Quand les maladies chroniques infestent le travail

Cancers, dépressions, sida... on assiste à une montée en puissance des maladies chroniques bousculant considérablement le monde du travail. Des salariés malades quittent temporairement leur emploi, reviennent, se fragilisent. Alors que l'incertitude domine, l'entreprise doit s'adapter, rester performante et humaine.

« Je suis frappé par l'augmentation des cas. Dès que l'on parle de maladies chroniques, il faut comprendre que nous avons à faire à quelque chose de non maîtrisable et durable. C'est un sacré challenge pour l'entreprise », pose d'emblée Christian Musil, ancien directeur des ressources humaines chez Apicil. De nos jours, on soigne de mieux en mieux les cancers, et même si l'on n'en guérit pas toujours, on vit longtemps avec.

Dépressions, burn out, AVC

Dans le même temps, signe d'une époque minée par le stress, les tensions et l'incertitude, les maladies chroniques explosent : dépressions, burn out, AVC, pathologies cardiaques, etc. Surgit dès lors, toute une catégorie de personnes appelées malades chroniques. Des hommes et des femmes atteints de différents troubles mais bel et bien décidés à poursuivre leur activité professionnelle. Le travail comme une bouée, preuve d'une activité quotidienne. Au sein des entreprises se succèdent alors arrêts maladie, retours à l'emploi, mi-temps thérapeutiques, adaptations de postes, d'horaires, rechutes parfois de la maladie, etc. Les équipes proches du salarié malade montrent de la compassion, puis s'interrogent, se découragent, se crispent. Le manager de proximité à la lourde tâche de faire le lien avec l'équipe mais également avec la direction des ressources humaines, voire avec la direction générale.

Tensions et régulations

« Le manager de proximité est coincé par des injonctions contradictoires : d'une part respecter les objectifs et la performance de l'entreprise, d'autre part gérer son équipe sur le plan humain avec les risques psychosociaux dans le viseur », souligne Pierre Choasson, médecin du travail  « Les collaborateurs montrent de la compassion un certain temps, ensuite face à des absences saccadées, un mi-temps thérapeutique complexe à gérer, les tensions apparaissent. Le manager de proximité doit réguler tout cela », décrit Christian Musil.

Des problématiques infiniment complexes que l'entreprise pourrait avoir la tentation d'ignorer, se contentant d'empiler les arrêts de travail pris en charge par la Sécurité sociale (dont le coût pour l'entreprise est également important) jusqu'au glissement progressif du salarié vers une situation d'incapacité totale. « Mais le gouvernement, en obligeant à des accords sur la prévention du stress, des risques psychosociaux, la prise en compte du handicap, a libéré la parole. La santé s'est invitée dans l'univers du travail. Notre rôle de direction des ressources humaines a évolué pour devenir un métier d'écoute, de liens. Il y faut une disponibilité conséquente », considère Michel Gauthier, directeur des ressources humaines à la Macif Rhône-Alpes durant sept ans, et à présent directeur régional.

Des réponses émergent

Désormais, aucune entreprise n'échappe à ce florilège de problèmes et de questions qu'entraînent ces maladies chroniques. Des réponses émergent - à tâtons - donnant la priorité à un retour au travail dans de bonnes conditions, et fiable dans la durée. « Les bénéfices d'un retour au travail sont multiples : qualité de vie, insertion sociale, estime de soi, image de soi, indépendamment même de l'autonomie financière », expliquait Malika Jalbert, médecin du travail dans un grand groupe isérois à l'occasion du Forum ELAN-REV à Grenoble, en août 2011. « Le salarié veut se prouver qu'il va repartir comme avant, c'est humain, une façon d'oublier - l'employeur le souhaite aussi bien sûr - mais en réalité il se montre épuisé par toutes ces épreuves.

À nous de le convaincre, d'expliquer à son manager : « Ne lui confiez pas de dossiers importants pour le moment ». Le mi-temps thérapeutique se révèle une bonne solution », explique Pierre Choasson. Nathalie Vallet, associée dans un cabinet de ressources humaines, a 43 ans lorsqu'elle est frappée « en plein vol » par un cancer. Durant sa phase de traitement, l'incertitude quant à retrouver son poste l'angoisse. « Vais-je retrouver mon travail ? me disais-je. J'étais convaincue de revenir très vite après mon opération, quitte à adapter mes horaires, mais j'étais épuisée par les traitements. Dans ces moments-là, c'est le corps qui vous dicte. J'étais incapable de donner la moindre visibilité sur mon retour, tiraillée par ma forte envie de revenir et mes capacités réelles », témoigne-t-elle.

Un programme « cousu main »

Chez Apicil, un entretien de retour au travail après une affection de longue durée a été mis en place autour d'un canevas bien précis pour que tout se passe au mieux. Avec ce même triptyque - le salarié, son manager et la direction des ressources humaines - « car il faut assurer un suivi, se voir régulièrement y compris avec le médecin du travail », décrit Christian Musil. Il existe aussi, selon les textes, un dispositif de visite de préreprise dès lors qu'il y a eu arrêt de plus de trois mois. Un mois avant la reprise, le salarié fait - à sa demande, de son médecin traitant ou du médecin-conseil de la Sécurité sociale -, un point très précis sur ses capacités, les tâches, les horaires qu'il pourra assurer. Si nécessaire, un mi-temps thérapeutique sera prescrit par le médecin traitant.

Cette longue visite avec le médecin du travail devrait être un palier essentiel dans la reprise, mais malheureusement le dispositif est encore sous-utilisé. Globalement, tous conviennent qu'un large réseau de compétences doit être mobilisé pour accompagner le salarié fragilisé, de la médecine du travail à l'assistante sociale, en passant par les ressources humaines et les managers de proximité. Chaque situation individuelle s'avère singulière, il faut recoudre par un minutieux « cousu main », ces morceaux de vie dévastée. Des entreprises s'efforcent de sensibiliser et même de former leurs équipes pour relever ce difficile challenge. Cela implique de soutenir des managers de proximité écartelés entre des exigences de performance et de compassion, d'accompagner des directions des ressources humaines en plein désarroi, d'apprendre aux équipes à trouver le bon comportement.

Des limites par le contexte économique

« À son retour, le salarié est estampillé fragile. On lui témoigne de la sympathie mais il peut au contraire avoir besoin qu'on le bouscule. Difficile de savoir à l'avance ce qui est le mieux pour lui, on est dans le déséquilibre permanent. De toute façon l'entreprise peut suivre, s'adapter à ces situations compliquées pour six mois à un an, après cela devient difficile », a observé Nathalie Vallet. « Tout va bien mais au bout d'un an, si le salarié retombe malade, il ne faut pas lâcher. Cependant, il y a des limites à tout, notamment du fait du contexte économique. On évolue alors, pour le salarié, vers une situation d'incapacité totale », explique Michel Gauthier, de la Macif.

Désireuse de donner un sens positif à sa maladie, Nathalie Vallet a créé à Lyon l'association Entreprise et Cancer, afin de sensibiliser directions des ressources humaines, directions générales et managers à ces problématiques et aider à faire surgir des solutions. Elle a aussi lancé sa structure de conseil en ressources humaines Aldhafera et intervient, entre autres, auprès de personnes en activité, mais brisées par une maladie psychique. Tel ce chef de projet du service informatique d'une grande PME, laminé par une énorme dépression à la suite d'un divorce. Il ne voulait rien dire, seul son manager savait. S'accrochant à son poste, il coulait inéluctablement. Nathalie Vallet a mis en œuvre un coaching individuel, constituant autour de lui une ceinture protectrice avec son manager, la RH en lien avec le médecin du travail et, dans cette confiance totale, tous ont cheminé. Il a pu continuer à travailler neuf mois. « Il a dû être malgré tout hospitalisé mais dans cette période, tous l'ont soutenu. J'ai trouvé cela admirable. »

Face à une situation de cette complexité, la capacité de l'employeur à faire du sur-mesure dépend beaucoup de la culture de l'entreprise, sa sensibilité aux enjeux sociaux, la qualité relationnelle dans les équipes. Si les tensions, le management par le stress, et l'exigence d'objectifs irréalistes préexistent, aucune solution favorable ne pourra émerger. Toutefois les enjeux économiques auxquels l'entreprise doit faire face - la crise qui perdure crispe encore plus le contexte - apparaissent bien comme les principaux freins à cette attention bienveillante qui devrait pour autant s'imposer.

 
Des chiffres éloquents

  • La Sécurité sociale reconnaît 30 ALD (affections de longue durée). Celles qui affectent le plus le monde du travail sont les tumeurs malignes, les affections psychiatriques de longue durée, l'insuffisance cardiaque grave et autre cardiopathies.
  • Les patients en ALD représentent 14 % des assurés de la Sécurité sociale (environ huit millions de personnes) mais 64 % de ses dépenses. (Chiffres 2010)
  • 8 700 euros, c'est le montant moyen remboursé par personne et par an pour un assuré ALD (10 200 euros pour un cancer). Un assuré non ALD touche en moyenne par an 800 euros. (Chiffres 2010)
  • Chaque année en France, 375 000 nouveaux cas de cancer sont détectés, dont 100 000 chez des personnes encore en activité. Si l'on considère les personnes diagnostiquées les années précédentes et toujours atteintes, le total est d'environ 400 000 malades du cancer en situation de travail.
    79 % des personnes victimes de cancer interrompent leur travail pour une durée indéterminée.
  • 80 % des personnes touchées par un cancer reprennent le travail dans les deux ans.

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Commentaire 1
à écrit le 19/01/2015 à 7:18
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Dans un journal qui ne montre que des hommes c est incroyable que vous ayez pu trouver une photo de femme...mais associée a la maladie ça ne pouvait etre qu une femme

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