Alain de Krassny  : "2016 sera une année charnière pour KEM One"

Alain de Krassny le répète. Redresser Kem One SAS, troisième producteur européen de PVC (polychlorure de vinyle), est sa priorité. Fin 2013, à la barre du tribunal de commerce de Lyon, il a acquis l'ancien pôle vinylique de Arkema que le chimiste tricolore avait cédé à l'homme d'affaires Gary Klesch, à l'été 2012. Alain de Krassny détient aujourd'hui, à 50/50 avec le fonds anglo-saxon OpenGate Capital, Kem One Group*.

Acteurs de l'économie-La Tribune : Pourquoi, à 71 ans, votre âge en décembre 2013 à la date d'acquisition de Kem One, avoir plongé dans cette nouvelle aventure industrielle, en reprenant une société déficitaire depuis des années ? Donau Chemie, l'ancienne filiale de Rhône-Poulenc (votre employeur d'alors), que vous avez repris en 1997, avec succès - et dont vous êtes toujours propriétaire - ne vous suffisait-il pas ?

Alain de Krassny : Lorsque j'ai pris ma retraite, en 2009, à 67 ans, je me suis lancé avec ma femme dans le Private Equity (capital investissement). A ce titre, nous avions acquis une participation dans une banque autrichienne. J'ai pu la revendre dans d'excellentes conditions après avoir compris que je n'avais pas le savoir faire de banquier. J'ai eu moins de chance avec Practiker, la chaîne de magasins de bricolage allemande, (Ndlr : elle sera déclarée en faillite en juillet 2013). J'avais vu les erreurs mais je ne pouvais rien faire faute de disposer des moyens de contrôle. Etre bricoleur ne suffisait pas.

Mes compétences sont dans la chimie. Et, quand Robert-Denis Delpicchia, sénateur représentant les Français hors de France, et un de mes meilleurs amis, m'a mis sur la piste de Kem One SAS, en me disant tu as réussi avec Donau, je me suis laissé entraîner dans ce nouveau défi. J'ai pris rendez vous avec l'équipe d'Arnaud Montbourg (ministre du redressement productif à l'époque ) et j'ai monté le dossier avec le management de Kem One. Nous nous sommes mis d'accord avec OpenGate, seul fonds restant en lice, pour faire une offre conjointe. Chez Kem One SAS, comme chez Donau Chemie, des années plus tôt, je retrouvais les mêmes problématiques : réaliser immédiatement des investissements stratégiques en modernisant, en particulier, l'électrolyse, procédé permettant de produire du chlore - entrant dans la fabrication du PVC- et de la soude.

Alain de Krasny

Vous avez ainsi démarré un programme d'investissement de 250 millions d'euros, échelonné entre 2014 et 2016, dont 150 millions pour la plateforme électrolyse de Lavera, dans les Bouches du Rhône. Pour ce faire, vous avez obtenu une promesse de financement public à hauteur de 125 millions, financement sur la légalité duquel Bruxelles s'est interrogé en déclenchant une enquête approfondie. Avez vous douté de la réponse de la Commission européenne, rendue publique en juillet dernier ?

Je ne voyais pas la Commission européenne refuser ces aides et mettre quelques milliers de gens au chômage. Ce, alors que Jean-Claude Juncker veut réindustrialiser l'Europe.

Reste que Bruxelles vous impose des contreparties. Vous n'avez pas pu acheter les usines que cédaient le suisse Ineos et le belge Solvay dans le cadre du rapprochement de leur branche PVC ayant donné naissance à la co-entreprise Inovyn.

La Commission devrait penser à créer des champions européens car, à terme, les consommateurs auront plus à gagner avec l'émergence de champions. Toujours est il qu'Open Gate voulait ces unités. Moi j'y étais opposé, à ce stade. La raison est que Kem One est essentiellement implanté en France. Intégrer des usines étrangères ne me semblait pas opportun dans une phase de redressement. Ma priorité aujourd'hui c'est de redresser Kem One. Nos usines doivent être fiables et nos produits d'une qualité impeccable.

Les lourds investissements de modernisation largement concentrés sur 2016 ne vont ils pas entraver l'activité de Kem One, l'an prochain ?

L'exercice 2016 sera une année charnière mais je suis plutôt optimiste. Les investissements coutent cher et tous les acteurs n'auront pas les moyens d'assumer de telles dépenses. Ce qui nous rendra compétitifs une fois que ces nouvelles électrolyses seront opérationnelles. Avant il faudra arrêter l'usine de Lavera pendant presque 2 mois au cours du 4ème trimestre de l'an prochain. Nous devrions surmonter cette interruption si Total ou d'autres fournisseurs de matières premières ne nous acculent pas à des cas de force majeure, comme nous en avons connus à la fin du premier semestre dernier. Les sept semaines d'arrêt du vapocraqueur de Naphtachimie (JV entre Total et Ineos produisant de l'éthylène), à Lavera, nous a privés de 20 millions d'euros de marge, indicateur plus significatif que le chiffre d'affaires soumis à la fluctuation des cours.

 En 2017 Kem One SAS commencera à être une bonne société. Les investissements ne seront pas terminés pour autant et il faudra encore prévoir 200 millions d'euros supplémentaires, en particulier dans notre électrolyse de Fos.

Alain de Krasny

Avez-vous le concours des banques ?

Nous commençons à les solliciter mais elles veulent d'abord des résultats. Alors faisons des résultats et nous n'aurons plus de problème avec les banques. En attendant nous gérons seuls notre flux de trésorerie.

Kem One, est le numéro trois européen du PVC. Ce plastique le plus utilisé est également taxé d'être l'un des plus toxiques du fait des rejets chlorés. Comment voyez vous sont avenir ?

Le PVC a des propriétés physiques difficilement remplaçables dans la construction et l'automobile, notamment. C'est un produit stable qui gardera sa place. Son coût est acceptable.

Kem One Group, que vous détenez à 50/50 avec OpenGate Capital, a enfin récupéré en juillet dernier, auprès de Gary Klesch, précédent propriétaire de Kem One, les activités aval du groupe, à savoir la transformation du PVC en tubes et profilés. Cet élargissement du périmètre va rebattre les cartes entre vous et votre associé. Les syndicats à qui vous avez présenté votre pacte, le 30 septembre, sont contre mais n'ont plus le choix car ils le savaient dès le départ.

Oui, les délégués syndicaux ont été informés du pacte d'actionnaires prévu dès le départ, en décembre 2013 ou dans les tous premiers jours de janvier 2014. Il est dit que je deviendrai propriétaire de Kem One SAS à 90 % et OpenGate détiendra le solde de 10 %. Eux seront à 70 % dans Kem One Innovative Vinyls (KOIV) dont je posséderai 30 %. Ce pacte s'appliquera d'ici à fin 2015 ou  début 2016. Une clause stipule que KOIV s'approvisionnera à 60 % de ses besoins auprès de Kem One SAS dans la mesure où nous avons les produits nécessaires.

Sur quelle durée ?

Dix ans.

N'est-ce pas l'amorce d'une scission totale entre l'amont et l'aval ?

L'évolution pourrait aller plus loin. OpenGate possédait déjà des entités dans ce secteur de la transformation du PVC comme Benvic et Profialis, d'ailleurs concernés par l'engagement des 60 %. Et ils veulent optimiser l'aval. Moi, je suis intéressé par l'amont car mes compétences sont là. L'important c'est que Kem One SAS ait un client fiable et fidèle. Nous n'avons pas besoin d'une poire pour la soif. Nous devons vivre par nous mêmes en étant aidés par le fait que l'aval se serve chez nous. A 80 % notre production est vendue hors de France, dont 20 % hors d'Europe.

Alain de Krasny

En France, le dialogue social est plus compliqué qu'en Autriche, avez vous reconnu à plusieurs reprises.

On avance, on avance sur ce terrain. La confiance ne se gagne pas du jour au lendemain. Et on arrivera à signer une charte sur le dialogue social. On y était presque. Nous avons résolu la réorganisation de l'usine de Balan, dans l'Ain. Nous avons signé avec les organisations syndicales six accords collectifs d'entreprise dont la prise en compte de la pénibilité et l'aménagement des fins de carrière des personnels postés. Notre programme de formation concerne tout le monde avec l'objectif d'améliorer la qualité.

Et les 35 heures ?

C'est une réalité et il faut faire avec. J'ai besoin de tout le monde et je ne m'engagerai pas dans une remise en cause du temps de travail. C'est un problème national. En Autriche la durée du travail est de 38h30. Et je leur rappelle quand ils se plaignent.

Donau Chemie est logé dans votre fondation familiale contrairement à Kem One qui vous appartient en propre à travers votre holding familial de Krassny GMBH. Pourquoi ?

Pour Kem One j'ai besoin de décider vite avec une grande flexibilité. Dans la Fondation le processus de décision est plus long.

Comment répartissez vous votre temps entre Lyon et Vienne ?

Je passe 3 jours de la semaine ici et 2 jours à Vienne. Chez Donau Chemie je préside le conseil de surveillance et le moment il en sera de même pour Kem One SAS. C'est une belle entreprise avec de réelles compétences.

*Toutefois les cartes vont être rebattues maintenant que les activités aval, de transformation du PVC, ont été récupérées, en juillet dernier. Cette recomposition du capital entre l'amont et l'aval était inscrite, dès l'origine, dans le pacte d'actionnaires présenté le 30 septembre aux représentants syndicaux. « Nous n'en connaissions jusque là que les grandes lignes », témoigne Jean-Michel Rovida, délégué Cfdt. Les syndicats se disent opposés à ce début de scission mais reconnaissent « avoir pieds et poings liés ». C'est sur cette base que le plan de continuation a été bâti il y aura bientôt deux ans.

Kem One SAS en chiffres :

  • Kem One SAS, décline une large gamme de produits pour la filière vinylique (chlorure de vinyle, PVC, soude caustique, chlore etc.) avec 1250 salariés répartis sur 8 sites industriels, 7 en France et 1 en Espagne.
  • En 2014, il a publié un chiffre d'affaires de  800 millions d'euros et un Ebitda négatif de 4 millions (versus - 130 millions en 2012).
  • Kem One Innovative Vinyls, qui compte 1100 collaborateurs sur 15 sites, a pesé 322 millions d'euros en 2014, selon les informations communiquées.

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