STMicroelectronics : la dépendance Soitec

Malgré sa volonté de lancer une nouvelle technologie de pointe, la stratégie de STMicroelectronics n'en finit pas d'interroger. Les experts pointent du doigt une trop grande dépendance du groupe envers Soitec, son fournisseur en dalle étanche, ainsi que des retards de développement qui pourraient lui compliquer l'accès au marché.
Le site de ST Microelectronics à Crolles près de Grenoble

« ST dépend entièrement de Soitec pour la fourniture de matériaux de qualité », souligne Arnaud Bournel, responsable du master information, systèmes et technologies à l'Université Paris-Sud et expert en nanoélectronique pour l'Observatoire français des micro et nanotechnologies (OMNT). À tel point que les clients de ST pourraient craindre une trop grande dépendance vis-à-vis de la PME française ? Pour contrer cela, Soitec a bien tenté de revendre sa technologie, sous forme de licence, à deux sociétés japonaise et américaine, mais elle n'en demeure pas moins leader dans la maîtrise des couches de silicium les plus fines utilisées par le FD-SOI.

Une offre illisible ?

Contrairement à d'autres concurrents, le franco-italien STMicroelectronics a fait le choix, depuis des années, de déployer une offre très diversifiée, en proposant à la commercialisation à la fois des mémoires, processeurs de box, cartes à puces, microcontrôleurs, etc.

« Cela permet d'apporter de façon générale une diminution des risques. L'important étant d'être visibles de nos clients clés », justifie Laurent Malier, directeur de la plateforme technologique de STMicroelectronics.

Quitte à ce que l'offre globale de ST présente le risque d'être peu lisible ? Si de premiers produits intégrant le FD-SOI ont d'abord été développés dans le cadre de la joint-venture entre STMicroelectronics et Ericsson — aujourd'hui dissoute —, « il nous manque désormais des produits à présenter », estime Jean-Marc Sovignet, délégué central CFE-CGC, précisant que plusieurs produits de la gamme Set-Top Box intégrant la FD-SOI n'arriveront pas en production avant mi-2016. Pour l'entreprise, le manque de visibilité pourrait tenir au fait qu'elle ne s'adresse pas à un marché de masse comme la téléphonie, mais plutôt à celui du BtoB, la plupart du temps assorti de clauses de confidentialité.

Retards de développement ?

En développant durant des années le FD-SOI, le groupe franco-italien aurait-il aussi trop tardé à le lancer sur le marché ? Cette interrogation, Jean-Pierre Della Mussia, ancien rédacteur en chef du magazine Electronique International, aujourd'hui consultant indépendant, se la pose. « Cette technologie est sortie avec deux ans de retard, alors que tout le monde était déjà parti sur le FinFET », estime-t-il. Le retard dans le time-to-market pénaliserait aujourd'hui l'entreprise sur ce segment.

« Nous avons commencé la R&D dès 2005 et les choses se sont accélérées lorsque ST a commencé à sortir les premiers produits vers 2010, se défend Christophe Maleville, directeur digital electronics de Soitec.

« L'entreprise travaille aujourd'hui pour trois principaux clients : ST, GlobalFoundries et Samsung. Nous oublions souvent que le FinFET a été annoncé chaque année depuis 2012, mais qu'il a lui aussi pris du retard. Nous arriverons dès l'an prochain avec les premiers produits et une approche plus solide dans le temps », ajoute-t-il.

Dans cette industrie gourmande de financements — où le passage à chaque nouveau nœud technologique représente des investissements de cinq à huit milliards de dollars par usine —, STMicroelectronics ne souhaite pas communiquer de chiffre. Chez Soitec, en revanche, près de 25 millions d'euros ont été investis pour développer le FD-SOI — à travers notamment le programme européen Exact —, mobilisant une équipe d'une centaine de personnes avec le CEA-Leti.

Une chose est certaine : le programme Nano 2017, doté d'une enveloppe de 3,5 milliards d'euros (dont 1,3 milliard financés par STMicroelectronics) avait été lancé dans l'objectif de permettre au site crollois de développer entre autres le FD-SOI. Les syndicats avaient immédiatement reproché au groupe franco-italien de ne pas avoir pris des engagements en faveur de l'emploi.

La fin de la course au nanomètre

Si plusieurs experts estiment que STMicroelectronics aura cinq ans pour lancer sa technologie et en faire un succès financier, Soitec et ST pensent, eux, que le 28 nm aura une durée de vie plus longue, car « il donne plus de liberté aux designers pour réaliser des gains d'énergie ou de performance. Cela pourrait même mettre un coup d'arrêt à la course au nanomètre telle qu'on l'a connue », veut croire Christophe Maleville.

Les équipes de chercheurs auraient même un plan secret :

« Introduire une version FD-SOI en 7 nm adaptée à la 3D, afin d'associer les performances du FD-SOI et du FinFET. Mais elle n'est pas prévue pour arriver en production avant 2020 ! », glisse Jean-Pierre Della Mussia.

Il est désormais certain que les deux technologies FinFET et FD-SOI vont devoir coexister, assure Christophe Maleville :

« La première servira plutôt les produits haut de gamme, ayant besoin d'extrêmes performances et qui ne sont pas limités en matière de coûts d'implantation. La seconde offrira des coûts plus bas et permettra des gains de consommation. »

Quant à la direction de STMicroelectronics, elle se veut plus prudente :

« Nous ne sommes pas dans une course à la densité, il faut aussi prendre en compte la question de l'efficacité énergétique. Aujourd'hui, nous nous concentrons pour faire du nœud de 28 nm une réussite. »

Pour que le groupe franco-italien réussisse son pari, l'avenir de sa filiale digitale pourrait s'avérer crucial. Une délégation intersyndicale (CFDT, CFE-CGC, CGT et UNSA) a rencontré, début septembre, le cabinet du ministre de l'Économie, Emmanuel Macron, afin de soumettre ses inquiétudes quant à la stratégie de l'entreprise pour les années à venir. L'État français — actionnaire à hauteur de 12 % du capital du groupe tout comme son homologue italien — pourrait être tenté de se positionner et de demander une stratégie globale pour éviter les pertes d'emplois. Et de sauver, par la même occasion, les débouchés potentiels du FD-SOI, qu'il a contribué à créer en injectant 600 millions d'euros dans le plan Nano 2017. Le dernier trimestre 2015 devrait donc s'annoncer décisif.

Les syndicats veulent des changements

« L'État attend comme nous une vraie stratégie. Sans cela, il n'avalisera aucune mesure », précise Jean-Marc Sovignet.

D'après Dominique Savignon, secrétaire du comité d'entreprise pour la CGT, « peu de rencontres ont eu lieu depuis mai entre l'État et la direction du groupe, mais cela veut dire qu'il est encore temps d'agir ».

Dans l'attente des résultats trimestriels du groupe qui seront publiés fin octobre, le Comité central d'entreprise (CCE) de ST a déclenché en mai dernier son droit d'alerte, saisissant ainsi un cabinet d'expertise qui sera chargé « d'étudier d'ici octobre toutes les options et alternatives à la fin de certaines activités numériques afin d'éviter une casse sociale », annonce Jean-Marc Sovignet. Ces propositions seront ensuite remises au conseil d'administration de STMicroelectronics et à l'État, afin de servir de base de discussions.

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