Que mangerons-nous en 2050 ?

Les idées foisonnent lorsqu'il s'agit d'imaginer les aliments qui entreront au menu de demain. Comment nourrir neuf milliards d'hommes, à l'horizon 2050, avec les seules ressources de la planète ? Dans l'incubateur de l'Isara-Lyon ou au sein du technopole Alimentec, des ingénieurs mettent au point de nouvelles sources de protéines et réfléchissent aux prochains modes d'alimentation. Plongée dans les cuisines du futur.
Les insectes constituent l'autre apport protéinique qui donne des airs de fiction à notre assiette de demain.

Emmanuel Brehier et Benoît Plisson, dans la fraîche vingtaine, sont tous deux ingénieurs en agroalimentaire. Pour le déjeuner, ils ont préparé un steak à base de lentilles vertes du Puy, accompagné d'un gratin dauphinois et de quelques pousses de salade. Leurs fourneaux sont pour l'instant installés dans des lieux peu banals. Ils font partie de l'équipement du laboratoire test de l'Agrapole, l'incubateur de l'Isara (Institut supérieur d'agriculture et d'agroalimentaire Rhône-Alpes), à Lyon, qui rassemble des bureaux et une halle technologique dotée d'une mini-usine. Tous les deux sont le fruit de cet institut. En septembre 2014, ils ont créé leur entreprise, Ici & Là, dont la vocation est de valoriser les légumineuses cultivées dans les territoires (lentilles, pois, haricots, etc.) et bien connues des consommateurs occidentaux, en vue de réaliser des produits alimentaires riches en protéines.

Les protéines, élément essentiel

« Nous nous sommes rendu compte que de nombreux consommateurs réduisaient leur consommation de viande. Or les produits sur le marché sont surtout fabriqués à base de soja, avec une vocation plutôt diététique, destinés aux végétariens », constate Emmanuel Brehier.

Les deux associés visent essentiellement la restauration. Après un test effectué pendant quelques mois dans les établissements scolaires, la production devrait démarrer d'ici à la fin de l'année, dans une usine drômoise.

L'idée leur a valu de remporter en 2014, entre autres distinctions, le Concours national d'innovation, organisé par le ministère du Redressement productif en partenariat avec Bpifrance, dans la catégorie « Chimie du végétal, protéines végétales », un des axes d'avenir présentés par ce concours. « Si nous considérons les projets d'aliments biologiques, ceux impliquant des protéines représentent 80 % de notre activité », illustre Martine Boussier, responsable de Novalim, un établissement public qui accompagne les industries agroalimentaires sur le développement de nouveaux produits et de nouveaux procédés de fabrication, sur le technopole Alimentec, à Bourg-en-Bresse.

Emmanuel Brehier Benoît Plisson Ici&là

Dans les assiettes de demain, les légumineuses devraient avoir la part belle. Pour l'édition 2015 du concours Ecotrophelia, organisé fin juin à Avignon, se trouve, par exemple, en lice la première pâte à tartiner sucrée de légumineuses ou des pépites croustillantes de légumineuses pour le petit-déjeuner.

Des protéines végétales à toutes les sauces

Pour nourrir l'humanité, la piste des légumineuses n'est pas la seule face explorée pour trouver de nouveaux apports en protéines. « Nous constatons un large développement de la protéine végétale depuis 2013 », souligne Camille Ponchon, ingénieure en innovation agroalimentaire, chargée d'accompagner les projets étudiants en 5e année qui prétendent au concours Ecotrophelia pour l'Isara-Lyon. Novalim accompagne, par exemple, la société Afrideli vers le développement d'une filière autour du ndolé, une feuille légumière africaine, en vue de proposer une gamme de produits. « Une étude est à mettre en place pour vérifier l'apport de protéines », explique Nadège Perret, chargée de mission innovation chez Novalim.

En préparant l'alimentation de demain, plusieurs acteurs de l'agroalimentaire s'intéressent aussi aux algues, comme ingrédient permettant d'obtenir de la texture, et également au soja.

« Il existe des travaux de recherche sur les procédés de traitement pour ne pas dénaturer les protéines de soja », appuie Martine Boussier. « Le marché mondial des viandes végétales à base de protéines de soja se situe aux environs de cinq milliards d'euros », évalue Pierre Feillet, membre de l'Académie des technologies, émanation de l'Académie des sciences, directeur de recherche émérite à l'Inra.

Reprendrez-vous quelques larves ?

Les insectes constituent l'autre apport protéinique qui donne des airs de fiction à notre assiette de demain. La tendance, pour l'instant anecdotique, est pourtant amorcée. L'Agence nationale pour la recherche (ANR) finance, depuis 2013, le projet « Désirable », dans le cadre du programme Systèmes alimentaire durable (ALID), appuyant l'utilisation des insectes comme matière première.

Chez les ingénieurs, les idées fusent. Micronutris, à Toulouse, produit de la farine d'insectes pour une biscuiterie. Ynsect, une start-up installée dans l'Essonne, travaille depuis 2011 pour l'élevage automatisé d'un scarabée intéressant en termes de consommation de biomasse et de rendement pour viser le marché de l'alimentation animale. Lors du concours Ecotrophelia 2012, le prix spécial a été décerné au projet « Crikizz », porté par des étudiants de Montpellier Supagro, qui valorisent la protéine d'insectes dans une recette de chips.

« Il existe aujourd'hui de réelles volontés de mettre les produits à base d'insectes sur le marché de l'alimentation humaine. En France, certains produits ont été développés pour l'export hors Europe », appuie Martine Boussier.

Avant de partager un ratio qui appuie ce mouvement en termes environnementaux : « Avec dix kilogrammes d'aliments, vous produisez trois kg de porc, un kg de bœuf, cinq kg de volaille et neuf kg d'insectes, sans parler des quantités d'eau dépensées. »

Une législation encore floue

Si la recherche autour d'aliments à base d'insectes répond au besoin de produire des protéines de manière moins énergivore, qui en est réellement à l'origine ?

« La partie technique répond à la partie marketing. En tant qu'ingénieurs, s'il nous est demandé de développer la consommation des insectes, nous allons travailler pour que ce soit possible et bon. Si nous devons les utiliser, ce sera pour l'aspect nutritif, pas pour le côté divertissant et insolite », répond Camille Ponchon.

En somme, le ramequin d'insectes à l'apéritif du repas de famille est-il vraiment pour demain ? « Il faut attendre la validation d'un point de vue sanitaire avant une mise sur le marché européen », rappelle Nadège Perret.

La législation reste floue face à la consommation des insectes, ni autorisée ni interdite. Et l'Europe serait globalement frileuse, car il n'existe pas de tradition d'en consommer. Il subsiste donc encore un fossé entre la recherche et les rayons des primeurs. Jérôme Zlatoff, responsable entrepreneuriat et innovation à l'Isara-Lyon, détaille :

« Les insectes forment une future pépite pour l'entreprise qui arrivera à se positionner au niveau européen. En termes de procédés de fabrication, c'est réalisable. En termes de goût aussi. Mais les légumineuses mettront moins de temps que les insectes à faire leur place sur le marché en raison de cette barrière psychologique.»

« Certains parlent des insectes comme de substituts à la viande. Cela me semble un épiphénomène. Nous nous nourrissons directement ou indirectement de végétaux, ce qui représente en gros trois milliards de tonnes produites par an. La terre restera notre principale nourricière », estime Pierre Feillet.

À table sans ignorer l'écosystème

Il ne partage pas l'enthousiasme pour les insectes :

« Pour ingérer autant de protéines que dans un blanc de poulet de 100 grammes, il faut de 30 à 40 chenilles. Pour l'instant, le monde ne se nourrit pas d'insectes, sauf certaines tribus africaines. Il faut s'attendre à voir se développer l'utilisation d'insectes dans l'alimentation animale. Mais ce n'est pas ce qui nourrira le monde. D'autant que les insectes se sustentent aussi de végétaux et que notre principal défi est d'alimenter, d'ici à 2050, une population africaine qui va doubler. »

Retrouvez dès demain le deuxième volet de notre série sur l'alimentation du futur : "Quels marchés pour ces innovations alimentaires ?"

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