Comment les clusters sont-ils devenus des réservoirs d'influence

Clusters, pôles de compétitivité, grappes d'entreprises... entrepreneurs et dirigeants y adhèrent pour booster leurs affaires et développer leurs innovations. Ces structures, devenues de véritables laboratoires d'idées et groupes de réflexion au point de s'élever au rang de think tanks régionaux, connaissent une transformation singulière et constituent désormais une indéniable source d'influence.
Une rencontre du Pôle Lumière

Dès la création d'Elsalys Biotech, en 2013, Christine Guillen, la fondatrice de cette startup, rejoint sans hésiter le pôle de compétitivité Lyonbiopôle (200 adhérents). L'ancienne collaboratrice de Transgene (la startup est un spin-off du laboratoire) connaît déjà, par ce biais, les activités du cluster.

"Adhérer était une évidence, se souvient-elle. C'est une vraie force pour combler le gap, une source d'échanges permanents, de liens, d'information. Cela m'a permis d'être mise en relation avec des partenaires, de finaliser des projets scientifiques et de préparer mes levées de fonds."

Notamment le projet à 10 millions d'euros qui devrait aboutir au milieu de l'année 2017. Comme elle, plus de 70 000 entreprises font partie des 200 clusters, 71 pôles de compétitivité et 127 grappes d'entreprises français (les chiffres varient régulièrement en fonction des fusions). À ce titre, la région Auvergne-Rhône-Alpes est l'une des premières contributrices, avec près de 50 structures actives.

Les entreprises poussent d'abord la porte d'un cluster pour "enrichir leur réseau". Entendre ici, "pour booster leur business". "Être présent dans un cluster à des effets concrets : on note une augmentation de 5 à 7 % du chiffre d'affaires des entreprises adhérentes", rappelle Nicolas Millet, directeur de l'industrie, de la compétitivité et des territoires à la CCI Lyon Métropole Saint-Étienne Roanne. L'institution, qui travaille actuellement à l'émergence de nouvelles filières (communication, bureaux d'étude, cosmétologie, entreprises du patrimoine vivant) est déjà à l'initiative de plusieurs clusters, dont certains devenus des pôles nationaux, comme les clusters Lumière (filière de l'éclairage, 170 adhérents) et Eden (filière sécurité-défense).

"En 2008, nous étions un petit groupe d'entrepreneurs qui voulions nous développer à l'export, se souvient Jean-Luc Logel, président du cluster Eden et de Centralp, fabricant de systèmes électroniques embarqués, mais surtout exister face aux grands groupes."

 Aujourd'hui, le cluster regroupe 140 PME françaises (un milliard d'euros de chiffre d'affaires, 10 000 emplois en France) et favorise toujours la croissance de ses membres. "Je l'ai rejoint au moment où j'ai décidé d'ouvrir l'entreprise à d'autres marchés connexes. Je trouvais moins risqué de se développer par ce biais. Le cluster m'a permis d'apprendre les codes du secteur", souligne Guillaume Verney-Carron, directeur général du fabricant d'armes de chasse et fusils automatiques éponyme basé à Saint-Étienne.

Ouverture

Pour les TPE-PME, qui constituent la majorité des adhérents des clusters - jusqu'à près de 95 % au pôle de compétitivité Mont-Blanc Industrie - "l'essentiel est de ne plus être seul, résume Laurence Dumazer, cogérante d'Alpes Usinage, fabricant de composants mécaniques basé à Marnaz, en Haute-Savoie, et trésorière de ce pôle. Il n'est pas facile d'exister dans notre milieu, très concurrentiel. Nos moyens sont différents, alors que l'exigence du marché, de qualité et de prix est la même pour tous".

C'est là, pour Xavier Roy, directeur général de France Cluster, un réseau national de 150 pôles et clusters français dont le siège se trouve à Lyon, l'un des piliers de la nécessité de ces lieux : "La principale valeur ajoutée d'un cluster reste sa capacité à faire "sortir la tête du guidon ses chefs d'entreprise. La majorité détient de petites unités. Ils ne disposent pas toujours des ressources pour prendre le recul nécessaire. Et la principale motivation du chef d'entreprise est de sortir de son isolement, de partager de l'information, de mieux connaître et de s'intégrer dans son environnement."

Une ouverture amorcée par le pôle de compétitivité Lyonbiopôle. Traditionnellement réservé aux acteurs de l'innovation du secteur de la santé, le pôle a créé, début 2017, un statut de membre-associé. "Il s'agit d'un second cercle de compétences et de structures, pas directement pourvoyeur d'innovations, mais qui porte un intérêt à nos activités. L'idée est de structurer un réseau d'acteurs apportant de l'expertise et des compétences nouvelles", explique Florence Agostino-Etchetto, directrice générale de Lyonbiopôle.

Esprit de confiance

Car il ne s'agit pas seulement de réaliser des affaires pour soi. "Le cluster, c'est un état d'esprit collectif. S'aider les uns les autres, s'unir et se connecter pour faire des choses ensemble. Un cluster actif, c'est une communauté de destin", analyse Jean-Philippe Ballaz, délégué du cluster Race (filière du offshore, 60 adhérents), également présent lors de la création du cluster Eden. Néanmoins, le fonctionnement repose sur un triptyque : bienveillance, intégrité et confiance.

Générer cette confiance est essentiel pour passer à l'action", renchérit Jean-Marc André, directeur général du pôle de compétitivité Mont-Blanc Industries (315 adhérents), qui s'appuie sur une charte de valeurs communes. Et qui, en marge de son activité, a lancé un "club BouRSE" pour favoriser les échanges de bonnes pratiques économiques non-marchands et basé sur la confiance. "Malgré notre réseau de fournisseurs, il est très intéressant de pouvoir monter des projets avec des gens de confiance, en proximité", souligne Philippe Geoffroy, adhérent et directeur de l'innovation technologique et de la propriété intellectuelle du groupe de domotique Somfy.

Plus que les affaires, la veille technologique et l'information en abondance "constituent une vraie richesse intellectuelle quand l'appartenance à un cluster est envisagée comme une vie associative. Bien sûr, il faut s'investir, donner de son temps. Mais c'est nécessaire si l'on veut, en contrepartie, retirer de la substance", conclut Philippe Lespagnol, directeur général du spécialiste de la signalétique Lenoir Services et adhérent au cluster Lumière.

Laboratoire d'idées et d'actions

"L'autre vocation du cluster, c'est de comprendre et d'anticiper les tendances. Il ne faut pas avoir peur de sortir de son confort thématique pour s'ouvrir à la diversification du marché", poursuit Xavier Roy. Pour aider les entreprises à collaborer, à faire émerger l'innovation et de nouveaux concepts, la plupart de ces structures organise la mise en relation. Des ateliers de travail thématisés ponctuent leur quotidien. "Tout l'art consiste à animer ces réunions pour que du contexte de réflexion émergent des actions et des projets. Il faut placer les bonnes personnes autour de la table", estime Patrick Clert-Girard, délégué général du cluster Lumière.

Concrets, pragmatiques, ces ateliers donnent lieu à de multiples initiatives, connexions entre grands groupes et PME ou projets inter-entreprises. Emmanuel Caël, fondateur de Nature et Confort, adhérent au cluster Lumière, a déjà imaginé un produit en collaboration avec une autre entreprise. Mais surtout, il vient de monter une conférence sur les enjeux de l'éclairage naturel à Paris. "Sans le poids et le réseau du cluster, il est évident que nous n'aurions jamais pu toucher et rassembler autant de monde. Seul, je suis inaudible", estime le président de cette TPE de cinq personnes. Les plus entreprenants se lancent, quant à eux, dans l'organisation de grandes journées collaboratives.

Source d'influence ?

"Quel sera l'avenir du spectacle vivant ?" ; "Peut-on articuler respect de la vie privée et développement des drones ?" ; "Comment travailler ensemble sur la santé connectée ?" ; "Quelles perspectives pour le marché de l'hydrogène en France et dans le monde ?" ; "Quelles prospectives sur les métiers pour les entreprises industrielles et leur attractivité auprès des jeunes ?". Autant de sujets qui sont actuellement à l'étude dans les clusters de la région.

"Depuis 10 ans, ces structures mélangent petites et grandes entreprises, créent une vraie chaîne de valeur, ouvrent de sérieux débats et sont des lieux de réflexion sur l'avenir", estime un consultant habitué à intervenir dans ce type d'organisation.

"De par leur façon d'aborder les problématiques, certains se positionnent clairement comme des think tanks. Et faire remonter les besoins des entreprises pour influer les politiques publiques constitue une forme de lobbying", estime Xavier Roy. Ainsi, le cluster Eden a déjà contribué au Livre blanc de la défense et n'a pas hésité à monter au créneau en faveur du crédit impôt recherche dans l'industrie. "Nous avons clairement réussi à faire évoluer le cadre législatif et influencé les mesures nécessaires pour développer les industries de défense", assure Jean-Luc Logel. Quant au cluster Lumière, il est à l'origine de l'émergence du label national Certiled de certification des performances des luminaires LED. D'autres restent plus nuancés. "Nous ne sommes pas un think tank et n'avons pas vocation à l'être, modère Florence Agostino-Etchetto. Cela ne veut pas dire que nous ne réfléchissons pas en interne, mais nous préférons porter l'innovation par l'action."

Organismes vivants qui évoluent dans le temps, les clusters ont entamé leur mue. Face à des politiques publiques qui déclinent, confrontés à la baisse des dotations publiques, jusqu'ici principaux financeurs, ils ont inventé, à coup de fusions, d'associations, de multiplications de services et de lieux d'accueil, leur propre modèle économique. Prémices, peut-être, à leur véritable indépendance d'esprit. Et gage de leur capacité d'influence.

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