Sortir du nucléaire, un enjeu central pour la Suisse

Les autorités genevoises se lancent dans une bataille politique et juridique pour faire fermer la centrale nucléaire du Bugey. Pourtant, la Suisse produit et consomme elle-même ce type d'énergie. Ce combat n'est-il pas "schizophrène" ? Quelle est la politique énergétique suisse à long terme ? Sa stratégie visant à basculer vers les énergies vertes est-elle plausible ? Décryptage, alors que le peuple helvète pourrait être appelé aux urnes sur ce sujet courant 2016.
"Les autorités cantonales s'opposent par tous les moyens à leur disposition, dans la limite de leurs compétences, aux installations de centrales nucléaires, de dépôt de déchets radioactifs et d'usines de retraitement sur le territoire et au voisinage du Canton" de Genève, stipule la Constitution genevoise.

La Ville de Genève, conjointement avec le Canton, a mandaté l'une des meilleures avocates du droit de l'environnement de l'Hexagone, Corinne Lepage, pour adopter une approche plus offensive contre le nucléaire et intenter des actions en justice.

Une démarche qui a abouti à une plainte pour mise en danger délibérée et pollution des eaux à l'encontre de la centrale française du Bugey, dans l'Ain. Mais quelle est la situation énergétique en Suisse ? Le pays joue-t-il les hypocrites, voire les schizophrènes, ou a-t-il balayé devant sa porte ?

Les raisons d'une fronde

Le combat judiciaire genevois contre le nucléaire n'est pas récent. Ville et République de Genève ont adopté une attitude résolument antinucléaire depuis l'initiative populaire de 1986 qui proposait un programme de développement des énergies renouvelables. Ce combat a été renforcé par une modification constitutionnel en 2012.

L'article 169 de la Constitution genevoise, rappelle Antonio Hodgers, conseiller d'État en charge de l'énergie, stipule que "les autorités cantonales s'opposent par tous les moyens à leur disposition, dans la limite de leurs compétences, aux installations de centrales nucléaires, de dépôt de déchets radioactifs et d'usines de retraitement sur le territoire et au voisinage du Canton", explique Antonio Hodgers, conseiller d'État en charge de l'Énergie.

Et c'est bien cette notion de voisinage qui a motivé un dépôt de plainte pénale avec en ligne de mire la centrale française du Bugey située à 70 kilomètres. Celle-ci est en service depuis plus de 40 ans et produit 5 % de l'électricité française. Mais déjà épinglée par l'Autorité de sûreté nucléaire, l'installation inquiète les voisins helvètes par ses incidents répétés.

"La technologie nucléaire vieillissante qui nous entoure est un risque majeur pour notre population (500 000 habitants, NDLR) qui, en cas d'accident, serait touchée puisque nous serions dans la zone d'évacuation", insiste Antonio Hodgers.

Et d'ajouter :"La radioactivité ne s'arrête pas aux frontières". En filigrane : la polémique du "nuage" de Tchernobyl.

Lire aussi : Centrale du Bugey : un investissement de 27 millions d'euros

Le pari du renouvelable

"Nous nous engageons avec toute notre force dans une bataille politique et juridique de plus grande ampleur pour faire fermer le Bugey", martèle Esther Alder, maire de Genève.

Mais quid de l'approvisionnement en énergie ? Si le taux d'indépendance énergétique français est aujourd'hui de 50 %, c'est grâce à la production de près de 80 % de son électricité par 58 réacteurs nucléaires. Alors que la Suisse dépend, elle, à 78 % de l'étranger pour son approvisionnement en énergie primaire, quand 37 % de sa production énergétique passe par du nucléaire.

Il serait schizophrène de se battre contre des centrales atomiques et continuer d'importer de l'énergie nucléaire. Le Conseiller d'État genevois l'admet :

"Vouloir sortir du nucléaire serait une hypocrisie sans des efforts pour constituer une alternative énergétique. C'est pour cela que Genève, depuis des décennies déjà, n'importe plus de courant issu du nucléaire."

Plus aucune trace d'uranium dans le paquet d'approvisionnement des SIG, l'entreprise publique d'électricité, donc. Mais mieux, l'élu annonce que, dès 2017, la cité de Calvin aura atteint une distribution "100 % renouvelable". Pour le conseiller d'État, Genève devient la preuve que "s'il y a une vraie volonté politique, on peut se passer du nucléaire".

La Suisse sortira du nucléaire

Car au lendemain de la catastrophe de Fukushima, tant le Conseil fédéral que le Parlement se sont accordés sur le principe d'abandonner l'atome, l'inscrivant dans une "stratégie énergétique 2050" pour tout le pays.

Le Parlement a ainsi interdit toute construction de nouvelles installations nucléaires et ce sont cinq centrales qui seront abandonnées, pour un coût de démantèlement - incertain - estimé à 20 milliards, gestion des déchets incluse : Beznau I et 2, Gösgen, Leibstadt et Mühleberg. Cette dernière, du même âge et de même volume de production que celle du Bugey, fermera dès 2019.

Les Verts veulent limiter à 45 ans la durée de vie des sites existants et arrêter la dernière centrale en 2029 mais le gouvernement suisse s'y oppose. L'initiative populaire des Verts n'a pas été acceptée par les Chambres fédérales. En effet, mercredi 9 mars, le Conseil des Etats a décidé d'en recommander le rejet par 30 voix contre 12 et une abstention. Comme le Conseil national a pris la même décision, le texte sera soumis au peuple suisse courant 2016.

Le Conseil national préconise plutôt de laisser les installations fonctionner tant qu'elles sont  "jugées sûres". La commission de l'Environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie (CEATE) rejoint même le discours de Jean-Bernard Lévy, PDG d'EDF, en évoquant une prorogation au-delà de 60 ans.

Quel calendrier pour les énergies alternatives ?

Mais il s'agit maintenant de définir comment et à quel rythme l'éolien, la géothermie, le photovoltaïque ou l'hydraulique prendront le pas et c'est au Conseil des États d'empoigner le sujet.

Dans cette perspective, les centrales hydroélectriques, qui représentent aujourd'hui 60 % de la production, seraient largement encouragées, avec des coûts d'investissement couverts de 40 à 60 %. À titre d'exemple, le seul complexe hydroélectrique franco-suisse d'Emosson, près de Chamonix, permet, avec trois barrages et quatre centrales, de produire près de 3,5 millions kWh/an pour 51 000 l/s. Un seul litre d'eau peut ainsi générer de quoi éclairer une lampe de 40 W durant 5 minutes.

L'éolien, pour sa part, devrait représenter 10 % de la production suisse en 2050, bien que les nombreux recours aient empêché de construire des hélices ces deux dernières années.

L'enjeu est donc majeur pour la Suisse : trouver un équilibre pérenne en réduisant la consommation énergétique par personne de 16 % entre 2000 et 2020 et en investissant dans des énergies autres que fossiles ou atomiques.

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Commentaires 16
à écrit le 20/03/2016 à 8:31
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Les suisses sont très fort, ils savent reconnaître la nature du courant qui sort de leurs prises électriques ! D'ailleurs ils ont inventé un filtre qui enlève le courant d'origine nucléaire ( beurk) du bon courant écologique, qui sent bon l'honnête ...

à écrit le 19/03/2016 à 6:20
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Catégorie hypocrites ils se posent là. Les STEP suisses se gavent de charbon allemand et de nucléaire français qu'ils achètent à bas coût sur les marchés européens et revendent au prix fort à ces mêmes allemands et français lors des pointes de conso...

à écrit le 18/03/2016 à 23:14
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Tant que les voisins peuvent leur en vendre, pourquoi se compliquer la vie ? Où mettre des éoliennes en Suisse ? Il me semble que les turbines d'alternateurs ont été améliorées et les pales pour l'écoulement des fluides aussi, on peut améliorer un p...

à écrit le 18/03/2016 à 16:59
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Et bravo pour la belle photo d'Evian-les-Bains en Suisse :-)

à écrit le 18/03/2016 à 14:42
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bien joué les Helvètes

à écrit le 18/03/2016 à 14:41
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Pour être d'aussi mauvaise foi que les Suisses, on pourrait dire que ce Pays par ses pratiques bancaires à pollué le rendement fiscal d'un certain nombre de ses voisins Européens, et ainsi encouragé les détournements d'argent.....

le 18/03/2016 à 16:28
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Mauvaise foi... vous associez le nucléaire et la banque. C'est pas sérieux ! L'article est bon, mais les français ne comprennent rien au fédéralisme. Il s'agit d'une réaction de la République et canton de Genève, le plus "français" des cantons suisse...

à écrit le 18/03/2016 à 14:08
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Sacrée Suisse, qui nous reproche souvent d'être de grands donneurs de leçons...et là qu'est ce qu'on constate ? Que la Suisse se permet de déposer plainte contre une centrale nucléaire française dont elle importe l'électricité, alors même qu'elle a s...

à écrit le 18/03/2016 à 13:05
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La Suisse font du lobby antinucléaire comme les x mines font du lobby pro nucléaire . Merci aux suisses, ils éclairent ces ingénieurs arrogants qui n'ont que des certitudes !

à écrit le 18/03/2016 à 12:48
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Les suisses prétendent faire la loi chez leurs voisins maintenant ? Ont ils besoin d'un tour de vis supplémentaire de lutte anti-fraude fiscale ? Geneve sans ses banques serait une ville du tiers monde

à écrit le 18/03/2016 à 12:21
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Merci d'avoir precisé que 60% de l'electricité suisse est d'origine hydroelectrique. Avec l'appoint du biogaz,de l'eolien pour peu que le nimbysme regresse et surtout du solaire. la suisse a parfaitement les moyens de son ambition non-nucleaire. Rap...

le 18/03/2016 à 15:53
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Que des bonnes nouvelles !! Et en plus, avec le Franc fort, l'activité économique est en baisse donc moins consommatrice. Reste plus à la France de mettre le tapis rouge (comme dirait Cameron) pour accueillir les entreprises suisses désireuses de bai...

le 18/03/2016 à 15:53
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Que des bonnes nouvelles !! Et en plus, avec le Franc fort, l'activité économique est en baisse donc moins consommatrice. Reste plus à la France de mettre le tapis rouge (comme dirait Cameron) pour accueillir les entreprises suisses désireuses de bai...

le 18/03/2016 à 15:53
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Que des bonnes nouvelles !! Et en plus, avec le Franc fort, l'activité économique est en baisse donc moins consommatrice. Reste plus à la France de mettre le tapis rouge (comme dirait Cameron) pour accueillir les entreprises suisses désireuses de bai...

le 18/03/2016 à 15:53
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Que des bonnes nouvelles !! Et en plus, avec le Franc fort, l'activité économique est en baisse donc moins consommatrice. Reste plus à la France de mettre le tapis rouge (comme dirait Cameron) pour accueillir les entreprises suisses désireuses de bai...

à écrit le 18/03/2016 à 11:32
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La Suisse, Paradis Fiscal vieillissant est un enjeu majeur pour la population Française de 65 000 000 d'habitants.

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