Réglementation : une opportunité pour entreprendre ?

La réglementation n’est pas toujours une contrainte : des entrepreneurs opportunistes s’en emparent pour créer leur activité sur une niche et commuer ces obligations en atouts concurrentiels. Reste qu’un tel pari peut s’avérer risqué, comme l’a démontré le secteur, hier flamboyant aujourd'hui anéanti, du photovoltaïque. Dès lors, tous les moyens sont bons pour anticiper un revers.
MyEasyCode, spécialisé dans l'auto-formation au Code de la route, n'attendait qu'un cadre légal pour se créer.

Qu'il s'agisse d'une auto-école créée en zone franche pour proposer les meilleurs services au prix le plus bas ou bien d'un fabricant de cheminées à foyer ouvert qui profite d'un crédit d'impôt pour concurrencer des marchés convexes, la réglementation peut parfois se révéler une véritable opportunité d'affaire pour ceux qui en décèlent les avantages. Le fondateur de Finoptim, Baptiste Ploquin, s'est ainsi rendu compte que le projet du dernier Plan de protection de l'atmosphère (PPA) d'Île-de-France visant à interdire les cheminées à foyer ouvert créait, de fait, un marché pour ses deux produits, lesquels proposent de réduire les émissions polluantes.

"C'était à la fois une opportunité et un risque important, reconnaît-il. Sans la réglementation, nous serions certainement partis créer notre entreprise à l'étranger."

La start-up grenobloise Pharmanity s'est elle aussi créée pour répondre à une double contrainte fixée par la loi, interdisant aux pharmacies de faire de la publicité. "Nous nous sommes demandés comment donner de la visibilité aux pharmacies de proximité. Et c'est lorsque l'État a autorisé la vente en ligne des médicaments, début 2013, que l'opportunité s'est présentée", explique Samuel Mottin, son cofondateur.

Une opportunité pour les nouvelles idées

La fondatrice de MyEasyCode, Nadège Lombardo, avait elle aussi une idée qui n'attendait plus qu'un cadre légal. "Gérante d'une auto-école, j'ai constaté qu'il n'existait aucune réponse au besoin d'auto-formation au Code de la route. J'ai anticipé en construisant mon offre afin que tout soit prêt lorsque la réglementation allait sortir." Après avoir lancé un premier service uniquement sur Grenoble, la loi Macron lui a permis de toucher un marché national, notamment des clients parisiens. "Depuis cette loi, je suis en pleine croissance, j'ai triplé le nombre d'inscriptions." Même chose pour Jérémy Ruet, fondateur de la plateforme de prêts entre particuliers Studylink, dont le concept est né grâce à cette loi qui "établit un cadre réglementaire pour le financement participatif, permettant aux particuliers de prêter de l'argent, avec ou sans intérêts, à d'autres particuliers". Les exemples sont pléthoriques.

"Par définition, l'entrepreneur est un innovateur qui s'engage sur des terrains nouveaux, pas toujours couverts par le droit. Cette zone d'incertitude est donc naturelle", résume Philippe Silberzahn, professeur à emlyon business school et chercheur à l'École polytechnique, dont les travaux portent sur la façon dont les organisations gèrent les ruptures et les situations d'incertitude radicale.

Une occasion d'aller explorer de nouvelles pratiques et d'imaginer des situations nouvelles.

"Si les choses ne sont pas anticipées, la réglementation peut être envisagée négativement, mais il existe des entrepreneurs qui savent tirer leur épingle du jeu et s'adapter pour les saisir", observe Hugues Poissonnier, économiste et docteur en sciences de gestion à Grenoble École de management.

Il cite en exemple le secteur des transports : la norme de réduction des émissions de CO2 a permis aux constructeurs français de faire la différence par rapport à leurs homologues étrangers, à travers la production de petites cylindrées. "Pour autant, baser toute la stratégie d'une entreprise sur une évolution réglementaire peut s'avérer très dangereux", rappelle-t-il.

Des risques inhérents

Face à une société où la réglementation est croissante, les conséquences sont doubles : "La loi peut constituer une barrière à l'entrée en favorisant les acteurs en place, mais aussi ouvrir de nouveaux débouchés, comme la dérégulation qui s'est opérée dans le secteur de l'énergie", évoque Philippe Silberzahn. "Le fait que la réglementation soit la même pour tous assure une concurrence saine", estime pour sa part Baptiste Ploquin, chez Finoptim.

"Dans les secteurs bien encadrés comme les banques, la loi constitue une barrière à l'entrée pour les acteurs étrangers. Mais le législateur n'a pas forcément tout prévu. Il faut donc parfois être force de propositions pour faire des retours sur ce qui fonctionne ou pas", estime Jérémy Ruet.

L'un des principaux obstacles réside dans l'évolution constante de la loi, face à des entrepreneurs qui ont besoin de stabilité pour concevoir leur modèle économique. "Certaines compagnies d'assurances ont déjà été prises au dépourvues pour indemniser des sinistres de plusieurs centaines de millions d'euros qui n'étaient auparavant pas pris en charge", cite en exemple Philippe Silberzahn.

Incertitude

Même situation dans le secteur photovoltaïque, où le soutien de l'État est venu alimenter une bulle qui a artificiellement gonflé le secteur. Or, "l'État s'en est retiré avant que le solaire ne soit rentable", analyse le professeur, ancien dirigeant d'entreprise. Leader sur le marché des panneaux photovoltaïques pour les particuliers, le lyonnais Evasol en a fait les frais. Alors qu'elle dénombrait jusqu'à 400 salariés en 2010, la société avait été placée en redressement judiciaire en mars 2012, n'employant plus alors que 98 salariés. "C'est le moratoire imposé par l'Etat qui nous a tués. Lorsqu'on provoque un coup d'arrêt sur une filière, la moindre des choses est de lui assurer des mesures de flexibilité pour adapter sa voilure", avait affirmé le PDG, Stéphane Maureau au cours d'une interview suite à la reprise de sa société par le groupe Giordano Services (Aubagne), à la barre du tribunal de commerce de Lyon.

L'incertitude peut également peser sur les ventes : "Nous sommes demeurés dans le flou durant un an et demi, en raison d'une réglementation qui se faisait attendre en Île-de-France. Les clients nous demandaient ce qu'il adviendrait du produit si la norme évoluait. Cela a eu une incidence sur le marché du chauffage à bois, qui a chuté de 20 à 30 %", se souvient Baptiste Ploquin, chez Finoptim.

Savoir anticiper

Hugues Poissonnier rappelle qu'il est ainsi fortement conseillé d'identifier les dimensions susceptibles d'évoluer dans l'environnement de l'entreprise, grâce à des outils de gestion comme le Pestel, qui permettent d'établir une liste de contrôle de tous les facteurs d'évolution. Nadège Lombardo avait, par exemple, anticipé les évolutions attendues sur le marché des auto-écoles pour bâtir son offre. "J'avais déjà prévu que les limitations géographiques pour l'attribution des certificats d'examen puissent être abolies. Mais si cet agrément n'était pas passé, j'aurais étudié d'autres options, en demandant des agréments partout en France."

Samuel Mottin surveille aussi les évolutions pouvant intervenir dans le secteur des pharmacies : "Si demain la publicité était autorisée, cela pourrait avoir un impact sur notre modèle économique." Cette évolution, selon lui, ne serait cependant pas totalement négative : "Les pharmacies auront dans ce cas besoin de faire de la publicité, ce qui reste difficile pour une petite structure."

Influencer pour peser

Si les entreprises ne peuvent pas écrire les lois, elles sont néanmoins capables de jouer un rôle dans le développement de nouvelles règles. Bien que les startups et PME n'aient pas forcément les moyens de se payer les services d'un lobbyiste, leur capacité d'influence peut passer par d'autres moyens «"via des associations professionnelles ou des actions de communication. Nous voyons bien comment le collectif des Pigeons a réagi face à l'évolution de la réglementation", souligne Philippe Silberzahn.

La première étape consiste déjà à effectuer une veille pour se tenir au courant des évolutions du secteur et des projets à venir. La société MyEasyCode consulte régulièrement les informations relayées par le syndicat des auto-écoles et a contacté un avocat pour faire valider ses contrats. Même chose pour la jeune pousse Pharmanity, dont le fondateur - lui-même issu d'une formation en pharmacie - a travaillé avec des juristes spécialisés pour bâtir son offre.

La société Finoptim a, quant à elle, bâti un réseau parmi lequel se trouve des sénateurs et députés ou encore des structures telles que l'Ademe. "Le plus difficile est d'accéder aux personnes décisionnaires, souvent haut placées dans les ministères. Mais c'est possible : nous avons déjà rencontré des membres du cabinet de Ségolène Royal, ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie", glisse Baptiste Ploquin, qui précise que le démarche doit se faire dans la notion d'intérêt publique. "Ce n'est pas parce qu'untel a rencontré un ministre que son produit doit être mis en avant. Il faut être dans une action intelligente." Et Hugues Poissonnier de compléter : "L'important est d'être reconnu comme un acteur structurant de l'économie, chose pour laquelle nul n'est forcément besoin d'être un gros joueur."

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