Kazuo Inamori : "l'altruisme est bénéfique à l'entreprise"

EMLYON recevait jeudi 7 mai Kazuo Inamori, 83 ans, fondateur de deux empires industriels : Kyocera et KDDI, pesant un total d'environ 53 milliards d'euros de chiffre d'affaires, et employant quelques 100 000 salariés dans le monde. Patron et moine zen, cette figure emblématique au Japon a placé l'altruisme au cœur de sa vision du management, à contre-courant du modèle dominant.

Acteurs de l'économie/La Tribune : Vous défendez un modèle et des idées qui tranchent dans une économie globalisée où la concurrence est reine. Quelle est votre vision du management ?

Kazuo Inamori : À mes yeux, le management doit être dénué de toute intention égocentrique. On constate que le modèle capitaliste est plutôt fondé sur l'égoïsme, mais cela génère des problèmes comme les inégalités entre les riches et les pauvres et des déséquilibres sociaux. Ce que je cherche à expliquer dans ma démarche, c'est que la prise en compte des autres contribue à rétablir un équilibre.

Je ne vois aucune contradiction entre l'altruisme et la croissance de l'entreprise. Au contraire, une bonne gestion implique que les dirigeants développent une disposition à l'altruisme. Cette qualité m'a permis de développer les entreprises que j'ai dirigées.

Dans un monde ultra-concurrentiel certains pourraient vous objecter que ce sont des idées naïves...

Beaucoup de gens pensent qu'il n'est pas possible de diriger une entreprise avec des intentions altruistes. Ils considèrent que c'est le ressort égocentrique qui doit être à la source du management. Effectivement, il peut être un moteur pour les affaires, particulièrement dans les startups. Il est vrai qu'on peut aussi réussir avec une stratégie bien élaborée et une forte volonté.

Mais un dirigeant uniquement motivé par des intentions égocentriques ne pourra jamais assurer la pérennité de son entreprise. Un chef d'entreprise égoïste qui réussit aura tendance à minimiser les efforts quotidiens de ses salariés, qui contribuent au développement de l'entreprise. En oubliant d'être modeste, le dirigeant peut semer la discorde dans sa société et la mener à la catastrophe. J'ai pu le constater à de multiples reprises, en Orient comme en Occident.

Le management altruiste peut paraitre naïf ou peu fiable à certains, mon expérience montre que c'est possible. Ce modèle permet d'ouvrir des perspectives de développement bien au-delà des capacités propres des dirigeants. Procéder ainsi est une promesse sur le long terme.

Mais l'altruisme ne signifie pas aider les autres sans pour autant écarter ses intérêts. Seulement, la recherche de son intérêt doit être liée au souci de l'intérêt des autres. Si l'on reste bloqué sur des intentions égoïstes, en étant insensible aux autres, et éloigné de la bienveillance, on ne pourra même pas satisfaire son besoin égocentrique initial.

Dans le bouddhisme, la recherche de l'intérêt doit être intimement liée à la recherche de l'intérêt d'autrui. Si l'on veut réaliser des bénéfices. Il faut être sensible aux autres et mes partenaires doivent aussi faire des bénéfices. C'est un principe qui devrait animer le commerce, mais aussi les relations humaines.

En 2010, le gouvernement japonais vous a sollicité pour prendre la présidence de Japan Air Lines (JAL) alors au bord de la faillite. Ce que vous avez fait durant trois ans en refusant d'être rémunéré. Comment avez-vous convaincu les salariés de cette société de vous suivre avec votre philosophie ?

J'ai d'abord voulu sensibiliser les cadres et dirigeants de la compagnie à ma manière d'envisager le management. J'ai présenté les principes philosophiques que mes expériences de créations d'entreprises m'ont permis d'élaborer. Par exemple : rester humble et simple en toutes circonstances. Porter un regard positif et optimiste. S'impliquer dans son travail avec sérieux et ardeur. Valoriser les petits efforts du quotidien et être habité d'un état de gratitude. C'est la synthèse que j'ai effectuée.

En partageant ces principes, les salariés ont commencé à acquérir la volonté de se mobiliser pour sauver leur entreprise, et aussi les emplois de leurs camarades. Ils ont aussi compris que l'Homme ne saurait se satisfaire uniquement de travailler pour gagner de l'argent. Que le but de la vie consistait surtout à s'élever, à œuvrer dans l'intérêt collectif, et que la plus belle façon de s'épanouir était sans doute de se consacrer aux autres.

L'esprit des cadres a évolué, et les résultats de la compagnie s'en sont immédiatement ressentis. La première année, nous avons enregistré un bénéfice de 1,4 milliard d'euros et de 1,6 milliard d'euros la deuxième année. Depuis JAL a maintenu un taux de bénéfice supérieur à 10 %.

Pensez-vous qu'en France les managers et dirigeants puissent être assez ouverts d'esprit pour adhérer à ces idées ?

Je le pense oui. La France est attractive avec un haut niveau culturel et académique.

Existe-t-il un modèle de l'entrepreneuriat propre au Japon ?

Je ne pense pas qu'il existe un modèle unique au Japon. Quand vous créez une entreprise, il faut une forte volonté, quel que soit le pays où vous vous trouver. L'altruisme est bénéfique, mais il faut une détermination sans faille et une implication totale de l'entrepreneur dans son projet.

 Vidéo de la conférence de Kazuo Inamori le 7/05/14 à EMLYON.

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Commentaires 3
à écrit le 17/05/2015 à 0:59
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Bonjour, Et si c'est possible, il y a d'autres personnes comme lui qui souhaitent transmettre cela et qui le font, et le sont fondamentalement. Mais effectivement, vu notre société française, le chemin est long, très long... Son propos ouvre et se...

à écrit le 11/05/2015 à 17:09
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C'est un article très intéressant qui élargit effectivement les critères novateurs de management dans l'entreprise. Cela dit, l'expérience et le mode de management de Kazuo Inamori ont été implémentés avec succès au Japon. Ce modèle est-il réellemen...

à écrit le 08/05/2015 à 20:56
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Il parle aussi bien que nos hommes Politiques avec la même devise pour les autres .

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