Bosch, la fureur de (sur) vivre

Entre l’avenir incertain d’une de ses usines et l’arrêt définitif d’une autre, la vie de Bosch à Vénissieux n’est pas, et de loin, un long fleuve tranquille. Pourtant, à chaque crise traversée, l’équipementier allemand parvient à rebondir et à maintenir l’outil de production, poussé à chaque soubresaut par une pression accrue des forces syndicales bien décidées à poursuivre l’aventure.

2020 et après ? Restera-t-il une production Bosch à Vénissieux ? Les syndicats ne se font guère d'illusion. Ils sont convaincus que ce site, emblématique de l'équipementier allemand, sera rayé de la carte de ses installations industrielles hexagonales, à la fin de la décennie comme l'ont été, précédemment, Beauvais (Oise), Pont-de-l'Arche (Eure) et Bonneville (Haute-Savoie).

Marc Baeumlin, arrivé en 1992 à Vénissieux et aujourd'hui directeur technique du site, se souvient qu'en 2007, année faste pour l'équipementier allemand, les effectifs du site culminaient à 1 900 personnes. Aujourd'hui, il en comptabilise 700, dont environ 400 en production. Face à la crise, deux nouveaux plans de sauvegarde de l'emploi seront mis en œuvre au cours du second semestre : d'une part, au sein de Bosch Rexroth DSI (employant 360 personnes et spécialisé dans les organes de commande pour les machines de travaux publics) ; d'autre part, au sein de Bosch diesel DS (employant 160 personnes et fabricant de pistons et cylindres pour les moteurs diesel), avec des destinées différentes.

De plus, et en ce mois de septembre, l'avenir demeure toujours incertain pour l'ancienne entité Bosch Solar, logée sur le même site et reprise par Sillia VL en juin 2014. L'inquiétude grandit parmi les quelque 130 salariés réembauchés par cette PME bretonne. Son PDG Bruno Cassin parviendra-t-il à obtenir les 10 à 12 millions d'euros nécessaires pour recapitaliser l'entreprise et investir ? Rien n'est moins sûr et le temps presse.

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"Nous avons gagné une bataille, pas la guerre"

Du coup de canif dans les 35 heures en 2005 à la reconversion inespérée d'une partie de l'activité dans le photovoltaïque en janvier 2012, Bosch diesel Vénissieux a fait les grands titres de l'actualité. En contrepartie du passage à 36 heures payées 35, 25 millions d'euros avaient été investis alors dans une nouvelle ligne de montage de la pompe diesel haute pression CP1H, arrêtée fin 2011 au profit d'une nouvelle génération, fabriquée ailleurs. La relève sera assurée par le solaire moyennant un nouvel investissement de plus de 20 millions d'euros.

Nouveau coup de tonnerre lorsque le groupe basé à Stuttgart annonce, en 2013, son retrait de cette industrie, au niveau mondial. L'histoire se répète avec la cessation de la production de pistons et cylindres pour moteurs diesel (destinés aux poids lourds) fin 2017. La poursuite de l'évolution des normes anti-pollution (Euro 6) restreint les débouchés de ces composants en Europe.

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Quant à l'unité Bosch Rexroth, elle est sauvée, tout au moins jusque fin 2020. "Nous avons gagné une bataille, pas la guerre", nuance Mohand Chorfa, secrétaire CGT du comité d'entreprise. Le conglomérat présidé par Volkmar Denner voulait au départ délocaliser l'intégralité de cette production, principalement en Turquie. Il a dû faire marche arrière.

"Nous conserverons la plus récente des lignes de production (trois lignes de série et une de rechange). Les volumes seront réduits de moitié, mais nous garderons en amont des activités d'usinage. Que l'ensemble de la chaîne de compétences soit maintenu est essentiel pour soutenir la mise sur le marché des innovations développées et testées, sur place, sur les machines de nos clients", démontre Marc Baeumlin.

Bosch

L'équipementier germanique a même accepté de rapatrier sur Vénissieux toute la production des joysticks (les manettes de commande), aujourd'hui fabriqués en Chine et pour une faible part au Japon. Et ce, "alors que le scénario initial prévoyait la vente des joysticks. S'ils se sont engagés à ne pas céder cette activité avant fin 2020, ils peuvent constituer une joint-venture. Mais avec quel partenaire ?", interroge Patrick Faure, délégué CFE-CGC.

Une grève vécue comme un affront

La nouvelle organisation Rexroth devra être effective fin 2017. Les avancées ont été obtenues au prix d'un conflit de quinze jours effectifs, déclenchés le 26 avril dernier.

"Pour l'Allemagne, cette grève était un affront. En appelant à un blocage total, les deux premiers jours, nous recherchions un impact fort. Nous savions que notre démarche aurait un important retentissement, car nous avions été reçus par le préfet de région en avril", poursuit Mohand Chorfa.

Les syndicats se félicitent d'avoir trouvé auprès de Heiko Carrié, président de Bosch France SAS, "l'interlocuteur qu'il fallait". "Il a joué un rôle majeur de modérateur pour trouver une issue constructive", appuie Marc Baeumlin.

Directeur Bosch

De son côté, Simon-Pierre Eury, chef du pôle entreprises, emploi et économie à la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) Auvergne Rhône-Alpes, reconnaît :

"Ce conflit a permis d'éviter un PSE trop lourd. Supprimer la moitié des effectifs comme prévu au départ était excessif. L'assemblage des distributeurs est essentiel pour conserver une expertise sur le site de Vénissieux, qui dispose d'une visibilité de quatre ans et demi. Ce site peut connaître un nouveau départ. Dès maintenant, il faut renforcer sa compétitivité."

Lire aussi : Bosch France : discussion autour du devenir des usines de Vénissieux

Le plan social a ainsi été limité aux seuls départs volontaires et en préretraite à compter de 55 ans (60 mois avant la retraite légale), soit environ 65 départs escomptés au total. Toutefois, l'objectif demeure d'abaisser les coûts de 19 millions d'euros, comme le confirme Heiko Carrié. "Nous pensons plutôt arriver à 15,5 ou 16 millions", souligne Patrick Faure. La réduction des charges salariales, l'abandon des produits vendus à perte, la révision des prix ou encore la politique d'achat doivent contribuer à équilibrer les comptes en 2018. "Dans ce cas, il n'y aura pas d'autres suppressions de postes, sachant qu'au titre de l'accord de fin de crise officiellement signé le 13 juin en préfecture (en présence de David Kimelfeld, premier vice-président de la métropole de Lyon et de Michèle Picard, maire de Vénissieux, NDLR), la direction a garanti des effectifs minimum de 270 personnes jusqu'à fin 2020", prévient le représentant CFE CGC.

Bosch

Le PDG de Bosch France rappelle que l'Allemagne a, elle aussi, payé son tribut à la contraction des marchés : le plan de restructuration présenté, outre-Rhin, en 2015, a touché 1 150 postes dans six usines.

Fin de partie pour les pistons

"Il était possible de donner une vision industrielle à l'unité Rexroth de Vénissieux, ce qui n'était pas le cas pour l'activité diesel, en dépit des efforts déployés pour identifier, auprès des différentes divisions du groupe, une production à transférer", assure Heiko Carrié. Les pouvoirs publics ont alors pris acte de la décision du groupe de se tourner vers une solution externe pour réindustrialiser cette usine de composants en faisant appel à Boston Consulting.

Des négociations confidentielles ont été engagées dès le début 2016 avec BoostHEAT, inventeur d'une gamme de chaudières thermodynamiques brevetées. "Le rôle de l'Aderly (Agence pour le développement économique de la région lyonnaise) a été essentiel dans cette mise en relation", insiste Simon-Pierre Eury. Une fois le processus suffisamment engagé, ce dernier dit avoir "pris l'initiative, en mai, de contacter les dirigeants de BoostHEAT en leur proposant son aide, en jouant les facilitateurs". Là encore, et face à un mouvement ayant largement perturbé la production pendant plus de trois semaines, la direction a accepté d'amender le projet de PSE et de ne procéder à aucun licenciement contraint parmi les 113 employés concernés.

Lire aussi : Bosch Vénissieux : reconversion en vue pour l'usine diesel avec la startup BoostHEAT

Pas suffisant pour la CGT :

"Au sein de la commission de recherche industrielle, nous nous sommes battus et avons montré qu'il était possible de trouver des alternatives en interne. Nous avons travaillé avec nos camarades du site de Rodez (Aveyron) qui, en surcharge d'activité, recourt à 300 intérimaires. Nous avons démontré qu'à Vénissieux, nous pouvions assurer la fabrication de corps d'injecteurs de dernière génération dans des conditions économiques aussi rentables qu'à Bambert, en Allemagne, ou qu'en Turquie", tonne Kamal Ahamada, délégué cégétiste.

D'ailleurs, sa centrale n'a pas voulu participer au référendum organisé le 29 juin auprès du personnel, qui a plébiscité le projet BoostHEAT. Au nom de la CFDT, majoritaire, Marc Soubitez s'est, lui, réjoui des résultats : "C'est un beau challenge industriel qui s'ouvre à nouveau pour ce site." Bien que préretraité depuis fin 2014, celui-ci a conservé son mandat syndical et a été en première ligne une fois de plus. "L'entente de tous les syndicats fait la force de l'unité voisine Bosch Rexroth. Ici, nous avons échoué à la construire à plusieurs reprises", déplore Kamal Ahamada.

Le savoir-faire des salariés

"Prolonger jusqu'à fin 2017 une partie de l'actuelle production laisse du temps pour accompagner les collaborateurs. Cela permet une transition sans rupture entre une activité industrielle existante et une à venir. Mais qu'il y ait des insatisfactions est compréhensible", concède Marc Baeumlin.

Engagé dans une course contre la montre, BoostHEAT, dont l'adresse du siège social a été transférée de Nîmes à Vénissieux, a affiché dès la mi-juillet les profils des huit premiers postes créés et ouverts aux salariés de Bosch diesel. "L'objectif est de
procéder aux premières embauches en octobre dans les métiers de la qualité, de l'ingénierie et de la logistique"
, énonce Luc Jacquet, cofondateur (avec Jean-Marc Joffroy) et directeur général de la jeune société.

Bosch

Le plan de marche prévoit 20 recrutements supplémentaires en 2017 et 22 de plus en 2018, année du démarrage effectif de la production, en visant 412 millions d'euros de ventes à l'horizon 2021. La jeune pousse commencera par occuper 550 m2 et disposera de 5 000 m2 fin 2017.

"Nos intérêts et ceux de Bosch convergent. Ils nous versent une aide (quatre millions d'euros selon nos informations, NDLR) liée à la revitalisation du site. Nous venons ici trouver le savoir-faire des salariés qui développent des composants pour diesel et développeront, demain, des composants de compresseurs thermiques. Ils quitteront progressivement Bosch pour nous rejoindre, après avoir perçu leur solde de tout compte. J'ai vraiment l'impression que Bosch met tout en œuvre pour que cela se passe le plus efficacement", observe Luc Jacquet.

Bosch met les moyens

À ce propos, Simon-Pierre Eury reconnaît : "Quand Bosch licencie ou se désengage d'une activité ou d'un site, il alloue les moyens nécessaires. Il possède l'image d'une société responsable. Nul n'en attend moins d'un grand groupe."

Pour récupérer le solaire, Sillia VL a perçu six millions d'euros de cash initial et une subvention d'équilibre annuelle de 3,1 millions d'euros durant les trois premiers exercices. De même, en matière d'information du personnel, "les syndicats sont prévenus très longtemps à l'avance. Ce qui est plus atypique", ajoute le représentant de la Direccte.

Le projet d'arrêt de l'activité diesel a été évoqué dès mars 2015, un an avant son officialisation. Avis partagé par Isabelle Mercier, directrice associée de Katalyse, cabinet de conseil en stratégie et développement, accompagnant la firme allemande dans la recherche de solutions internes sur le site de Mondeville, dans le Calvados. La culture d'entreprise prônée par Robert Bosch, le fondateur, et basée sur des valeurs fortes, se perpétue avec la fondation d'utilité publique qui contrôle le géant industriel.


Qui est Rexroth ?
Bosch a acquis l'usine diesel en 1974 et l'unité Rexroth, en 2001. Aux activités industrielles de Rexroth et de Bosch diesel, s'ajoute, sur le site de Vénissieux, l'usine reconvertie dans le solaire et aujourd'hui exploitée par Sillia VL. Outre la production, 50 ingénieurs et techniciens se consacrent à la R&D chez Rexroth et une quinzaine sont dédiés à la vente. Au sein de Bosch diesel, l'équipe de développement se compose de 45 personnes. De plus, 150 personnes commercialisent en France l'ensemble des gammes des produits Rexroth.
Lors d'une conférence de presse au printemps dernier, Heiko Carrié a assuré que le marché français, le cinquième pour le groupe au niveau mondial, "conserve une importance stratégique pour Bosch". Il a indiqué que 400 millions d'euros avaient été investis dans l'Hexagone entre 2010 et 2015 et près de 60 millions pour l'année 2016.
Le groupe qui compte 7 700 collaborateurs en France, dont 782 chercheurs et développeurs, a réalisé trois milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2015, en hausse de 2,8 %.

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Commentaire 1
à écrit le 10/10/2016 à 13:42
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Puis ce n'est pas la faute aux salariés s'ils se sont retrouvés compromis dans la fraude de VW...

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