AS Saint-Étienne : une nouvelle stratégie à quitte ou double

Cette saison, le club stéphanois écrit un nouveau chapitre de son histoire, qu'il veut faire évoluer à tous les niveaux : sportif, organisationnel, infrastructurel, et en matière de formation. Une stratégie souhaitée par ses dirigeants qui entendent faire entrer le club parmi l'élite française, voire européenne. Une ambition osée d'autant plus que son budget (70 millions d'euros) est loin de pouvoir rivaliser avec les grandes équipes. L'heure est donc à la recherche d'un investisseur minoritaire. Un match compliqué à gagner, surtout que l'AS Saint-Etienne évolue sur un territoire en peine d'attractivité pour convaincre des candidats. Pari à double tranchant.
Roland Romeyer, président du directoire, et Bernard Caïazzo, président du conseil de surveillance. Une présidence à deux têtes.

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C'est un rêve qui se réalise. Ce jeudi 16 février 2017, plusieurs milliers de Stéphanois ont fait le déplacement pour se rendre dans la Mecque du football anglais, Manchester. À 21 heures, leur équipe, l'AS Saint-Étienne, rencontrera celle de Manchester United, dans le stade mythique d'Old Trafford. Dans les rues du centre-ville, autour et dans l'enceinte sportive, l'ambiance est survoltée. De mémoire de supporters britanniques, jamais un tel déchaînement et une telle ferveur n'avaient été observés.

« Your fans are incredible » (vos fans sont incroyables), écrira un supporter influent sur son compte Twitter. Le public, habitué des grands rendez-vous européens, est ainsi resté médusé par le spectacle donné par les supporters des Verts tout au long de la journée mais surtout dans les tribunes lors de la rencontre, et ce, malgré la défaite de leur équipe, trois buts à zéro. Une semaine plus tard, lors du match retour dans le Chaudron, les Red Devils montreront à nouveau leur supériorité, et remporteront la rencontre (0-1), se qualifiant pour les huitièmes de finale de la Ligue Europa, la petite Ligue des champions.

Objectif top 5

Deux défaites mais une victoire pour les supporters stéphanois sur le terrain de l'ambiance. Et surtout le sentiment de vivre la finale de la Coupe d'Europe de 1976 - que l'ASSE perdra un à zéro face au Bayern Munich - et qui restera dans les annales. Ils sont nombreux en effet à ne pas avoir connu cette période de l'épopée des Verts qui fera rêver la France entière, et que grands-parents et parents leur racontent depuis qu'ils sont nés. Rencontrer Manchester United s'est donc transformé en un rêve pour des générations avec un enthousiasme qui inonda tout le territoire pendant plusieurs jours. Saint-Étienne redevenait ce grand club européen. Après 32 ans de disette, sa victoire en finale de la Coupe de la Ligue en 2013 et un passage remarqué en Ligue Europa, Saint-Étienne est donc sur un nuage, et croit qu'il est possible de revenir parmi l'élite du football. L'euphorie sera de courte durée. Les Verts ne parviendront pas à raccrocher le wagon des clubs qui disputeront l'Europe pour la saison 2017/2018, terminant, en mai dernier, à la huitième place du classement de Ligue 1.

Néanmoins, les ambitions des dirigeants ne font aucun doute : ils veulent croire au destin européen et aspirent à atteindre, chaque année, le top 5 des meilleures formations françaises. Signe de retombées médiatiques et financières importantes. Bernard Caïazzo, président du conseil de surveillance de la SASP AS Saint-Etienne, et Roland Romeyer, président du directoire, sont dès lors bien décidés à y parvenir malgré un budget (70 millions d'euros) treize fois inférieur au total cumulé du trio de tête formé par le PSG (540 millions d'euros), l'OL (240 millions d'euros) et l'AS Monaco (170 millions d'euros).

Le changement c'est maintenant

Après avoir, ces sept dernières années, assaini le club, réussi à maintenir son équipe dans la première partie du classement du championnat et fait rêver toute une population, le tandem veut plus et a entrepris un vaste chantier d'évolution du club. « On ne pouvait pas rester dans la mouvance passée. Pour le bon fonctionnement du club, il faut aller de l'avant », estime Alain Martin, membre du conseil de surveillance. Un changement de stratégie a été opéré à tous les étages de la fusée verte, qu'explique Roland Romeyer dans un grand entretien à retrouver sur le site acteursdeleconomie.com.

Une nouvelle direction générale a été nommée dès 2016 pour le conduire, et les premières actions ont été menées avant le lancement de la saison 2017/2018. Sur le plan sportif, l'AS Saint-Étienne a changé d'entraîneur avec l'arrivée d'Oscar Garcia, a été actif sur les transferts de joueurs, et a montré sa détermination à développer et soutenir le centre de formation avec la nomination d'un ancien joueur, Julien Sablé, au poste de directeur général. Des évolutions qui doivent produire des résultats tant sur le terrain que dans les caisses du club. Se pose néanmoins la question de la capacité de l'AS Saint-Étienne à pouvoir exaucer ce rêve de devenir un grand club européen.

L'ambition de ses deux dirigeants n'est-elle pas trop gourmande ? Doté d'un budget moyen, Saint-Étienne peut-il rivaliser avec les PSG, Marseille, Monaco ou encore l'Olympique Lyonnais ? Est-il un club assez séduisant pour attirer un investisseur chinois, qatari, américain au vu d'un territoire moins attractif que ces grandes métropoles ? Finalement, l'ASSE n'est-il pas voué à demeurer un club populaire, au modèle économique exemplaire, réussissant certaines années des exploits ? Les avis sont partagés, au sein même de l'établissement ligérien.

Un club si particulier

Il serait difficile de dupliquer les modèles d'autres équipes à l'AS Saint-Étienne tant ce club est particulier. L'ASSE, c'est d'abord un riche passé et une ferveur populaire qui font vivre tout un département et en ont fait sa renommée, mais aussi un héritage dur à porter. L'ASSE, c'est un territoire : Saint-Étienne. 18e ville de France, elle met tout en œuvre pour se moderniser et devenir attractive. L'ASSE, c'est aussi un modèle économique particulier avec la mise en place, entre autres, du salary cap, reconnu pour avoir permis de maintenir la solidité financière de la société. Mais une règle qui atteint sans doute ses limites quand les ambitions s'annoncent plus grandes et que les autres clubs attirent des joueurs à coups de millions. Enfin, l'ASSE, c'est une présidence un peu particulière « qui fait bonne figure », composée de deux présidents ayant réussi à stabiliser un club traversant une grave crise mais dont l'avenir en l'état reste incertain si un nouvel actionnaire entrait au capital de la structure.  « Voudront-ils laisser un peu de place ? », se demande un journaliste sportif.

La vie du club le plus populaire de France n'est donc pas un long fleuve tranquille. Rumeurs, fantasmes, personnalités contrastées et contestées, affaires l'entourent (lire encadré). Et un changement de stratégie conduit (donc) inévitablement à son lot d'inquiétudes. Le tandem le sait, et bien qu'ils aient des désaccords et une vision parfois différente, Bernard Caïazzo et Roland Romeyer espèrent ne pas retomber dans les travers que le club a connus par le passé (caisse noire, crise interne de 2009/2010...). D'autant plus que si les résultats à venir ne sont pas au rendez-vous, la situation pourrait vite devenir explosive. Les deux hommes étant de nature diamétralement différente. La pérennité du club s'écrit donc dans cette nouvelle stratégie qui donnerait à l'ASSE une autre dimension.

Stabilité

Le club connaît une période relativement calme et saine. L'organisation générale a été remise à plat, l'image du club montre une nouvelle embellie. Sur le terrain, les résultats ont suivi et la trésorerie avec, grâce à la baisse de la masse salariale. Une stratégie pilotée dès 2010 par Stéphane Tessier. Recruté comme directeur général à l'époque, c'est à lui que revient de faire en sorte que « l'ASSE retrouve le top 8 des clubs français ». « Le précédent cycle stratégique reposait sur l'acquisition de joueurs chers avec un budget basé sur les résultats sportifs. Seulement, lorsqu'ils ne sont pas au rendez-vous, cela conduit à de grandes difficultés », se souvient-il. Le duo qu'il forme avec Christophe Galtier, l'entraîneur (il quittera son poste à la fin de la saison 2016/2017), porte ses fruits et permettra au club « d'être qualifié à quatre reprises en Coupe d'Europe et de gagner un titre (Coupe de la Ligue) », se félicite-il.

Au cours de cette période, l'ASSE a ainsi « tué le père »en quelque sorte, et inscrit son nom dans le football moderne, « tout en s'infligeant des règles précises, parfois contraignantes », souligne Pierre Rondeau, économiste du sport. Mais rapidement, la vision entrepreneuriale des dirigeants est ailleurs.

« Ils ne voulaient plus se contenter d'être un club récurrent du top 8 du championnat de France mais ambitionnaient d'atteindre le top 5 voire 3, ce qui est légitime en tant que patrons. Mais je n'étais pas capable de piloter ce nouveau changement. J'ai donc préféré quitter le club en 2015 », explique Stéphane Tessier.

Avec le sixième budget de Ligue 1, le challenge est relevé. Pour beaucoup, il faut savoir rester conscient de ses capacités. L'AS Saint-Étienne serait ainsi à l'image de son territoire, de son public, de son économie : un bon club, humble, ni plus ni moins.

« Les quarts de finalistes de Ligue des champions sont les clubs des quinze grandes villes les plus attractives d'Europe. Saint-Étienne est la 18e ville de France, cela ne permet pas de jouer dans la cour des grands, annonce Stéphane Tessier. C'est pourquoi, je pense avoir mené le club là où il me semble juste qu'il doive être. Mais je lui souhaite d'y arriver. » « Son ADN est la Coupe d'Europe, il faut donc un budget plus important et une formation de qualité », maintient un ancien joueur.

Pour pouvoir viser (très) haut, des moyens sont nécessaires. Là réside la faiblesse du club ligérien.

Investir, quel intérêt ?

« L'argent se trouve dans les grandes villes attractives, c'est un constat », estime un ancien cadre du club. Quelques millions d'euros ne seraient désormais sans doute pas suffisants face à des budgets qui dépassent les neuf zéros. C'est pourquoi « son modèle de barème des salaires ne lui sera pas favorable pour se qualifier pour la Coupe d'Europe. Il le serait si tous les clubs l'appliquaient », analyse Pierre Rondeau.

Dans un entretien à Eurosport, Bernard Caïazzo avait promis de lever cette pratique : « Certains freins au développement des Verts vont sauter. En particulier le salary cap qui contenait les salaires des joueurs (hors primes) en dessous des 90 000 euros mensuels. » Une mesure qui semble être levée depuis quelques semaines puisque le club prend en charge entièrement les 220 000 euros mensuels de salaire de sa dernière recrue, Rémy Cabella. « Avec un budget inférieur, on peut tout de même faire de belles choses », pense Alain Martin.

D'autant plus que le maire du Pouzin (Ardèche) ne veut pas croire que seul le « tout argent » permet de mener à la réussite, ce qui ferait « perdre les valeurs du club ». « Je préfère des joueurs achetés un million d'euros plutôt que dix. On perdrait en qualité humaine. Je ne suis pas favorable au football et ses millions mais plutôt à celui que nous avions autrefois. »

Se pose surtout la question du profil d'investisseur intéressé pour apporter une somme importante. « Dix à vingt millions d'euros pour un transfert, c'est désormais peu. Qui peut mettre plus, et surtout dans quel intérêt ici ? », demande Stéphane Tessier. Des projets plus ou moins sérieux ne se sont jamais concrétisés. L'histoire du club et la valeur affective ne suffisent pas à convaincre le futur actionnaire, d'autant plus que la situation du territoire ne faciliterait pas la tâche. Alain Martin, favorable à un investisseur « français » plutôt qu'« étranger », le reconnaît : « Les sommes ne sont pas colossales car nous sommes à Saint-Étienne.

"Gestion pépère"

Finalement, « la gestion un peu pépère du club, n'est-ce pas l'idéal ? Le modèle développé depuis 2010 représente bien, au fond, Saint-Étienne et sa ville. Il a porté ses fruits », estime Claude Chevally, journaliste à L'Équipe, en poste à Saint-Étienne de 1976 à 2011. Les dirigeants ne le voient pas ainsi et persistent dans l'idée de trouver l'homme providentiel qui insufflera une bouffée d'oxygène.

Non contents de tenter d'ouvrir le capital, ils ambitionnent aussi de devenir propriétaires du stade Geoffroy-Guichard afin de bénéficier directement des retombées de l'équipement. Seulement Saint-Etienne Métropole, son propriétaire, ne le voit pas de cet œil (lire encadré). S'ils y parvenaient, iraient-ils jusqu'à proposer un naming au stade ou au centre de formation ? Tout est envisageable. L'exemple lyonnais n'est ainsi jamais bien loin. Grande gloire du passé, l'ASSE a laissé, ces dernières années, ce rôle à son voisin lyonnais et veut désormais le lui reprendre, gagner des titres et faire rêver des générations.

La saison 2017/2018 sera un bon indicateur de la manière dont s'engage sa trajectoire. Si, avec ce nouveau cycle, le club parvient à se maintenir dans les cinq premiers du championnat, le montant des droits TV sera ainsi revu à la hausse et la compétition européenne sera de retour la saison suivante. Des arguments de taille pour susciter la curiosité d'investisseurs étrangers. Dès lors, l'espoir des dirigeants de caresser l'élite du football européen prendrait forme, avec ce sentiment d'être parvenu à un exploit. Cependant, les luttes de pouvoir qui entourent la vie du club pourraient-elles être une menace pour atteindre ce rêve ?

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