Bienvenue en "Almatie"

Précurseur en Rhône-Alpes à se créer sous le statut de Scop, Alma sert désormais de modèle aux jeunes pousses de l’écosystème grenoblois. Sa force ? Un fonctionnement autonome et responsabilisant qui incite les salariés à intégrer très tôt la gouvernance de la société.

À l'extérieur, ils sont pour la plupart ingénieurs. Mais dès qu'ils franchissent la porte de l'entreprise, située dans la banlieue de Grenoble, les salariés d'Alma deviennent des « Almatiens ». « On trouvait que les mots salariés et sociétaires ne reflétaient pas vraiment ce que nous vivons ici », souligne Laurence Ruffin, la PDG. Car depuis sa création en 1979 par des chercheurs de l'université de Grenoble, il baigne dans les locaux de l'entreprise informatique une philosophie unique, qui ne se résume pas seulement au concept « un salarié, une voix ».

« Nous avons choisi le statut de Scop (Société coopérative et participative) pour des raisons idéologiques, car cela correspondait au fonctionnement démocratique des laboratoires universitaires, avec une assemblée de pairs », raconte Christophe Lacôte, l'un des quatre fondateurs.

Dans les locaux qu'occupe Alma depuis 1994, sous la verrière, il n'est pas rare de trouver des salariés-sociétaires (81 salariés) qui se détendent en jouant au ping-pong durant la pause déjeuner, pendant que d'autres se retrouvent à la cantine, autour d'un plateau repas fourni par « Au bon sens des mets », une autre Scop hébergée sur le site.

Sociétaires après un an

Si Alma est souvent prise en exemple, c'est parce qu'elle a poussé le concept à son paroxysme : tous les salariés ou presque sont sociétaires. Un taux hors du commun dans l'écosystème des Scop. Et pour cause :

« Nous appliquons une sorte de droit du sol : nous proposons, automatiquement, à tous les salariés ayant un an d'ancienneté de devenir sociétaires », explique Christophe Lacôte.

« Tous ceux qui nous rejoignent ont vocation à devenir sociétaires », ajoute la PDG, mettant un point d'honneur à le souligner. Arrivée aux commandes en juillet 2009, cette dernière connaît bien cet univers, pour avoir travaillé six années à l'Urscop (Union régionale des Scop), après une première vie au sein de grands cabinets de conseil. « Mais l'objectif de faire gagner de l'argent aux actionnaires ne me correspondait pas », reconnaît-elle.

Validation par les équipes

Au sein d'Alma, les fondateurs ont souhaité que la parole soit libre et les informations transparentes, ce qui se traduit par la publication des salaires, comptes et résultats à tous les collaborateurs. Tous les deux mois, le conseil d'administration fait parvenir une lettre d'information sur différents sujets (projets, finances, stratégie, etc.). « C'est comme être citoyen d'une ville », résume la PDG. « Nous pouvons parler facilement de nos problématiques professionnelles ou des envies que nous pouvons avoir », complète Xavier Herrero, ingénieur commercial.

Les responsables de chaque département sont validés par leur équipe tous les trois ans, à l'issue d'un processus d'évaluation commun où les managers reçoivent les retours des salariés, avant de soumettre un projet pour les trois ans à venir.

« L'idée, c'est que nous n'imposons pas un responsable à une équipe qui n'en veut pas. C'est un exercice d'amélioration continue », précise Laurence Ruffin, qui se soumet, elle aussi, au même exercice.

Pour Pierre Bucher (26 ans), ingénieur en développement, « cela replace les managers dans leur juste rôle, celui de faire travailler les personnes ensemble et de résoudre les conflits ». Entré en 2012 après une carrière au sein de groupes informatiques privés et d'un établissement hospitalier, Raoul Le Bas, 37 ans, a découvert ce type de structures participatives :

« J'ai été étonné qu'un tel fonctionnement soit possible, et surpris de voir 15 personnes de l'équipe assister à mon second entretien. Il ajoute : Que le bénéfice soit reversé sur les salariés change le regard sur la hiérarchie ! »

Un modèle de capitalisation

La Scop rémunère ainsi justement le travail, et non pas le capital, comme le rappelle le fondateur, Christophe Lacôte. « Il ne fallait pas non plus d'ambiguïté à ce sujet. » Alma a donc bâti son modèle selon le ratio suivant : 40 % du résultat est mis en réserve au sein de l'entreprise, 10 % est reversé aux associés et 50 % en participations à tous les salariés.

« Chaque nouvel associé met une somme symbolique (50 euros) à l'entrée, puis reverse chaque mois 1 % de son salaire en capital. En fin d'année, Alma abonde pour le même montant, c'est-à-dire que nous versons en capital la même somme que ce que l'associé-salarié a lui-même capitalisé », précise Laurence Ruffin.

Un fonctionnement qui a permis à l'entreprise d'obtenir la meilleure note (3++) de la Banque de France. « Une démarche dans l'intérêt des salariés puisque lorsque nous obtenons une affaire, nous savons que nous partagerons le résultat ensuite, explique Pierre Bucher, notant toutefois une limite : Si fiscalement c'est plus intéressant, ce que nous ne touchons pas en salaire ne compte pas pour la retraite ou le chômage. »

Immersion au sein de la Scop Alma

(Crédits : Laurent Cerino / ADE)

Avec un écart de 2,36 points seulement entre les revenus les plus hauts et les plus bas, Alma fait figure de bon élève par rapport aux données du marché de l'emploi, où les différences salariales entre patrons et employés peuvent atteindre un facteur de 1 000. « Les salaires ne sont pas élevés, mais le bénéfice que nous réalisons est partagé », rappelle le cofondateur, précisant que les réserves de l'entreprise sont impartageables, et permettent ainsi de passer les années creuses.

"Scopettes"

Grâce à ce modèle, Alma, qui a produit un chiffre d'affaires de 8,2 millions d'euros pour l'exercice 2014/2015, bénéficie d'un généreux coussin de 10,8 millions d'euros accumulé depuis sa création. Grâce à lui, il réalise des acquisitions stratégiques pour lesquelles elle n'a ainsi jamais recours à l'endettement. « La société a toujours réalisé de la croissance externe », rappelle son cofondateur. Car Alma est aussi connue pour ses « scopettes », des entreprises, sous statut coopératif ou non, dans lesquelles elle a pris une participation pour répondre à différents besoins.

Sans compter qu'au sein de l'entreprise, chaque branche d'activité possède une autonomie, avec son propre responsable élu par la base. « Cela part de l'idée que nous avons davantage de démocratie à 20 qu'à 80 », explique Christophe Lacôte. Déjà impliqué dans le milieu associatif, Xavier Herrero, 43 ans, a ainsi trouvé Alma assez proche de ses valeurs : « Il s'agit d'une vraie alternative au modèle du capitalisme. J'avais vraiment envie de pouvoir m'impliquer dans une entreprise. »

L'audace comme ADN

Avec l'objectif « d'appliquer à l'industrie les modèles créés à l'université », l'offre d'Alma a évolué au fil du temps : logiciels destinés à la découpe pour l'industrie, distribution de matériel Apple, fourniture de services et de réseaux aux entreprises, logiciels collaboratifs et même désormais solutions pour le milieu de la santé, etc. L'ADN de l'entreprise repose aussi sur la curiosité : « Nous avons été parmi les premiers à distribuer Apple, puis à nous saisir d'internet », résume Christophe Lacôte. Une audace qui, selon lui, tient en partie à l'investissement des sociétaires, qui n'ont pas peur d'« essayer » et de prendre des responsabilités. « La plupart des activités ont été développées car nous avons toujours quelqu'un prêt à se lancer », constate-t-il.

En retour, la confiance est de mise : par exemple, la direction ne demande pas de certificat médical pour les absences de moins de trois jours, et il n'y a pas de pointeuse.

« Au quotidien, cela change la vision que l'on a de l'entreprise, car nous avons beaucoup de responsabilités et d'autonomie. Nous disposons seulement de deux niveaux de hiérarchie pour une centaine de salariés », résume Pierre Bucher, salarié-sociétaire depuis trois ans.

Raoul Le Bas, aujourd'hui consultant, se souvient : « Quand je suis arrivé, le directeur de l'époque m'a proposé d'aller discuter avec lui du rachat d'une entreprise. On m'a ensuite chargé d'en parler à l'assemblée générale. » Face à ce modèle, il se demande encore pourquoi le statut de Scop n'est pas plus généralisé.

Qui prend les décisions ?

Si la prise de décision constitue souvent l'un des écueils des Scops, il semble écarté par un processus bien rôdé, en fonction du niveau de décision :

« Pour construire ce bâtiment, nous avons demandé l'aval de tous, puis désigné une petite commission qui s'est réunie pour faire les choix », avance Christophe Lacôte.

Un sujet qui affecte directement les salariés, comme l'évolution des retraites, peut être préparé à la fois par la RH, les délégués du personnel, puis passer en assemblée générale et être présenté dans un Alma Café.

Alma Scop

Alma, qui a produit un chiffre d'affaires de 8,2 millions d'euros pour l'exercice 2014/2015, bénéficie d'un généreux coussin de 10,8 millions d'euros accumulé depuis sa création (Crédits : Laurent Cerino / ADE)

C'est cette démarche qui est appliquée au cours des quelques assemblées générales annuelles, où les salariés se retrouvent en petits groupes pour participer à des ateliers thématiques. « Cela permet de faire travailler les personnes ensemble, pour qu'elles puissent s'impliquer », résume Laurence Ruffin.

« En tant que salariés sociétaires, nous pouvons vraiment participer aux décisions : poser des questions sur la stratégie ou donner son avis sur une croissance externe, mais aussi participer à des groupes comme le comité innovation qui organise tous les deux ans un concours interne », témoigne Xavier Herrero.

Légitimité

Lorsqu'il s'agit de parler de stratégie, Alma n'entérinera pas un rachat sans l'aval de son assemblée générale, ni même des salariés de la société achetée, « ce qui est assez unique ». Les embauches aussi se font en plusieurs « rounds », dont un avec l'ensemble des Almatiens qui accueillent le nouveau venu. Pour la sienne, Laurence Ruffin en a connu sept. « Nous pouvons penser que ce processus est long pour un PDG, mais que la décision soit partagée par tous présente un intérêt, puisque cela donne de la légitimité. Les erreurs de casting peuvent arriver, mais nous les réduisons ainsi fortement. »

Si dans la pratique, un tiers des sociétaires peut convoquer une assemblée générale extraordinaire de droit et demander un changement de direction, dans les faits, ce n'est jamais arrivé. « Les gens savent que leur emploi est en jeu », rappelle la présidente.

« L'important au final, ce n'est pas tant le résultat du vote, mais sa construction, estime le cofondateur. Car en prenant le temps suffisant pour obtenir les informations, nous construisons un argumentaire et avons davantage de chances de prendre les bonnes décisions. »

Simple comme une démonstration scientifique, en somme.

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