Le business des "colos", reflet de la fracture sociale

Le marché des colonies de vacances est en chute libre depuis plusieurs années. Le contexte économique est une des causes. Mais le marché est bouleversé par l'entrée de nouveaux acteurs qui souhaitent redonner du souffle à un modèle parfois jugé obsolète. Quitte à sacrifier la sacro-sainte "mixité sociale" historiquement prônée dans les séjours collectifs pour les enfants.

(Article publié le 29/07/2015, actualisé le 15/07/2016)

"Les jolies colonies de vacances. Merci maman, merci papa", chantait Pierre Perret. Cette comptine parait aujourd'hui bien désuète. Depuis plusieurs années, l'érosion du marché des "colos" est profonde. Entre 2007 et 2014, 200.000 jeunes en moins sont partis dans ces camps. Depuis 1995, le taux de départ des jeunes en colonie de vacances est même passé de 15 à 7,5 %. En conséquence, le nombre d'acteurs diminue. En Haute-Savoie, " depuis 20 ans, un centre par mois ferme ses portes", assure Éric Botharel, directeur de la fédération des œuvres laïques du département. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette hémorragie initiée depuis la fin des années 1980.

Crise économique et normes contraignantes

La conjoncture économique est l'une des premières causes. Du côté des familles, la baisse des revenus a engendré une coupe dans les dépenses de loisir. Les sources de revenus pour les structures - le coût d'inscription des enfants - se sont ainsi fortement effritées.

Dans le même temps, les dépenses pour les centres se sont accrues, notamment à cause d'actes législatifs : "le coût lié à la sécurité, à la mise aux normes et aux formations ont explosé ces dernières années", souligne Jean-Claude Bissardon, président de Temps jeunes, l'un des leaders des séjours de groupe en région Rhône-Alpes.

L'association a réalisé un chiffre d'affaires en 2014 de 10 millions d'euros, en baisse de 10 % depuis trois ans, engendrant un déficit de 200 000 euros. Basées sur un ancien modèle à caractère patrimonial, les structures associatives supportent également un coût conséquent de leur acquis en pierre. Une politique de diversification a été mise en place par certains protagonistes pour assurer des revenus supplémentaires.

Des financements publics en baisse

L'autre versant du financement des frais d'inscriptions, les aides sociales, a sans cesse diminué.

"Alors que c'était une priorité après 1945, les politiques d'aides se sont atténuées. Dans les années 90, on constate la fin de l'universalisme des aides des colos, remplacé par un ciblage sur des populations précises à faible pouvoir d'achat ", analyse Isabelle Montforte, chef de projet à l'Observatoire des vacances et des loisirs des enfants et des jeunes (Ovlej).

Cet effritement du soutien public s'est poursuivi au fil des années. Récemment, la baisse des dotations de l'État à destination des acteurs territoriaux, couplée à la réforme des rythmes scolaires à la charge des villes a continué d'amputer le budget des municipalités.

Métamorphose du marché

Au-delà de la conjoncture, le marché a également profondément changé. Initialement dominé par des structures associatives ou d'éducation populaire, le secteur des colonies de vacances a été pénétré par des entreprises. "Au début des années 2000, les acteurs privés représentaient environ 2 % du marché. Aujourd'hui, selon notre dernière étude, ils occupent 11 % du secteur", explique Isabelle Montforte.

Cette infiltration aurait eu un impact sur la nature de l'activité. "L'arrivée des entreprises n'a pas été une bonne chose. Elles ont pratiqué une forme de dumping dans les offres, s'éloignant des valeurs traditionnelles des colonies", estime M. Bissardon. "Une certaine course à l'affichage s'est mise en place, qui peut mettre en péril le projet éducatif initial", confirme Isabelle Montforte.

Perte de l'esprit initial

Du contenu traditionnel et ludique des activités des colonies de vacances, les offres ont explosé ces dernières années, répondant également à un changement des aspirations de la société et à une mise en concurrence accrue. Des colonies thématiques ont émergé, proposant des activités à haute valeur ajoutée et donc au coût plus important. Celui-ci est répercuté sur le prix de l'inscription. Les acteurs associatifs essayent de s'adapter à ces évolutions. Ils pratiquent un jeu d'équilibriste entre "proposer une offre attrayante tout en gardant [nos] principes pédagogiques", détaille Jean-Claude Bissardon.

"Les colonies de vacances, un marché comme un autre"

Cette mutation des petites structures vers le professionnalisme, afin de répondre aux nouvelles demandes, à contribuer à affaiblir une partie du secteur. "En voulant répondre au marché, nous sommes rentrés dans une professionnalisation de la structure organisationnelle et de l'offre difficile à assumer", analyse Louis Scano, président de l'association Soleil et neige, installée à Saint-Etienne. Cependant, les protagonistes associatifs sont conscients qu'ils doivent "repenser leur modèle". Ils n'éludent pas non plus leurs responsabilités et leurs lacunes, notamment dans la communication et le marketing.

Face à la critique de leur arrivée sur le marché, les acteurs privés dénoncent un raisonnement dépassé : "Ils se trompent de siècle. Il faut désormais répondre à une demande, à un marché", assure Cédric Javault, fondateur du groupe Destination découverte (38 millions d'euros de CA), qui, avec sa filiale Telligo, est l'un des leaders du marché français. Il rappelle également que certaines associations du secteur fonctionnent en réalité, comme des entreprises.

" La mixité sociale, c'est du pipeau"

Ce changement de paradigme, adossé aux contraintes économiques et budgétaires, a des répercussions sur le caractère social des "colos". "Désormais, les séjours collectifs sont, soit réservés aux classes très défavorisées, soit aux classes aisées. Entre les deux, il y a une sorte de no man's land, car les classes moyennes ne peuvent plus offrir à leurs enfants ces vacances", estime un connaisseur du dossier.
Cette fragmentation du brassage social est totalement assumée par certains acteurs privés.

" La mixité sociale, c'est du pipeau. La majorité des parents des classes aisées ne veulent pas que leurs enfants se mélangent avec des ados issus des quartiers populaires. C'est un reflet de la société. Regardez ce qu'il se passe dans les écoles ou les clubs sportifs", constate Cédric Javault.

Du reste, ce sont les séjours haut de gamme qui permettent de maintenir l'activité de son groupe.

Repli sur la sphère privée

Dans un contexte sociétal français compliqué, la colonie pourrait pourtant, selon plusieurs témoins, être une soupape de sécurité. "C'est un antidote au chacun pour soi, au renfermement, à l'apprentissage de la citoyenneté. C'est une école du vivre ensemble", plaide M. Bissardon.

Cependant, il ne faut pas sous-estimer également le repli volontaire sur la sphère privée. " On constate que de plus en plus de familles ne souhaitent plus laisser partir leur enfant en séjour collectif. Les accidents, les sentiments d'insécurité font que des parents préfèrent garder leurs enfants à la maison", souligne une observatrice.

Plan gouvernemental

Ainsi, dans cette situation de crise, aussi bien économique que sociale, Patrick Kanner, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, a présenté un plan afin de ne pas reproduire dans les colonies de vacances, "la fracture sociale qui existe déjà dans la société".

Le projet #GénérationCampColo, lancé en juillet 2015 visait à proposer "des séjours attractifs et accessibles", rappelle l'appel d'offres. Les projets retenus devaient répondre à une série de critères - la citoyenneté, la mixité sociale ou l'ancrage dans le territoire. Ils ont bénéficié d'un financement. Pour l'ensemble de l'action, 1,4 million d'euros était prévu par l'État. Patrick Kanner souhaitait que ces projets aient "un caractère exemplaire afin d'attirer les financeurs privés pour les 42.000 colonies". De quoi essayer modestement d'écrire un nouveau refrain populaire.

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Commentaires 15
à écrit le 04/02/2017 à 18:49
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Quelles sont les sources de ces chiffres?

à écrit le 17/07/2016 à 14:25
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Mes deux enfants sont en colonie actuellement. Heureusement que le ce de mon mari assure parce que ça coûte très cher mais c nécessaire pour leur bien etre ! Et oui ce sont des colos haut de gamme à l'étranger et c au détriment des vacances en famill...

à écrit le 24/03/2016 à 11:17
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J'ai été et je suis encore animateur, directeur et formateur dans le secteur de l'animation volontaire et j'ai parfois vécu des expériences qui pourraient donner raison à cet article. En 2013, je tenais le discours suivant : - Il y a un prob...

à écrit le 02/08/2015 à 9:01
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"La mixité sociale c’est du pipeau" Ça ne l'était pas lorsque j'ai connu les "colos", mais c’est vrai que c'était entre les années 70 et 80. A l'époque les CE d'entreprises privées de tailles respectables (je ne parle pas d'EDF, de France Télécom et...

à écrit le 01/08/2015 à 16:24
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En 1988 les CAF et conseils généraux ont retiré leurs financements d'équipement aux colis pour financer les vacances familiales. Ce choix politique a désamorcé un levier puissant d'Education Populaire, cessant de former de futurs acteurs éveillés, dé...

à écrit le 30/07/2015 à 18:34
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On assiste depuis peu à la mise en place de séjours avec moins d'activité consumériste et un retour à des activités plus en lien avec l'environnement et moins chères. Certains opérateurs peuvent donc mettre sur le marché des offres de séjours ou l'on...

à écrit le 30/07/2015 à 16:57
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la fracture sociale résulte bien d'un excès législatif et règlementaire, on a découragé le bénévolat, en ouvrant une autoroute aux entreprises commerciales. ce qui est vrai pour les colos l'est aussi pour le logement, les emplois peu qualifiés, etc....

le 30/07/2015 à 17:33
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Les colos n'étaient et ne sont pas gratuites. Elles étaient et sont assurées par des moniteurs diplômés et des responsables de centre qui l'étaient/le sont tout autant (BAFA/BAFD minimum). Ce qui a changé, à mon avis, c'est le soutien que les organis...

à écrit le 30/07/2015 à 11:23
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Mr Javeau de Telligo n'est pas représentatif de l'état d'esprit qui anime les 11 % du secteur dit "marchand" dans les colonies de vacances d’autant (et c'est également le cas pour Telligo qui se nommait autrement), ces entreprises étaient initialemen...

à écrit le 29/07/2015 à 18:23
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La fin du service militaire, merci Chirac, la fin de l'instruction civique dans les années 80, merci Mitterrand et la dévalorisation du bac, merci Jospin, nous ont conduit à une société qui se fout de tout et de tout le monde. Quant à la réduction de...

le 30/07/2015 à 23:40
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Individualisme? Mais vous avez loupé la dernière marche! Elle s'appelle "économie collaborative". Et elle se situe à l'exact opposé du "moi je". Bientôt passé de mode?

à écrit le 29/07/2015 à 18:16
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Reflet de la société, on préfère dépenser des sommes énormes en soins de bobos inutiles de toutes sortes et faire de l'acharnement thérapeutique plutôt que de permettre aux enfants des classes moyennes de partir en vacances. 1.4 millions d'euros....ç...

à écrit le 29/07/2015 à 17:43
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Curieux que ne soit pas même évoqués les camps scout qui représentent une alternative aux colo d'antan et au consumérisme .

le 31/07/2015 à 11:25
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Les scouts bénéficient d'un régime d'exception au sein de l'animation qui leur permettent beaucoup de facilités (genre on ne paye pas nos encadrants). Et même si les méthodes éducatives sont intéressantes sur de ,nombreux points, il n'en reste pas mo...

le 01/08/2015 à 8:47
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Le scoutisme (dont 5 associations en France sont actuellement reconnues par l état) n est pas figé à une religion. Certaines associations sont laïques. Par ailleurs, le scoutisme n'a pas plus de facilité! Comment recruter des jeunes bénévoles alors...

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