Enseignement supérieur : l'eldorado suisse

La Suisse se classe dans le trio des nations accueillant la plus forte concentration d’étudiants étrangers et au sixième rang des États attirant le plus d’étudiants français. Certains, ils seraient environ 5 000, ont fait le choix de passer la frontière pour étudier sur le territoire helvète. Pour sa proximité et son accessibilité d’une part. Pour la renommée et le coût des études d’autre part, en dépit du niveau de vie élevé.
Les jeunes Français étudiant en Suisse évoquent principalement deux critères: l'accessibilité et la proximité.

En dix ans, le nombre d'étudiants en formation à l'étranger a presque doublé d'après les indicateurs de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Sur le podium des pays où la part des étudiants étrangers est la plus forte figurent la Nouvelle-Zélande, l'Australie et... la Suisse, avec 20,3 %. Cette dernière est en effet réputée pour ses formations de prestige, au point de devenir la 6e destination des étudiants français derrière la Belgique, le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada et l'Allemagne.

Le territoire helvétique, si proche, présente bien des atouts avec dix universités cantonales, deux hautes écoles polytechniques fédérales, neuf hautes écoles spécialisées, de plus en plus de cursus en langue anglaise et plusieurs écoles hôtelières dont la renommée est mondiale.

Car, en Suisse, l'international est un caractère historique :

« Notre politique est indéniablement de jouer dans une cour internationale et nous travaillons au quotidien pour garder cette ouverture et cette position », explique Yves Rey, vice-recteur Enseignement à la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO).

À titre d'exemple, ce sont 112 nationalités qui sont représentées à l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL, élue la plus internationale au monde en 2013), et 80 pour l'homologue zurichoise (EPFZ), où plus de la moitié des 400 enseignants viennent de l'étranger. Parmi ces milliers d'étrangers qui font leurs études en Helvétie, 15,5 % venaient de France lors des derniers relevés statistiques. Un chiffre qui aurait doublé entre 2008 et 2009 d'après l'OCDE.

Prestige et séduction

Les jeunes Français étudiant en Suisse évoquent principalement deux critères : l'accessibilité et la proximité. En effet, près de 70 % des Français qui choisissent des études à l'étranger optent pour un pays limitrophe. Deux autres raisons ont motivé le choix de Laura, tout récemment diplômée de la Faculté de traduction et d'interprétation de l'Université de Genève (UniGE) : la renommée et le coût.

« Je n'ai pas trouvé de master eurocompatible équivalent en France et une école privée aurait été bien plus onéreuse, constate-t-elle. Genève est une ville internationale, la Suisse ouvre davantage de perspectives, avec notamment la présence des Nations Unies et de nombreuses ONG. »

Seule frein évoqué par l'étudiante : le coût de la vie en Suisse. Il faut compter entre 18 000 et 28 000 euros par an, logement compris. « Les petits prix ne sont pas les mêmes », citant pour exemple : « Je payais mon café 50 centimes d'euros durant ma licence à Grenoble, alors qu'à Genève, il en coûte trois euros. »

À quelques lignes de tram de l'UniGE, le Centre européen pour la recherche nucléaire (Cern) est l'exemple même de l'institution qui peut faire rêver les étudiants. « Nous ne comptons en réalité que 3 % de physiciens et recrutons des profils très variés, des techniciens dans de nombreux domaines, des ingénieurs, mais aussi des juristes, des traducteurs, des pompiers ou des experts en radioprotection, voire des photographes », évoque Anna Cook, responsable du recrutement, ajoutant que sur 2 532 employés, environ 1 000 collaborateurs sont français et que des programmes d'échanges existent avec les 21 états membres du Centre.

« L'éducation et la formation figurent d'ailleurs dans nos lignes de mission. » Laura est optimiste : « J'espère trouver du travail rapidement avec une formation qui possède une vraie crédibilité et une valeur sur le marché de l'emploi. »

Enseignement supérieur Suisse

Il faut compter entre 18 000 et 28 000 euros par an, logement compris, pour étudier en Suisse. (Crédits : Stramatakis / Unil)

« Un élève sur trois est français »

Cet aspect professionnalisant est une recette sur laquelle œuvrent activement les HES - des universités appliquées. Elles proposent des formations axées sur l'économie et le tissu local, dans des domaines universels, des arts à la santé, en passant par l'économie d'entreprise. Le tout avec une cinquantaine de semaines de stages.

« Nos institutions préparent à l'insertion socioprofessionnelle, et c'est une formule à succès puisque notre taux d'employabilité est au-delà de 90 % dans les six mois qui suivent l'obtention du diplôme », souligne Denis Berthiaume, vice-recteur Qualité de la HES-SO.

Résultat : le nombre d'étudiants au sein des HES n'a cessé d'augmenter et cette année, sur les 18 000 inscrits, 3 500 viennent de l'Union européenne.

À la prestigieuse EPFL, c'est même la moitié des étudiants qui n'est pas suisse... Un élève sur trois est français. « La qualité de l'enseignement, critère de classement, attire des étudiants étrangers qui deviennent des ambassadeurs », résume Philippe Gillet, vice-président aux affaires académiques. Un cercle vertueux. Le succès est tel que l'EPFL a durci ses conditions d'admission.

« Depuis la rentrée 2014, une mention très bien au bac S est nécessaire », annonce Philippe Gillet, par ailleurs ancien directeur de l'ENS Lyon, et qui ne cache pas « viser l'excellence. Lorsque nous acceptons des étudiants européens, c'est toujours une opportunité de voir de très bons éléments nous rejoindre » Dans les HES, la mention bien est obligatoire selon les filières, pour des raisons d'équivalence de niveau. Laura a même dû passer un examen d'admission.

Multiplicité des systèmes scolaires

Appréciée des étudiants français, la proximité de la Suisse est également mise en avant par Thierry Rolando, vice-président en charge des relations avec la Suisse à l'Université Savoie Mont-Blanc de Chambéry. Pour lui, elle constitue depuis toujours une opportunité pour travailler sur les besoins d'un territoire commun et des thématiques partagées :

« Nous avons développé des écoles d'été et des formations continues en partenariat avec l'Université de Genève sur un master d'administration des entreprises, ainsi qu'avec les HES et l'Université de Lausanne dans le domaine du tourisme. »

De nombreux projets sont dans les cartons, notamment sur de nouvelles pratiques pédagogiques, le tout dans « un excellent état d'esprit ». Preuve d'une bonne entente entre voisins.

Cependant les voisins ne parlent pas tous la même langue. Côté Suisse, il existe en effet pas moins de 26 systèmes scolaires, qui tiennent compte de différences culturelles et linguistiques. Dans la prolongation de l'école obligatoire et gratuite, le niveau secondaire se divise en deux groupes, académique ou professionnel, où sont inscrits près de 90 % des jeunes Suisses de 18-19 ans. Ceux-ci fréquentent une école de culture générale, une école de maturité (« gymnase » ou « lycée ») ou suivent, pour les deux tiers, une formation professionnelle.

Au-delà, le degré tertiaire comprend les hautes écoles (universitaires, spécialisées ou pédagogiques) ainsi que la formation professionnelle supérieure, niveau pour lequel près de 31 000 francs suisses (CHF) par an, soit 28 500 euros, sont dépensés en moyenne par étudiant par les pouvoirs publics (contre 14 000 euros en France). Une diversité dans les systèmes scolaires qui découle de l'histoire de la Suisse, constituée de petits états souverains.

Vingt-six cantons dont le processus d'union s'est poursuivi jusqu'au XIXe siècle, tout en leur préservant certaines prérogatives. Ce qui explique qu'après avoir rejeté par deux fois toute loi fédérale sur une harmonisation, ce n'est qu'en 2006 que le peuple autorise la Confédération à veiller à rendre le système davantage cohérent.

Enseignement supérieur Suisse

Dans les HES, le taux d'employabilité dépasse les 90 % dans les six mois qui suivent l'obtention du diplôme. (Crédits : Stramatakis / Unil)

Prérogatives cantonales

Conséquence de cette souveraineté cantonale, l'absence d'un réel équivalent au ministère français de l'Éducation nationale. « Il est inscrit dans la Constitution que le grand pouvoir pour la formation est détenu par les cantons », explique Martin Fisher, porte-parole du secrétariat d'État à la formation, à la recherche et à l'innovation (Sefri). Le système est donc « très autonome » et la Confédération n'a pas autorité de direction.

« Jusqu'en 2013, deux des sept départements fédéraux s'occupaient de ces dossiers, celui de l'économie et de l'intérieur », poursuit Martin Fisher. Mais aujourd'hui, conséquence des votations de 2006 et pour « plus de facilité et d'efficacité », le département de l'Économie englobe désormais la formation et la recherche. Celui-ci est, depuis 2010, sous la responsabilité de Johann Schneider-Amman, l'actuel président de la Confédération en personne.

Les compétences sont donc partagées :

« La Confédération, qui encourage avant tout la recherche et l'innovation par des fonds et des bourses, peut avoir ses propres hautes écoles et subventionne les universités cantonales, mais les cantons restent propriétaires et responsables », schématise le représentant du Sefri.

Cantons et communes sont donc gérants des établissements de formation, « sauf dans le cas des Écoles polytechniques fédérales, pour lesquelles la Confédération s'occupe de tout ».

Cette dernière finance, dans cette répartition, environ 30 % des coûts des HES et 25 % pour les universités, le reste étant à la charge des cantons. En 2013, d'après les chiffres de l'Office fédéral de la statistique (OFS), le Palais fédéral a ainsi déboursé environ un milliard de francs (920 millions d'euros) pour ses hautes écoles, tandis que le canton de Genève y investissait 790 millions, le canton de Vaud, 600 millions, etc.

Tous niveaux confondus, les dépenses publiques d'éducation s'élevaient à plus de 34 milliards de francs, soit 5,5 % du PIB du pays (6,8 % en France). L'investissement devrait se conforter puisque selon l'OFS, le nombre d'étudiants de l'ensemble des hautes écoles suisses, qui était de 233 000 en 2014, devrait atteindre 240 000 à la rentrée prochaine, puis progresser jusqu'à 250 000 en 2024.

Côté formation professionnelle, alors qu'en France l'apprentissage est parfois marginalisé, la Suisse en a fait une grande force depuis longtemps.

« À démographie égale, on compte 40 % d'étudiants de moins dans la filière universitaire par rapport à la France », constate le secrétaire d'État à la formation Mauro Dell'Ambrogio.

« Les diplômes sont égaux, ils permettent la même réussite et les passerelles entre cursus académiques et professionnels sont nombreuses », renchérit Martin Fisher, précisant que cette voie s'adapte aux jeunes désireux d'être rapidement sur le marché de l'emploi et aux immigrants.

Sus aux étrangers ?

Pourtant, alors que le pays multiplie les relations avec l'étranger, l'un de ses nombreux référendums change la donne. Le peuple suisse a adopté, en février 2014, une initiative de la droite populiste visant à limiter le nombre de permis de séjour, pour mettre fin à « l'immigration de masse ».

Un coup de théâtre qui pourrait bien freiner les partenariats économiques, même si, depuis, des solutions - et notamment des crédits de substitution - ont dû être trouvées pour poursuivre les accords internationaux existants. Yves Rey, vice-recteur Enseignement à HES-SO, reconnaît d'ailleurs un « énorme travail pour rassurer les partenaires européens et continuer à collaborer ».

Les différentes administrations restent dans l'attente du résultat des négociations politiques, qui visent à mettre en application le choix des urnes sans annihiler les relations avec l'UE. Et si aucun consensus n'est trouvé par le Conseil fédéral avant 2017, l'initiative populaire deviendrait caduque, permettant aux français de pouvoir saisir sereinement les opportunités du marché helvétique.

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