Quand l'homme revendique (aussi) le droit à l'égalité

Les hommes donnent tout à leur vie professionnelle, les femmes privilégient la famille et la vie personnelle. Cette vision traditionnelle ne résiste pas aux nouvelles réalités. Les rôles commencent à être contestés et une parole masculine émerge : l'homme ne veut plus sacrifier sa vie personnelle. L'omerta se brise et bouscule l'organisation du monde du travail.

Cette omerta, c'est un peu lui qui l'a brisée : Antoine de Gabrielli dirige Companieros, entreprise de formation dédiée aux grands enjeux managériaux. Travaillant sur la thématique de l'égalité professionnelle homme-femme, il soupçonne bien des non-dits et commence à réunir de façon informelle des hommes pour parler sans façon dans un bar. Et ils se lâchent : « Je réussis professionnellement, mais c'est au détriment de ma vie familiale, de ma vie personnelle : j'ai vraiment rencontré des hommes en souffrance. « Sacrifice », « frustration », voilà les mots entendus le plus souvent. » Mais des mots interdits dans le monde du travail. Alors, pour faire évoluer les esprits, il crée l'association Mercredi-c-papa et va plus loin à partir de juin 2013, en initiant des réseaux d'hommes, les Happy Men.

Gâchis de talents

Dans ces cercles abrités au creux d'entreprises − huit à ce jour, dans des grands groupes (Orange, BNP-Paribas, SNCF, etc.) −, ces hommes étudient comment ils pourraient équilibrer leur vie professionnelle et leur vie personnelle. Ce faisant, ils reconnaissent qu'a contrario, injonction est lancée aux femmes de privilégier leur vie familiale, sacrifiant dès lors leur vie professionnelle. « Des femmes démissionnent ou restent à leur poste car elles savent qu'elles ne pourront évoluer : les postes à haut potentiel se décident dans la tranche 30-35 ans, période où elles sont investies le plus dans leur famille. C'est un gâchis de talents considérable », martèle Antoine de Gabrielli.

Ce désir de vie équilibrée pro-perso touche en réalité les hommes comme les femmes. Pour l'entreprise, cela représente un enjeu de performance globale : elle a tout à gagner à s'appuyer sur des salariés heureux dans leur vie. Et à donner toute leur place à des femmes de talent bloquées sous le trop connu « plafond de verre ».

Les ravages du tout travail

Par ailleurs, les hommes trentenaires ont vu les ravages du « tout accorder à son travail » dans la génération précédente et se montrent plus exigeants. Enfin l'explosion des divorces, les gardes d'enfants alternées, ont rebattu les cartes, comme le décrit Brigitte Grésy, secrétaire générale au Conseil supérieur de l'égalité professionnelle :

« La montée des divorces a vraiment joué dans ce désir des hommes d'investir la sphère privée. Ils se sont confrontés à des problèmes de gestion du temps traditionnellement dévolus aux femmes. On assiste à de vrais mouvements de revalorisation du rôle du père et la conviction s'acquiert peu à peu que la performance ne peut reposer que sur l'équilibre. »

Ne pas compter ses heures


Une étude menée par Mercredi-c-papa sur les hommes-cadres et l'égalité professionnelle, et remise en décembre dernier à la secrétaire d'État chargée des Droits des femmes, dit bien en chiffres ces frustrations et ces attentes masculines. On y lit par exemple que 71 % sont pour l'interdiction des réunions tardives ou que 70 % trouvent difficile de demander un temps partiel ou un congé parental.

Répondre à ces attentes suppose de la part des hommes des changements profonds. « Comment me comporter dans mon travail, dans le travail collectif ? Quelles nouvelles pratiques managériales vais-je induire ? », illustre Antoine de Gabrielli. « Pour accéder à certains postes, on ne doit pas compter ses heures. Un dirigeant, un top manager, est dévoué corps et âme à son travail : ce modèle est encore la norme. Il faut rompre avec cette culture », considère Françoise Dany, professeure de gestion des ressources humaines et doyenne de la faculté de l'EMLyon. Elle observe cette montée en puissance de la parole des hommes. Une parole recevable selon la culture de l'entreprise :

« Dans les structures type Silicon Valley, c'est "Prends tes vacances quand tu veux, seul compte le résultat". Mais en France demeure la culture du présentéisme : pour les postes de managers, fortement concurrencés, on veut être là, couvrir beaucoup de dossiers. Pour casser ces rôles, il est essentiel que l'exemplarité vienne des plus hauts niveaux. »

Ainsi hommes et femmes se retrouvent dans le même bateau, plaidant pour une vie équilibrée, transformant de fait les hommes en alliés des femmes pour une plus grande égalité professionnelle. Vision un tantinet idyllique. Beaucoup demeurent silencieux ou même opposés à cette approche. « Dans les cercles Happy Men, la bascule est faite. Nos idées progressent, mais il faudra des mois, des années pour convaincre », conclut Antoine de Gabrielli.

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