La Fabrique, l'atelier des temps modernes

Travailler le bois de manière artisanale afin de concevoir des objets de qualité, tout en s’inscrivant dans une démarche d’innovation sociale, c’est ce qui réunit depuis 2008 un ingénieur et un ébéniste autour du projet de La Fabrique. Un atelier installé au cœur de Francheville (Rhône) où les mots "bienveillance", "collaboratif", "partage" et "écoute" imprègnent les murs jusqu’à la relation entre les salariés et le tandem de dirigeants.

Le 20 octobre, il est un peu plus de 12 h 30 lorsque l'ensemble des salariés de La Fabrique se rend dans la salle à manger de l'entreprise. Comme tous les jours, du lundi au vendredi, tous se retrouvent autour du repas préparé, depuis le matin, par la cuisinière Vildan. Les uns mettent le couvert tandis que d'autres servent le repas ou débarrassent la table avant de reprendre leurs activités respectives. Telle une cantine scolaire, mais avec le bruit en moins. Un moment convivial d'une heure auquel les deux dirigeants Fabrice Poncet et Nicolas Autric prennent part et qui symbolise, à lui seul, la philosophie de l'entreprise de fabrication de mobilier, pas tout à fait comme les autres.

Une entreprise unique en France

Son ADN pourrait se résumer à trois critères que Fabrice Poncet, à l'initiative du projet, présente avec conviction : "Une place pour tous, un respect de l'environnement et des objets beaux et de qualité." Depuis son lancement en 2008, ce triptyque transpire à tous les niveaux. Ici, l'homme et son savoir-faire sont la clé de voûte de La Fabrique plutôt que la machine à commande numérique. Ils conçoivent des petites séries d'objets en bois, du prototype au mobilier d'agencement à des pièces d'artistes. À chaque commande, des projets originaux. Les matériaux (bois de merisier et de chêne, entre autres) proviennent des régions Rhône-Alpes, Bourgogne et Franche-Comté. Les copeaux sont recyclés et les chutes mises à disposition du grand public.

Une entreprise unique en France où les candidats se pressent pour décrocher un emploi ou un apprentissage. "J'ai attendu cinq mois avant de pouvoir intégrer l'équipe", se rappelle Audrey, 26 ans, entrée en juillet dernier et élève apprentie à l'Institut de formation professionnelle de Haute-Loire (IFP 43). Sans jamais démarcher le client ni manquer de main-d'œuvre, refusant même des demandes, dans un secteur du meuble qui a perdu plusieurs milliers d'emplois et vu fermer de nombreux établissements en l'espace de quelques années, La Fabrique prouve la solidité de son concept avec sa bonne santé financière, son chiffre d'affaires ne cessant de progresser. Dépassant les 920 000 euros en 2014, elle conserve sa rentabilité originelle ainsi qu'un carnet de commandes rempli à trois mois.

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"Bienveillance", "collaboratif", "partage" et "écoute" imprègnent les murs de la Fabrique jusqu'à la relation entre les salariés (ici, Vildan, Audrey et Marie) et le tandem de dirigeants (crédit : Laurent Cerino/ADE).

"J'avais en tête de montrer qu'il était possible de créer une vraie entreprise manufacturière en France, dans une logique d'utilité sociale, raconte Fabrice Poncet, à l'origine du projet. C'est donc faisable même si tout n'est pas rose, comme dans toute entreprise. Il faut que tout le monde s'imprègne du concept." Preuve que cela fonctionne, sensibilise et "parle", lors de l'inauguration de ses nouveaux bâtiments de 900 m² à Francheville (Rhône), le 25 septembre, 700 personnes ont répondu à l'invitation.

En sept ans d'existence, l'entreprise a réussi à se faire une place dans la grande famille rhônalpine de l'économie sociale et solidaire, s'est fait connaître du grand public, des institutionnels et du milieu culturel grâce, entre autres, à un travail actif de communication sur les réseaux sociaux et d'interventions régulières sur des événements phares (Biennale de design Saint-Étienne, Nuits sonores, Biennale de Lyon). Des initiatives singulières dans le secteur.

"Dans l'ébénisterie, personne ne communique comme nous le faisons, confirme Nicolas Autric, ébéniste et associé. Nous dépoussiérons le métier et lui donnons une autre image."

La Fabrique se révèle être un petit ovni.

Valeurs humanistes et chrétiennes

Projet conçu au milieu des années 2000, il naît d'une idée de Fabrice Poncet, ingénieur de l'école Télécom de Saint-Étienne. L'homme, passé par Saint-Gobain et le Burkina Faso où il enseignait, s'est toujours imaginé dans la peau d'un chef d'entreprise. "Je suis un entrepreneur de nature", se définit-il. Mais un entrepreneur innovant qui "souhaite faire en sorte que les gens soient heureux d'aller au travail". Qui aime la matière et le fait main, portant des valeurs "humanistes" et "chrétiennes" affirmées. Son credo : "Créer de l'emploi en donnant la chance à tous, autour d'un métier valorisant le travail fait main."

Une vision à laquelle Nicolas Autric, en charge de la gestion, de la conception et de la production, a adhéré dès les prémices, lorsque les deux hommes se sont rencontrés. Le premier était en congé parental et réfléchissait au concept quand le second souhaitait fonder une association valorisant le diplôme d'ébéniste. Une sensibilité et des bases communes scelleront le concept, figurant en bonne place dans le dossier de montage de l'entreprise.

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La Fabrique conçoit des petites séries d'objets en bois, du prototype au mobilier d'agencement à des pièces d'artistes (crédit : Laurent Cerino/ADE).

"Nous ne voulions pas créer une association, mais une véritable entreprise afin de prouver que l'innovation sociale est compatible avec la logique économique", se souvient, convaincu, Fabrice Poncet en charge de la gestion, du commercial et de la communication. De quoi refroidir certains esprits critiques jugeant le projet un brin utopique. Au lancement, six investisseurs feront confiance aux deux hommes. Depuis, ces derniers ont repris la majorité du capital afin de mener de la meilleure façon la trajectoire de la SARL.

Les financiers "sont toujours là, car nous avons besoin d'eux". Mais si le modèle de La Fabrique est probant, pas question de le développer dans une démarche capitalistique.

"Nous devons encore faire tourner l'entreprise et ensuite nous envisagerons de dupliquer le modèle d'innovation sociale dans le même état d'esprit que ce que nous avons fait ici. L'objectif étant toujours de créer de l'emploi", rappelle Fabrice Poncet.

Des salariés acteurs du modèle

C'est d'ailleurs ce modèle d'entreprise qui séduit à l'extérieur les clients et partenaires, mais surtout à l'intérieur. Ici peu ou pas de différence entre salariés et dirigeants. Outre le déjeuner pris en commun, les bureaux se situent tous au même niveau, en espace ouvert. Une proximité qui rompt avec le schéma traditionnel patron/salarié. "Venant d'un cabinet d'expert-comptable, je ne pensais pas que cela puisse exister", remarque Marie, secrétaire comptable. "Nous pouvons discuter très facilement avec nos directeurs, la barrière est ténue. Surtout, notre parole compte", ajoute Thomas, 26 ans, ébéniste en CDI qui retrouve pour la première fois ses propres valeurs dans une entreprise.

Entre les 12 ébénistes, trois chargés d'études, la cuisinière et une administrative, pas de différences non plus : tous "participent à la bonne ambiance générale", relève Marie. "Autonomie", "bienveillance", "collaboratif", "écoute", "partage" qualifient l'atmosphère des lieux. Résultat d'un management doux, au plus près des collaborateurs, instauré par les dirigeants et qui se traduit, entre autres, par un accord d'intéressement égalitaire sur le bénéfice de l'entreprise, un potager partagé, "qui a du succès", ou encore des réunions régulières durant lesquelles chacun participe et peut s'exprimer. "Nous pouvons dire ce que nous pensons", se satisfait Audrey, très sensible à l'esprit ESS qu'elle retrouve à La Fabrique.

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Entre les 12 ébénistes, trois chargés d'études, la cuisinière et une administrative (ici, Nicolas Autric, Fabrice Poncet, Thomas et Stéphane), pas de différence ! (crédit : Laurent Cerino/ADE)

De plus, avec une moyenne d'âge d'une trentaine d'années, les liens se créent plus facilement et le message de l'entreprise porte davantage. "La Fabrique remet en question le principe de l'entreprise et place en son centre le capitalisme humain avant l'aspect économique", souligne Audrey. Une philosophie à laquelle les salariés adhèrent et participent. "Avec eux, nous transformons le modèle constamment", se réjouit Nicolas Autric. "Grâce à des profils différents, nous le construisons ensemble et l'inculquons à ceux qui nous rejoignent", déclare Stéphane, 31 ans, dont sept à l'atelier de Francheville. Ébéniste passé par la fabrication de billards, il fait partie des premiers à avoir rejoint l'entreprise pour "son concept et son travail à la main".

Savoir-faire

Un autre pan de la notoriété du fabricant franchevillois repose sur le travail artisanal du bois. "Le métier a évolué, s'est structuré, notamment autour de l'agencement avec des machines ultras performantes, qui mettent de côté la créativité. Elle n'existe plus, explique Nicolas Autric. Avec La Fabrique, nous voulions redonner un sens aux beaux objets en travaillant le bois à la main."

Une pensée à laquelle adhère l'ensemble de l'équipe d'ébénistes.

"Le travail n'est plus le même aujourd'hui. La conception des meubles est de plus en plus simplifiée et le savoir-faire manuel se perd. À La Fabrique, c'est tout le contraire. Nous pouvons ainsi réaliser de très belles choses",

se satisfait Stéphane, qui se souvient de sa première pièce à son entrée dans l'entreprise : "Un prototype pour l'artiste israélien Itamar Burstein" auquel La Fabrique était associée.

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Nicolas Autric : "Avec La Fabrique, nous voulions redonner un sens aux beaux objets en travaillant le bois à la main" (crédit : Laurent Cerino/ADE).

Redonner ses lettres de noblesse à une profession en difficulté, La Fabrique y parvient à sa manière, suscitant des "envieux", mais surtout des « envies », notamment d'entreprendre. "Observer ce qu'ils ont réussi à faire me motive pour aller dans la même direction et créer, un jour, ma propre structure", projette Thomas, passé d'une licence en qualité environnement à un CAP ébéniste. D'autres suivront-ils ? Sans doute. "Notre objectif est de faire en sorte que notre vision essaime dans l'entreprise et au-delà", reconnaît Nicolas Autric.

De fait, les sollicitations abondent, mais les deux dirigeants avancent prudemment.

"Nous n'avons pas de catalogue, nous vendons seulement un savoir-faire. C'est pourquoi, sur ce modèle, nous n'allons pas dépasser les 25 personnes, précise Fabrice Poncet. Nous ne serons jamais 50 ni n'auront de filiales partout."

Une remarque comme pour rassurer que la pérennité du concept s'écrit dans une démarche entrepreneuriale viable, durable et raisonnable, dans un secteur en quête de sens. Des fondamentaux inscrits dans les gènes du duo de dirigeants, qu'ils ont "à cœur" de transmettre à leurs salariés.

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