L'heure est venue de repartir au combat, de retrouver la force et le courage de se hisser de nouveau au sommet. Après une sixième saison d'affilée sans titre, l'ASM Clermont-Auvergne doit remotiver ses troupes. Malheureux en Coupe d'Europe, battu d'un point en demi-finale du Top 14 par le futur champion de France, le Racing 92, le club a soif de revanche, histoire de faire taire les mauvaises langues qui parlent des "jaunes et bleus" comme des "Poulidor du rugby français".
Depuis 1995 et l'instauration de l'ère professionnelle, l'ASM, créée en 1911 par les frères Michelin, a joué sept finales de championnat mais n'en a remporté qu'une seule, en 2010, auxquelles s'ajoutent deux finales de Coupe d'Europe. Perdues, elles aussi, parfois dans des conditions rocambolesques. Au cours de la dernière décennie, le club auvergnat s'est qualifié neuf fois sur dix en demi-finale du championnat de France. Mais, au final, la moisson de titres est maigre. La régularité oui, la récompense non.
Tous "au Michelin"
Malgré ces contre-performances sportives, partenaires économiques et supporters demeurent fidèles à leur club de cœur. Chaque match à domicile affiche complet. L'antre de l'ASM est même l'une des arènes les plus réputées pour son ambiance survoltée. En réalité, le volcan de l'avenue de la République est devenu, en moins de dix ans, un endroit incontournable, au grand dam des amateurs du "rugby cassoulet."
Avec un budget de 30 millions d'euros, le deuxième du Top 14 derrière le Stade Toulousain, Clermont offre un spectacle digne des meilleures productions. La moitié provient des partenariats, auxquels s'ajoutent six millions d'euros de billetterie et une somme équivalente versée par la Ligue nationale de rugby (LNR), parts variables selon les résultats sportifs. En quelques années, le business a rejoint sur le terrain le plaisir du beau jeu, et qui veut briller dans la société auvergnate doit impérativement s'afficher "au Michelin."
Club de valeurs
Derrière les baies vitrées des 26 salons et 16 loges privatisés à prix d'or auprès des partenaires (voir encadré ci-après), tout ce que compte le "Who's Who" local est présent. Des grands patrons, parfois même le gérant de la Manufacture, Jean-Dominique Senard, aux politiques - le maire PS de Clermont-Ferrand Olivier Bianchi est un habitué - en passant par des chefs d'entreprise, des banquiers ou des communicants. "Avocats ou politiques, il faut reconnaître que le stade est le lieu de rencontres intéressantes ! Cela peut faire avancer certains dossiers importants", jubile le président de l'ASM, Éric de Cromières. Petits fours, champagne et échanges de cartes de visite sont devenus la règle.
"Ce qui intéresse nos partenaires, ce sont les valeurs de l'ASM et plus largement celles que véhicule le rugby. Selon un sondage, nous sommes le club n°1 du Top 14 en termes d'image et troisième pour la notoriété. Cela est très vendeur. Pour autant, je dois reconnaître que nous avons eu des difficultés à engager de nouveaux partenaires cette saison. Non en raison de nos résultats, assure Éric de Cromières. Les difficultés sont clairement liées au contexte économique actuel. Sept ou huit d'entre eux ont ainsi réduit la voilure."
Conséquence directe, la valse des sponsors a lieu chaque année sur les maillots très prisés des joueurs, hommes-sandwichs les plus recherchés d'Auvergne. Ainsi, si Axa s'est retiré de la course et Volvic est devenu beaucoup plus discret, Clermont vient de signer pour deux saisons avec le groupe Paprec Recyclage, pour un montant tenu secret. "L'ASM Clermont Auvergne partage et véhicule des valeurs qui correspondent à celles de mon entreprise : l'humilité, le respect de l'adversaire et l'équipe avant l'individu", souligne Bernard Échalier, pdg d'Échalier, filiale de Paprec Recyclage.
Et l'entreprise d'entrer dans ce que la direction du club appelle "le groupe à 1,5 million", aux côtés de Limagrain et Omerin, deux importants industriels du territoire. Toutefois, ils restent bien loin derrière le mécène historique, Michelin, qui verse au pot, cette année encore, 2,5 millions d'euros, alors même que sa part est en constante diminution. Autres revenus pour le club, hors compétitions officielles : les événements organisés dans les salons feutrés du stade, véritable "machine à cash" (réunions, cocktails, séminaires). Le First, d'une surface de 900 m², est le plus prisé. Autre lieu lucratif de rencontres, l'En-But, restaurant panoramique avec vue imprenable sur l'arène, qui propose une cuisine gastronomique où se presse le gotha, notamment les jours de matchs.
Frustration, agacement
Preuve de la toute-puissance du "Michelin", sa récente évolution. Le stade est devenu une enceinte ultra-moderne. Désuet en 1999, il comptait 14 000 places et 150 partenaires en 2004. Aujourd'hui, il accueille 19 000 supporters et surtout 463 partenaires. Une association a même vu le jour. Baptisée "Entreprises en mêlée", elle réunit 250 adhérents. Pour en faire partie, ses membres doivent d'abord aimer le rugby et les valeurs qui s'y attachent, mais point de philanthropie :
"L'intérêt réside dans la capacité d'apporter des contacts, des adresses. Le stade est notre plus bel outil de travail", assure Philippe Martin, directeur de Vinci Construction Auvergne, président du club des partenaires.
Certains sponsors aimeraient même aller plus loin. Alain Soreau, patron de 12 restaurants McDonald's dans le Puy-de-Dôme, possède déjà un restaurant au pied du Michelin et habille les tickets des matchs. Néanmoins, il nourrit une certaine frustration.
"J'ai de nombreuses idées pour nouer d'autres partenariats avec l'ASM. Encore faut-il que je trouve les bons interlocuteurs. Je ne parviens pas à développer de réseau similaire à celui d'autres villes, comme Toulon, Toulouse, Brive ou Grenoble. Ici, nous devons constater la mainmise de Michelin. Mais le Poulidor du rugby est-il vraiment en mesure de négocier avec le géant mondial de la restauration rapide ?", ironise un tant soit peu l'entrepreneur.
D'autres, moins diserts sur le sujet, ne cachent pas néanmoins une certaine lassitude, pour ne pas parler d'agacement, face au manque de résultats et à l'image de splendide second qui colle à la peau de l'ASM. Tel ce patron clermontois très médiatique qui, malgré tout, ne lâchera pas l'ASM : "Il est parfois usant de viser de nouveaux marchés sur d'autres territoires et de s'entendre régulièrement dire : "Certes, vous jouez bien, mais côté résultats, il faudra repasser". On aimerait faire taire les critiques." Car Clermont, avant même son statut professionnel, portait déjà cette étiquette dans le dos. Onze finales de championnat disputées pour une seule gagnée en 2010, le bilan est pesant. Un sponsor du club se souvient : "Un client de Toulouse m'avait interpellé lorsque nous avions remporté le Brennus : "Votre titre, c'est un peu comme les pizzas : la onzième est offerte !"."
Une pelouse star
À cela est venue s'ajouter une période de flottement côté public. La cassure date de 2013 avec cette défaite en finale de Coupe d'Europe à Dublin contre Toulon. "Imperdable" avait même titré La Montagne, le quotidien local. Depuis, les deux autres défaites en finale ont engendré des frustrations ressenties dans les travées du stade. Une grande première. Et le président de Cromières a irrité les purs et durs avec quelques phrases malheureuses : « "Nos supporters ne peuvent pas se plaindre, ils pourraient être supporters de Brive ou Castres." L'ancienne gloire du club devenu directeur général, Jean-Marc Lhermet, a fini par concentrer sur sa seule personne cette accumulation de revers. Sifflets et quolibets ont fleuri au Michelin pour la première fois. Il vient de quitter son poste.
Aujourd'hui, Clermont se trouve à un carrefour. Le club est réputé pour sa formation, la meilleure du pays. Mais il lui a toujours manqué un ou deux "match winners", recrutés parmi les stars mondiales. Jusqu'ici, l'ASM s'était toujours refusé à entrer dans cette course à l'armement. Toulon et le Racing l'ont fait. Avec succès. Désormais, l'entraîneur clermontois Franck Azéma est clair : "Clermont ne s'interdit plus rien."
À l'horizon 2020, l'ASM espère enrichir son palmarès d'au moins "trois nouveaux titres nationaux ou européens" et augmenter son budget de 12 à 15 %. Pour parvenir à ses fins, la direction du club ne se refuse rien. L'an dernier, elle a offert à ses joueurs le plus beau centre d'entraînement du championnat, un bijou d'une valeur de six millions d'euros. Pour beaucoup, il n'a pas d'équivalent au monde. La nouvelle saison démarre sur une pelouse rutilante, la même que celle de Wembley et Twickenham ! Idem pour le "billard" du terrain d'entraînement, le même qu'au Real Madrid... Montant de la facture : 1,5 million d'euros. Enfin, à partir de la saison 2017-2018, l'arène de l'ASM pourrait dépasser les 20 000 places. De la billetterie supplémentaire pour le club et une visibilité élargie pour les sponsors. Le rugby clermontois est bien entré dans une nouvelle ère. Mais un corolaire s'impose plus que jamais : gagner !
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