Filière numérique : les leçons du 2e observatoire en Auvergne-Rhône-Alpes

Le deuxième observatoire de la filière numérique en Auvergne-Rhône-Alpes révèle les dynamiques positives à l’œuvre dans ce secteur qui représente désormais environ 60 000 emplois, en hausse de 5 000 postes par rapport à la première étude. Consulté en exclusivité par Acteurs de l’économie – La Tribune, ce document de référence met aussi en lumière les lacunes qui freinent l’expression du formidable potentiel des entreprises du numérique. Décryptage.

Lorsque l'ambition affichée de la région Auvergne-Rhône-Alpes est de devenir "la Silicon Valley européenne", le minimum pour atteindre ce dessein est de connaitre ses forces et ses faiblesses. Et à ce titre, la deuxième édition de l'observatoire de la filière numérique en Auvergne-Rhône-Alpes, consulté en exclusivité par Acteurs de l'économie - La Tribune, apporte des éléments de réponses. Cette étude confirme une dynamique à l'œuvre depuis plusieurs années, portée par des indicateurs performants - à l'instar de celui de l'emploi -, mais pénalisée par des déficits structurels : formation ; internationalisation ; freins culturels, qui empêchent "la machine" de tourner à plein régime et de réaliser son potentiel emploi.

Une filière qui créée massivement des emplois

Car la dynamique de la filière numérique - cette dernière regroupe les logiciels, les services et les télécommunications - est bien là : "La région surperforme en matière de création d'emplois les entreprises du numérique d'Auvergne-Rhône-Alpes ont créé près de 6 000 emplois entre 2011 et 2015, soit quasiment autant qu'en Île-de-France. Compte tenu des tailles respectives des filières régionales (60 000 contre 268 000), cela correspond à une croissance de 10,8 % en Auvergne-Rhône-Alpes contre 2,3 % en Île-de-France dans le numérique", relève l'étude proposée par la région Auvergne-Rhône-Alpes, le cluster Digital League et E&Y. 59 % des 189 entreprises interrogées déclarent avoir connu une progression nette du nombre d'emplois, et 32 % une stabilisation. "La croissance du secteur, affichée déjà dans la première édition de l'observatoire, s'accélère encore", appuie Eric Angelier, directeur général de Digital League, premier cluster de France qui fédère plus de 500 entreprises dans la région. Sur la période 2010-2014, le nombre d'emplois était en hausse de 9 %, à 4 700 emplois.

"Les politiques menées soutiennent l'activité, les animations des différents réseaux aident la filière, et la culture entrepreneuriale du secteur sont autant d'atouts qui permettent ces bons résultats", détaille le directeur général.

Dans le détail, ce sont particulièrement les briques logiciels, services et jeux qui tirent cette croissance. Elles enregistrent une progression de 16,6 % sur la période et concentrent 47 00 des 59 905 emplois de la filière en Auvergne-Rhône-Alpes. À titre de comparaison, la région Occitanie possède quant à elle 39 000 emplois. Fait marquant, les 5 900 nouveaux emplois créés dans le numérique en Auvergne-Rhône-Alpes "compensent" les destructions de poste dans l'industrie, chiffrées à un peu moins de 6 000 sur la même période. "Cette tendance démontre une mutation sensible de l'économie régionale", commente Eric Angelier. L'Insee estimait quant à elle, en mars, la perte d'emploi industriel à 10 000 par an depuis 2008.

Des disparités sont tout de même à noter au sein de la grande région. 81,5 % des emplois sont concentrés dans les métropoles. Le Grand Lyon fédère 33 427 salariés sur numérique, en hausse de 15,9 %, suivi par Grenoble Alpes métropoles, avec environ 8000 emplois, en hausse de 5 %. Enfin, les entreprises du numérique se disent optimistes : 83 % projettent une augmentation de leur chiffre d'affaires.

Un marché de l'emploi sous tension et une formation défaillante

"Le grand paradoxe est que le secteur surperforme, et pourtant, il rencontre de grandes difficultés pour recruter, rappelle le responsable de Digital League. Cela constitue un frein au développement des entreprises". C'est en ce sens que ce deuxième observatoire s'intitule "Numérique : la course au recrutement". Selon certaines données, entre 5 à 6 000 postes seraient en tension. Illustration à travers des chiffres de l'étude : en 2016, 43 % des entreprises questionnées déclarent avoir eu au moins un poste non pourvu ; 70 % des entreprises estiment éprouver des difficultés à attirer des talents ou à trouver des salariés bien formés. D'autant plus que la demande des entreprises se tourne vers des postes hautement qualifiés, entre Bac + 5 et Bac +8, et que la brique formation rencontre des difficultés, aussi bien dans l'offre que dans la demande. À cela s'ajoute l'évolution rapide des compétences et des techniques. "Un décalage entre l'offre des établissements et la demande des entreprises existe. L'offre et la demande sont déconnectées", martèle Eric Angelier.

Concernant l'offre, plusieurs éléments peuvent être mis en avant, notamment dans les formations publiques : la rigidité de la pédagogie liée à la dépendance au ministère de l'Enseignement supérieur freine par exemple les établissements dans l'élaboration de leur cursus. "Les écoles publiques subissent des soucis de flexibilité dus à leur statut [...] Nous sommes limités pour des raisons de budget et de temps de mise en place de nouvelles formations", explique Eric Maurincomme, directeur de l'Insa Lyon, qui envisage de proposer des formations...en ligne pour faire face aux contraintes.

Pour Brigitte Plateau, présidente de l'INP Grenoble, "les entreprises présentent des demandes parfois trop précises auxquelles les organismes de formation ne peuvent pas répondre. En effet, notre objectif est de donner une capacité de recul d'une décennie sur les technologies, et non la maitrise immédiate d'une de celles-ci en particulier. Dans la construction de l'offre de formation, un équilibre doit être atteindre entre cette capacité d'adaptation et les besoins techniques précises".

À ce titre, pour réduire les délais de formation et gagner en flexibilité, de nombreuses structures privées émergent, particulièrement à Lyon. Aussi, la politique régionale du numérique, portée par Juliette Jarry, souhaite aller dans cette direction. Ainsi, l'École 101, qui s'inspire de l'École 42 de Xavier Niel, vise à fournir à des étudiants un cursus très court tout en leur donnant des compétences techniques en adéquation directe avec les nécessités des entreprises. L'objectif est par exemple de répondre au besoin des 23 % des sociétés qui ont prévu de recruter des profils, moins qualifiés, de bac +2/3. Plus globalement, le campus numérique, qui hébergera l'École 101, visera à soutenir la formation continue et la reconversion professionnelle. "Ce sont deux outils qui ont vocation à se développer dans le numérique pour répondre à la demande des entreprises", souligne dans l'étude Olivier Coone, délégué à la formation au Syntec Numérique.

Pénurie de candidats

Le contenu des formations et le manque d'adéquation sont-ils le seul frein ? Non. "Le problème est plus complexe. Il apparait en réalité que le système de formation subit lui aussi une pénurie de candidats", est-il écrit dans le document. Faute de candidats, les écoles n'arrivent pas à fournir les volumes dont les entreprises ont besoin. "Le numérique souffre d'un vrai déficit d'attractivité. Il faudrait agir dès l'enseignement secondaire pour casser l'image du geek", assure Brigitte Plateau.

"Il existe une certaine schizophrénie sociétale entre l'image "ringarde" ou geek du développeur et celle de héros que certains entrepreneurs du numérique - développeurs à la base - possèdent suite à leur réussite. Il faut trouver le juste milieu", approfondie Eric Angelier.

La révolution dans les consciences appelée par les acteurs du secteur à travers l'émergence d'une "vraie culture numérique", doit également concerner l'affirmation suivante : les métiers de codeurs/développeurs sont des métiers à destination des femmes, alors qu'elles sont aujourd'hui sous-représentées dans ces métiers.

L'international, un handicap

Un autre élément culturel vient se greffer et freine le développement des entreprises de la filière numérique en région, selon l'étude : "l'international reste un handicap". Et pour cause, seulement 19 % des entreprises interrogées estiment que l'un des principaux leviers de croissance réside dans le développement de leur chiffre d'affaires à l'export, quand 6 % envisagent une implantation à l'international. Par cette faible présence étrangère, il est donc difficile d'attirer de nouveaux talents internationaux, qui pourraient, dans une certaine mesure, combler le manque de main-d'œuvre qualifiée. D'autant plus que la concurrence mondiale est rude, et que des territoires sont plus attractifs.

Pour preuve, la région Auvergne-Rhône-Alpes se classe seulement au 18e rang des régions européennes en fonction du nombre de projets d'investissement étrangers attirés sur leur territoire. Seulement 27 projets internationaux liés au numérique se sont concrétisés dans la région, contre 601 pour le Grand Londres (1er), quand l'Ile-de-France, deuxième, en a aspiré 236. La route est donc encore longue pour que la région Auvergne-Rhône-Alpes soit référencée comme la "Silicon Valley européenne", même si une dynamique indéniable est à l'œuvre.

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