Cenntro Motors France : un plan social d'ici 3 à 6 mois ?

Il est à l’origine de la reprise de SITL, le 18 juin 2014, par le groupe américain Cenntro Motors. Huit mois plus tard, la confiance de Didier Verriest demeure mais se lézarde. Il avoue lui même que reprendre immédiatement 400 salariés « était une folie ». L'inquiétude et les désillusions enflent, et menacent davantage que le seul avenir d'une partie des emplois.
Didier Verriest, directeur de Cenntro Motors France reconnait une « situation plus difficile que prévue »

Le « patron » de Cenntro Motors France partage avec son prédécesseur Pierre Millet une même affabilité et, sur la foi de certaines confessions, inspire une confiance similaire. Didier Verriest, de nationalité américaine, est un professionnel reconnu de l'automobile et à ce titre fut décisif pour crédibiliser le projet de reprise de Cenntro. N'a-t-il pas exercé l'essentiel de sa carrière chez Renault Nissan, aux Etats-Unis puis en Asie, avant de retrouver Louis Schweitzer chez Volvo et d'intégrer en 2011 une « petite start up », Cenntro Motors Group, fondée par Peter Wang, un Sino-Américain ancien collaborateur de Bill Gates et qui a fait fortune dans le secteur des télécommunications ?

Une situation plus difficile que prévue

Né de mère française et donc parfaitement bilingue, Didier Verriest égrène une situation qui dissone gravement de la confiance que témoignent les pouvoirs publics, le préfet Jean-François Carenco en tête. Poussé dans ses retranchements, il concède qu'après six mois d'exercice « la situation est plus difficile que prévue », avoue que reprendre immédiatement 400 salariés « était une folie », reconnait que l'hypothèse d'annoncer un plan social « d'ici 3 à 6 mois » est plausible, décidera avec son employeur « au seuil de l'été 2015 si nous poursuivons notre engagement »... D'inédites et spectaculaires déclarations destinées à exercer quelques pressions bienvenues ou à prévenir publiquement d'une décision peut-être déjà actée au siège social basé au Nevada ?

La CGT radicale

Tout aussi inquiétant, s'il tient à saluer « la bonne volonté » de l'essentiel d'un corps social « formaté » pendant un demi-siècle et, selon le délégué CFE-CGC François B., « dont l'âge et l'ancienneté moyens frôlent respectivement les 50 et 25 ans », Didier Verriest accuse de substantiels retards dans la réorganisation de la production - « le déménagement des chaînes de montage aurait du s'effectuer en 6 semaines ; 6 mois plus tard le processus n'est pas achevé ».

Il fait aussi face à « d'importantes résistances au changement », et découvre « avec effarement » les singularités sociales d'un site historiquement théâtre de hautes luttes syndicales et dominé par une CGT jugée si radicale et si doctrinaire qu'elle n'a pas hésité à s'attacher les services du très dogmatique « avocat rouge » Fiodor Rilov ni à arracher la réprobation dans la bouche de quelque vice-président de la Région Rhône-Alpes partageant pourtant le même groupe sanguin, ni enfin à provoquer l'ire de Jean-François Carenco - « comment peut-on oser réclamer le versement d'un 13e mois quand les salaires sont pris en charge par l'Etat dans leur quasi intégralité ? »

Un choc des cultures sociales

Une réalité contestatrice que Didier Verriest reconnait « si éloignée » des pratiques que son président et lui ont cultivées aux Etats-Unis, qu'elle constitue désormais « un danger » pour l'accomplissement du processus de transformation du site et même un obstacle potentiel à la poursuite de l'engagement de Cenntro. Elle légitime également « l'important plan de robotisation » qu'il affirme déployer dans un second temps et qui justifiera l'essentiel d'une nouvelle vague d'investissements. « Quand vous voyez que sur la grosse vingtaine de caristes actuellement dans le confort du chômage partiel, seuls deux ont fait acte de candidature pour un poste d'agent d'expédition, quand le comité d'entreprise dissuade les salariés d'accepter des postes d'hommes d'entretien au nom d'un emploi « dégradant »... c'est aussi inacceptable qu'incompréhensible et que décourageant ». Incompréhensible comme également l'interventionnisme des pouvoirs publics et des politiques. Choc des cultures donc, à l'origine duquel il reconnait :

« Si nous avions eu une connaissance précise de la situation industrielle et sociale, jamais nous n'aurions formulé l'offre de reprise dans ces conditions ».

Dont acte.

Des mouvements de fonds suspects

D'autres particularités ou événements, cette fois propres au fonctionnement de Cenntro Motors France ou de son représentant, inquiètent et accréditent le qualificatif de « chasseur de primes » dont d'aucuns l'affublent. En premier lieu l'identité sociale de l'entreprise - immatriculée aux Iles Vierges britanniques et dotée d'un capital social de... 10 dollars -, et des mouvements de fonds suspects opérés dans les semaines qui suivirent la reprise des actifs de SITL. En effet, 6 des premiers 7,5 millions d'euros déposés dans ce cadre - sur un total théorique de 15 d'ici trois ans - « repartirent » vers des comptes étrangers, provoquant outre l'attention de Tracfin, la stupéfaction - toutefois très discrète et publiquement tue - des pouvoirs publics.

Des mouvements que Didier Verriest justifie officiellement par la nécessité de faire fructifier les fonds dans des territoires davantage lucratifs, et de mutualiser les leviers de trésorerie du groupe consolidé en fonction des besoins des différentes entités - basées, outre dans le Nevada et dans le New Jersey où sont concentrées les activités énergies renouvelables et systèmes d'injection, en Chine qui héberge la production annuelle de « 500 000 » moteurs diesel pour le compte notamment de John Deere, Caterpillar, Komatsu, etc., de transmissions et d'essieux ainsi que des scooters électriques, l'ensemble employant « 3 000 salariés » et produisant un chiffre d'affaires de « 700 millions de dollars ». Une « organisation financière » qui n'est pas sans raté, comme lorsque les salaires de décembre 2014 furent versés le... 9 janvier suivant.

En cause ? Peter Wang, bloqué en Chine pour des problèmes cardiaques, n'était pas en mesure de procéder au déblocage des fonds sollicités chaque troisième semaine du mois, et Didier Verriest dût accomplir en quelques jours et à la jonction des deux années un tour du monde via la Chine puis les Etats-Unis pour obtenir la signature du boss. Que le versement des rémunérations des employés français soit tributaire de la santé et de la mobilité d'un seul homme installé aux Etats-Unis et en Chine reflète-t-il une situation « normale » ?

Transfert technologique vers la Chine ?

Autres sources de préoccupation : la grande faiblesse des investissements à ce jour réalisés - « cela viendra, mais j'ignore encore ce qu'en 2015 nous allons consentir », confie, elliptique, le dirigeant, qui juge que l'architecture organisationnelle n'est pas suffisamment solide pour exploiter opportunément une telle manne  - ; le déficit d'organisation interne qui résulte de cette atonie et, selon François B., à la fois écartèle Didier Verriest, « toujours disponible pour tout le monde et concentrant toutes les responsabilités » et est de nature à hypothéquer l'accomplissement des objectifs ; enfin la réalité de l'activité véhicules électriques de Cenntro Motors. Plusieurs sources le déplorent : sur le site internet du groupe, cette activité d'une part est « réduite aux plans grossiers » du modèle Kombi EV, d'autre part fait état, comme seul produit « visiblement » fabriqué, du... Citelec français. Les rumeurs et allégations faisant état du transport vers la Chine d'un des rares modèles finis destiné à un transfert technologique maquillé, prennent dès lors une consistance nouvelle. « Oui, cette réalité pose problème et nous inquiète », concède confidentiellement un hiérarque du Grand Lyon.

300 postes promis en cinq ans

En dépit d'une situation d'ensemble qu'il constate lui-même très vulnérable et d'un climat social volcanique - « pendant la période de redressement, l'entreprise était devenue un champ de bataille, théâtre de calomnies, rivalités et coups bas exercés de l'extérieur pour la déstabiliser », affirme François B. -, Didier Verriest maintient, pour l'heure, ses objectifs originels. Les substantiels retards concédés dans le développement technologique, la production et la commercialisation des véhicules Citelec résultent, selon lui, de la cessation d'activité au printemps 2014 qui a « figé la dynamique », d'inévitables impondérables « en voie de résorption », et de la difficulté d'instaurer des méthodes de travail et des process décisionnels inédits.

Près de 120 salariés sont aujourd'hui à l'action - bureaux d'études, ressources humaines, logistique, achats -, la fabrication des véhicules électriques devait démarrer en février, celle d'une nouvelle ligne de scooters électriques en mars, celle des solutions de filtration en avril - conçues « avec succès » en interne après que le « prohibitif » contrat de délégation à un prestataire extérieur contractualisé par Pierre Millet ait été rompu -, cette triple fabrication devant ramener progressivement à l'emploi une partie des 280 autres salariés - 94 sont en invalidité ou « pré-retraitables » - aujourd'hui au chômage partiel. A terme, les activités « batteries » et « composants » devraient aussi voir le jour. « Nous pourrons alors honorer notre promesse sociale : l'emploi de 300 personnes dans les différents départements et, d'ici cinq ans, le doublement des effectifs », annonce le dirigeant. Croit-il ce qu'il affirme ?

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.