Orchestre national de Lyon : dans les coulisses d'un management singulier

"Rolls" des orchestres en France, l’Orchestre national de Lyon a acquis une notoriété internationale, fruit d’une politique musicale et d’un ensemble orchestral unique. En faire partie, c’est atteindre les sommets de l’art. Et pour que la mise en musique soit la plus juste, rigueur, maîtrise et savoir-vivre constituent ses fondements. Ils caractérisent, en outre, la singularité de la maison, à l’heure où s’écrit une nouvelle partition de son histoire.
Afin que la magie opère, la mécanique doit être bien huilée et doit s’articuler sans fausse note à l’image de la justesse d’une partition. Et cela, à chaque étage de la maison lyonnaise, qui compte 104 musiciens et une centaine d’employés. Une PME au budget annuel de 15 millions d'euros.

Il est 9h30 ce matin-là. Pas une seconde de plus. Les 104 musiciens de l'Orchestre national de Lyon assis, instrument en main, attendent le premier geste du chef d'orchestre letton Andris Poga pour débuter les répétitions d'un concerto pour clarinette de Mozart. En ordre de marche, rigoureusement attentifs, ils se lancent et appliquent avec justesse, chacun dans sa famille d'instrument, la partition. Ajustements méticuleux, les gestes et le souffle des musiciens s'affinent au gré des heures de travail afin de jouer le son parfait tel que désiré par le maestro invité pour donner un concert deux jours plus tard, à l'auditorium.

Tout est millimétré, précis, net. Le niveau d'excellence est tel qu'aucun droit à l'erreur n'est permis le soir de la représentation. Les musiciens qui composent l'orchestre sont parmi les meilleurs de France. Si bien qu'une centaine de candidats peuvent se présenter lors d'une audition pour un seul poste de violoniste. La concurrence est rude, les places, rares, et l'exigence de maîtrise, encore plus élevée qu'ailleurs. "Cela demande une discipline de fer de la part de tous", reconnaît Vincent Hugon, altiste, entré en 2000 à l'ONL. "Du travail et encore du travail, ajoute Sandrine Haffner, violoniste depuis 27 ans au sein de l'orchestre. Pour être opérationnel dès le premier jour de répétition, ce n'est pas moins de dix heures d'entraînement chez soi, même si chacun s'adapte en fonction de son instrument."

Vivre-ensemble

Cette discipline est un marqueur de la qualité de l'ensemble. Elle fait de l'Orchestre national de Lyon l'une des "Rolls" des orchestres en France avec une programmation de très haute volée, exigeante mais éclectique et ouverte à tous les publics, et des chefs d'orchestre et des solistes de renom.

"Ce n'est pas une contrainte, c'est en nous, remarque Vincent Hugon. Ceux qui n'y parviennent pas ne sont pas ici."

Une répétition "démarre à l'heure pile, sinon ce serait ingérable", souligne le musicien, par ailleurs membre de la commission orchestre, poste comparable, peu ou prou, à un délégué du personnel. La rigueur, les musiciens l'acquièrent souvent dès le plus jeune âge, durant l'apprentissage de leur instrument, puis tout au long de leur carrière.

Afin que la magie opère, la mécanique doit être bien huilée et doit s'articuler sans fausse note à l'image de la justesse d'une partition. Et cela, à chaque étage de la maison lyonnaise, qui compte 104 musiciens et une centaine d'employés (dont la moitié appartient à l'équipe administrative). Une PME au budget annuel de 15 millions d'euros dont l'organisation se révèle être particulière, très hiérarchisée, et dont le vivre-ensemble constitue la pierre angulaire.

Un tourbillon

Faire partie de l'orchestre, c'est vivre au fil des saisons, des répétitions, des chefs d'orchestre. C'est intégrer une troupe, composée de brillants musiciens ayant pour la plupart fréquenté les classes du conservatoire. Des jeunes qui portent en eux la fraîcheur et le dynamisme, mais naturellement l'inexpérience quand les plus anciens, armés de pratique et de connaissances - sur des œuvres spécifiques notamment -, peuvent transmettre, inculquer et porter le groupe.

"Il faut pouvoir entrer rapidement dans le tourbillon du rythme de l'orchestre et s'adapter aux œuvres jouées chaque semaine par un chef différent, reconnaît Sandrine Haffner. Avec de l'expérience, c'est plus simple."

Certains sont présents depuis des années, voire des décennies, et il n'est pas question pour eux de s'en aller. Car jouer pour l'ONL se mérite et leur a demandé des années d'effort et d'abnégation. "Sa réputation est telle aussi que nous n'avons pas envie de le quitter", prévient Guillaume Dionnet, tubiste ici depuis 10 ans. Il représente le Graal tant convoité. D'aucuns peuvent être amenés à en partir pour évoluer professionnellement ou pour cause de départ en retraite. Mais intégrer l'ONL, donne la garantie de jouer de grandes œuvres et de travailler avec des chefs d'orchestre prestigieux, dans des conditions privilégiées, au sein de l'auditorium de Lyon.

Orchestre national de Lyon

Le niveau d'excellence est tel qu'aucun droit à l'erreur n'est permis le soir de la représentation. Les musiciens qui composent l'orchestre sont parmi les meilleurs de France. (Crédits : Laurent Cerino / ADE)

Cette notoriété repose, en grande partie, sur le choix du directeur musical. C'est lui qui véritablement donne sa couleur à l'orchestre. C'est lui le grand patron des musiciens. Depuis six ans, ce rôle incombe à Leonard Slatkin. Avant son arrivée, il suscitait déjà une forte attente chez les musiciens, "et nous ne sommes pas déçus, avoue Guillaume Dionnet. Un bon chef apporte les connaissances que l'orchestre n'a pas. Il le guide et le porte. En l'occurrence ce qu'il réussit à faire". Le mæstro permanent connaît les forces, mais aussi, et peut-être surtout, les faiblesses de ses musiciens, sait jusqu'où il peut les emmener, comment les faire évoluer, tout en nouant avec eux une relation de proximité, d'intimité artistique même. Ce qui le conduira à "métamorphoser" l'orchestre.

Son investissement et sa fonction se révèlent déterminants dans la cohésion du groupe et de celle de la maison tout entière. "L'orchestre connaît des périodes différentes à chaque changement de direction. Son ambiance en dépend beaucoup, souligne Sandrine Haffner. À nous de savoir nous adapter." Présent 14 semaines par an à Lyon, le chef, qui dirige par ailleurs le Detroit symphony orchestra, mettra pourtant fin à sa mission en septembre. Et pour la première fois dans l'histoire de l'orchestre, il se verra attribuer le titre de directeur musical honoraire pour ce qu'il a bâti et l'empreinte qu'il laissera. La nomination de son successeur est donc attendue avec impatience en interne, et chez les mélomanes, d'autant plus que 2017 est une année de changements pour l'ONL. Une nouvelle partition est en train de s'écrire depuis l'arrivée en janvier d'Aline Sam-Giao à la tête de la structure, au poste de directrice générale.

Sentiment d'appartenance

Portant la casquette du chef d'entreprise, et ancienne directrice de l'Orchestre des Pays de Savoie, c'est à elle que revient la mission de mettre en musique la nouvelle stratégie et d'intimer sa vision à l'Orchestre national de Lyon, en accord avec la Ville de Lyon, son employeur. "Je souhaite emmener les troupes avec moi, autour d'un projet, en me nourrissant des autres", annonce la musicienne, amatrice de hautbois. Avec un profil de gestionnaire et de ressources humaines, Aline Sam-Giao connaît les enjeux et le challenge qui l'attendent, et souhaite appliquer ses décisions en garantissant la stabilité de l'ensemble, surtout dans une période de changement. "La valeur que nous avons à offrir réside dans le travail des individus. Il faut savoir garder cet enthousiasme qui imprègne la maison", souligne-t-elle.

Quelques semaines après son arrivée, elle a donc "volontairement" fait le choix de partir avec eux en tournée aux États-Unis, durant deux semaines, afin "de sentir leur préoccupation. J'ai trouvé des personnes fières et attachées à leur outil de travail, désireuses d'exister et loin d'être opposées au changement". Cette relation avec ceux qui font vivre l'orchestre, mais également avec les équipes qui l'entourent et le gèrent - "garantes aussi de sa bonne santé", signale Sandrine Haffner -, est un facteur essentiel, si ce n'est primordial, pour sa pérennité. Et pour que ce microcosme s'épanouisse dans le meilleur des mondes possibles, elle peut s'appuyer sur un homme, Mathieu Vivant.

Au centre des décisions, il est le directeur de production depuis deux ans après avoir intégré l'ONL en tant qu'agent d'accueil il y a 15 ans. C'est par lui que tout passe. Résoudre les problèmes, se dégager des contraintes budgétaires, répondre aux désirs des chefs et aux besoins des musiciens, anticiper la programmation 2017/2018...entouré d'une équipe de 16 personnes, il gère la programmation et règle la logistique au niveau de la production. "Cela nécessite de la rigueur, car chaque décision aura un impact", reconnaît-il.

En lien permanent avec toutes les équipes, Mathieu Vivant doit faire en sorte que le soir de la représentation, "tout se passe bien sans que le public ne s'aperçoive d'un éventuel problème". Une question d'exigence et de dialogue. "Il faut arriver à savoir manager l'ensemble et à faire des compromis, tout en suivant une ligne directrice." Un métier de pression et de passion.

Aline Sam-Giao directrice générale de l'Orchestre National de Lyon ONL

Une nouvelle partition est en train de s'écrire depuis l'arrivée en janvier d'Aline Sam-Giao à la tête de la structure. (Crédits : Laurent Cerino / ADE)

Travailler à l'ONL est donc avant tout une aventure d'hommes et de femmes animés par un fort sentiment d'appartenance et par cette volonté de faire grandir, ensemble, l'entreprise culturelle. Une entreprise néanmoins pas tout à fait comme les autres, même si elle en utilise les codes et que sa directrice en emprunte son vocable parlant d'innovation, de visibilité, de stratégie de développement, d'optimisation de moyens financiers et humains et de cible. C'est bien tout un monde qui gravite et respire au rythme d'un cœur battant : l'orchestre.

Rigueur

Méconnue du grand public plus habitué à l'applaudir, la vie d'un orchestre suscite pourtant la curiosité et soulève bien des questions. "Nous formons une micro-société", s'amuse Vincent Hugon. Chaque jour, ils se retrouvent tous à l'auditorium, pour répéter en vue du concert qu'ils donneront dans la semaine. Ils prennent leur pause au même moment, leurs congés aussi, et partent en tournée ensemble. Tout est pensé en groupe. Les affinités se créent principalement par famille d'instruments, et comme au sein de toute communauté, la vie en collectivité génère son lot de contraintes. "Cela se gère comme dans la vie de tous les jours", remarque néanmoins Guillaume Dionnet. Et s'il advient que de "rares" tensions naissent, elles s'effacent lorsque le chef d'orchestre donne le départ.

"C'est comme partout, évoque Sandrine Haffner. Seulement, dès que le concert commence, nous ne formons qu'un."

Chacun dans son rôle, conscient de la place qu'il occupe et de la réputation qu'il doit maintenir. Aucun faux pas ne sera toléré pour le concert final. Le professionnalisme avant tout. La rigueur en pendant. La passion pour la musique en plus. La cohésion du groupe tient aussi aux instants privilégiés qu'ils vivent ensemble. Des instants durant lesquelles l'ONL part en tournée et se produit dans des lieux prestigieux, comme récemment au Carnegie Hall, à New York. Malgré le rythme soutenu et la pression, c'est lors de ces expériences que les liens se resserrent et offrent un résultat encore plus fort. "Si c'est dur parfois, ces moments nous fédèrent plus que d'autres, car nous voulons tous faire de belles prestations", explique Guillaume Dionnet. "Vivre ces émotions en groupe est tellement enrichissant", acquiesce Vincent Hugon.

Hiérarchie

L'organisation en son sein codifiée et très encadrée, permet d'atteindre un niveau supérieur de qualité. Mais comme pour d'autres formations, celle de l'ONL reste traditionnelle. D'abord, les quatre familles d'instruments sont rangées de manière définie : au premier rang, les cordes entourent le chef d'orchestre, puis les bois, les cuivres et, pour terminer, les percussions. Parmi les 104 musiciens, certains ont davantage de responsabilités et assurent des rôles plus importants, tant sur le plan musical qu'humain. Chacune de ses familles comprend un premier soliste, dont le rôle est de jouer des parties en solo, mais également de diriger son pupitre. Il est également le représentant de son groupe vis-à-vis du chef d'orchestre. "Il fixera l'exigence musicale, un cadre de discipline, que nous suivrons ensuite. Mais individuellement, nous devons tous être prêts au préalable", explique Sandrine Haffner. Les autres musiciens sont appelés tuttistes.

Orchestre national de Lyon ONL

Méconnue du grand public plus habitué à l'applaudir, la vie d'un orchestre suscite pourtant la curiosité et soulève bien des questions. "Nous formons une micro-société", s'amuse Vincent Hugon, altiste. (Crédits : Laurent Cerino / ADE)

De plus, l'ONL compte deux supers solistes violon (jouant chacun une semaine sur deux), dont le rôle est hiérarchique. Ils représentent l'orchestre devant le chef et le public et ce sont eux qui accordent la formation. "Ils sont les patrons qui travaillent très en amont sur les musiques qui seront produites", souligne Vincent Hugon. Tels des managers dans une entreprise, ils encadrent les musiciens et veillent à la bonne tenue du groupe, ce que chacun accepte. Un aspect artistique sur lequel Aline Sam-Gio n'intervient pas. "Je n'ai pas mon mot à dire, sauf cas exceptionnel, car je suis moins légitime." Quant à la programmation, elle peut prendre la décision finale. "Le délégué artistique sélectionne, trois ans à l'avance, les chefs invités, avec le regard du directeur musical", ajoute-t-elle. Aux musiciens de donner aussi leur avis, après le passage de l'un d'eux, pour connaître leur envie ou non de jouer à nouveau avec lui. "Ils viennent pour une ou deux représentations, et c'est à ce moment que vous voyez les grands chefs", remarque Vincent Hugon. "Tout est une histoire de rencontres, précise Guillaume Dionnet. Parfois cela ne fonctionne pas. Cependant, les erreurs de casting sont rares."

Si l'Orchestre national de Lyon atteint depuis quelques années les sommets, c'est donc le résultat de la sévère discipline intimée par ceux qui le composent et d'une organisation intelligente à tous les niveaux, qui assure à cette maison sa renommée mondiale.

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