d'Handivoyage, un "Airbnb pour personnes handicapées qui répertorie les logements accessibles". A 19 ans, l'ambition est grande pour ce jeune étudiant en 2e année de licence de gestion à l'IAE puisqu'il entend "devenir le leader européen sur ce marché d'ici à cinq ans". Preuve que le monde universitaire et l'entrepreneuriat peuvent faire bon ménage.

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