UIMM : Alexandre Saubot moine-soldat de l'industrie

Jusqu'alors simple adhérent, Alexandre Saubot, dirigeant d'Haulotte Group dans la Loire, est désormais le président national de l'Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), la plus puissante branche du Medef. Une ascension rapide, mais peu surprenante tant ce « bosseur » discret et sobre semble faire l'unanimité dans les cénacles patronal et salarial. Mais le plus dur commence : rassurer sur sa capacité,éprouvée sans réussite lors des négociations sur le dialogue social, à appliquer au niveau national ses convictions exercées avec succès dans son entreprise et sur le territoire ligérien. Portrait d'un homme engagé qui ambitionne de partir à la reconquête de l'industrie.
Alexandre Saubot.

Le scénario était encore jugé improbable quelques jours auparavant. Le 19 mars, Alexandre Saubot crée la surprise en remportant la présidence de l'Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM). À 50 ans, le directeur général délégué d'Haulotte Group, ETI familiale basée à L'Horme (Loire), leader européen dans la fabrication de nacelles élévatrices et chariots télescopiques, succède à Frédéric Saint-Geours dès le premier tour du scrutin, avec 52 % des voix.

Le tour de force est d'autant plus remarquable que ce discret patron ligérien n'était jusqu'alors qu'un simple adhérent de l'UIMM. Et que se tenaient face à lui deux poids lourds de la puissante branche métallurgique du Medef : Jérôme Frantz, président de la Fédération des industries mécaniques (FIM), par ailleurs membre du bureau de l'UIMM, et Marc Ventre, président de l'UIMM Île-de-France.

« J'ai moi-même été surpris de cette victoire », reconnaît Alexandre Saubot.

Le dirigeant d'Haulotte Group est entré dans la campagne pour la présidence de l'UIMM avec des convictions fortes. Et un programme clair : recréer les conditions d'une croissance économique grâce à un triple choc fiscal, réglementaire et de confiance.

« C'est facile de dire que rien ne va tout en restant assis à son bureau », considère Alexandre Saubot.

Jusqu'à 15 heures par jour

Cet infatigable « bosseur », capable, selon ses collaborateurs, de travailler 15 heures par jour, y compris les samedis et dimanches, possède un tempérament d'homme engagé. Durant son mandat de trois ans, il entend consacrer deux jours par semaine à l'UIMM. Quitte à renoncer à d'autres activités associatives ou syndicales. « Il faut faire des choix », convient-il. La reconquête industrielle constitue le cheval de bataille de celui que certains qualifient de « moine-soldat ».

Il juge que « le sort que l'on fait aujourd'hui à nos enfants est honteux. Il faut retrouver les conditions de l'attractivité et de la croissance afin de lutter contre le chômage. C'est le seul combat qui vaut d'être mené ».

Adoubé par les partenaires sociaux

Alexandre Saubot avait pourtant hésité à se présenter à la présidence de l'UIMM. Au début de la campagne, le dirigeant d'Haulotte Group sortait tout juste des négociations de la modernisation du dialogue social, dont il était le chef de file pour le Medef.

Alexandre Saubot

Bien qu'il ait abouti à une impasse, ce mandat confié par Pierre Gattaz aura permis de mettre en valeur les capacités de dialogue du patron ligérien, adoubé par les partenaires sociaux.

« Son état d'esprit visait à construire ensemble. Nous étions partenaires, reconnaît Joseph Thouvenel, vice-président de la CFTC. Ce n'est pas quelqu'un qui dit « je sais tout » et qui a forcément raison. Il a des convictions, mais il est capable de discuter. Il a une réelle capacité à présenter son point de vue, à le défendre, mais aussi à écouter les autres. Ce qui n'est pas souvent le cas des négociateurs patronaux. Humainement, c'est quelqu'un que j'apprécie. »

Intelligent, courtois, attentif, calme, prévoyant, maîtrisant ses sujets. Les termes employés pour qualifier Alexandre Saubot sont généralement flatteurs, tant dans le camp syndical que patronal, où son profil de patron de terrain séduit.

« Il n'est pas qu'un théoricien de l'entreprise et de la chose sociale, renchérit Joseph Thouvenel. Il se situe en dehors du rêve idéologique d'un petit cercle parisien. »

« C'est une personne rare, estime pour sa part un collaborateur du Medef. Dans ces milieux, il n'est pas si fréquent de voir des gens avec cette loyauté et cette droiture morale. Ce qui ne l'empêche pas de sortir les griffes quand il le faut. Car c'est quelqu'un de très résolu. »

Impossible modernisation du dialogue social ?

Comment, dès lors, expliquer l'échec des négociations sur la modernisation du dialogue social ? Côté patronal, on estime que « les conservatismes frileux, les jeux d'appareil l'ont emporté ».

« Nous avons buté sur des questions de structures et sur l'acceptabilité de l'ampleur de la réforme, analyse Alexandre Saubot. Il eût été pire de signer un accord au rabais. Nous ne devions pas nous contenter de réformettes ni de demi-mesures. Or un certain nombre d'organisations syndicales n'étaient pas prêtes. »

Alexandre Saubot

Du côté des représentants des salariés, on pointe le manque d'expérience du dirigeant d'Haulotte Group pour ce genre d'exercice.

« Alexandre Saubot est un homme de terrain qui maîtrise parfaitement le dialogue social, car il le vit sincèrement au sein de son entreprise. Mais au niveau interprofessionnel, les enjeux sont différents. On ne peut pas se contenter de dire : « On doit pouvoir faire cela, car je le fais dans mon entreprise ». Il faut adopter une vision plus large », avance Marie-Françoise Leflon, secrétaire générale de la CFE-CGC.

Selon la syndicaliste, l'attente du Medef était trop forte pour que la négociation ait la moindre chance d'aboutir.

« Je me pose la question de savoir si Alexandre Saubot n'a pas voulu ou s'il n'a pas pu aller au bout d'un accord. »

Joseph Thouvenel estime pour sa part que la responsabilité de l'échec n'incombe pas au négociateur patronal lui-même, mais à son environnement :

« Au sein du Medef, il avait besoin d'un appui technique qui lui a fait défaut. »

Le vice-président de la CFTC juge également que le délai de négociation imposé par le gouvernement (trois mois) était « intenable ».

« Si nous avions bénéficié de plus de temps, la négociation aurait pu aboutir. »

Une personnalité secrète qui aime le bridge

Dans les deux camps, patronal et salarial, on loue la sobriété d'Alexandre Saubot, « un homme très simple dans ses relations, confie un cadre chez Haulotte Group. Il n'est pas « bling-bling » ni m'as-tu-vu. Il n'entretient pas de culte de la personnalité et ne cherche pas à écraser les autres. En fait, c'est une personne assez secrète. »

Une attitude que l'intéressé revendique :

« Si la sobriété consiste à s'attacher au fond plutôt que de faire des effets de manche, alors oui, je suis quelqu'un de sobre. »

Alexandre Saubot

D'ailleurs, en dehors de ses activités professionnelles, ce père de quatre enfants, qui avoue ne boire que très peu de café et d'alcool, n'a qu'un seul loisir : le bridge, qu'il pratique avec quelques amis.

« J'apprécie le côté tactique, stratégique et la dimension psychologique de ce jeu. »

Passage au ministère de la Culture et de la Communication

Natif de Paris, Alexandre Saubot a débuté sa carrière dans l'administration. Cet ancien élève de Polytechnique a occupé pendant huit ans différents postes au sein de la Délégation générale pour l'armement, la direction du Trésor et en cabinet ministériel, au ministère de la Culture et de la Communication. Puis il a intégré pendant deux années une banque d'affaires (Natexis Banque populaire), avant de rejoindre l'entreprise familiale Pinguely-Haulotte à la fin de l'année 1999.

La société avait été fondée par son père, Pierre Saubot, une quinzaine d'années plus tôt, sur les restes du groupe Creusot Loire. En 2004, Alexandre Saubot en prend la direction opérationnelle et fait bondir l'activité de l'entreprise de 250 à 650 millions d'euros de chiffre d'affaires en l'espace de trois ans.

Administration et entreprise, le nouveau président de l'UIMM connaît les problématiques des deux structures.

« Nous avons passé trop de temps à opposer les uns aux autres : les grands aux petits, le public au privé, les services à l'industrie, etc. J'affirme que nous devons globalement répondre aux mêmes questions. »

Une vision à long terme

Aux commandes d'Haulotte Group, Alexandre Saubot a dû mettre à l'épreuve ses capacités d'écoute et de dialogue. En 2008, l'entreprise familiale est frappée de plein fouet par la crise économique. Sous l'effet d'une chute de 75 % du marché mondial, le chiffre d'affaires rétrograde à 200 millions d'euros en 2009.

Alexandre Saubot

Pendant dix-huit mois, la direction de l'entreprise a recours au chômage partiel à raison de deux voire trois semaines par mois. Une décision qui permet de réajuster la production en la divisant par huit. Parallèlement, un vaste plan de formation (20 000 heures) est mis en œuvre afin de préserver la capacité de l'entreprise à rebondir. Haulotte Group ferme son usine espagnole de Santander (70 salariés), supprime une trentaine de postes sur le site de L'Horme et transfère l'assemblage des nacelles de moyenne hauteur dans l'usine roumaine du groupe.

En juillet 2013, Haulotte Group cède UK Platforms, son activité de location de nacelles et chariots télescopiques au Royaume-Uni (120 salariés, 2 400 véhicules et 20 millions d'euros de chiffre d'affaires), afin de réduire de moitié sa dette financière. Au total, l'entreprise diminue ses coûts fixes de 35 % et les effectifs du groupe passent de 2 200 salariés en 2007 à 1 500 actuellement (répartis dans six usines et 20 filiales).

Retour à la croissance

Depuis 2010, le spécialiste ligérien de la nacelle élévatrice reprend progressivement des couleurs, renouant en 2013 avec la rentabilité. Ainsi l'an passé, il a enregistré une croissance de 20 %, passant de 343 à 413 millions d'euros de chiffre d'affaires, assorti d'un résultat net de 29 millions d'euros. La direction vise une croissance de 5 % en 2015.

« À un moment, nous pensions que l'entreprise allait fermer, se souvient Franck Sauton, délégué syndical central CFDT d'Haulotte Group. Tout n'a pas été rose, mais la direction a bien géré la crise. Ce que nous avons traversé en 2008 a permis à Alexandre Saubot de transformer ses paroles en actes. Il a joué le jeu, ne versant aucun dividende durant cette période et recourant au chômage technique. Il aurait pu licencier sans que les salariés n'y trouvent rien à redire. »

Le représentant syndical, qui était à l'époque secrétaire de la CFDT métallurgie pour la Loire et l'Yssingelais, reconnaît que la stratégie adoptée a été prudente et réaliste :

« Il a optimisé les coûts fixes afin que l'entreprise renoue avec la croissance le plus vite possible et se mette à l'abri d'une nouvelle crise. C'est la preuve d'une vision à moyen et long termes que n'ont pas eue des entreprises industrielles locales, comme Mavilor ou Ackers. »

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