"Swisslicon Valley" : l'eldorado des startuppers ?

Dépourvue de matières premières, la Suisse doit sa prospérité à la créativité de ses entrepreneurs, au point d'être reconnu "pays le plus innovant au monde". Cependant, l'insuffisante protection des investisseurs et le manque cruel de capital-risque entrave le renouvellement du tissu économique. Pour sortir de la crise du franc fort, le marché domestique est contraint de se montrer toujours plus innovant et compétitif. La Suisse pourra-t-elle encore longtemps faire figure d'eldorado des startuppers et autres innovateurs ?
Plus de 150 entreprises innovantes se côtoient sur le prestigieux campus de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).

Deux par mois. C'est en moyenne le nombre de jeunes entreprises innovantes dans le secteur des nouvelles technologies créées dans les couloirs des prestigieuses École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et de Zurich (EPFZ). Difficile pour autant d'obtenir des données exactes sur le nombre de jeunes pousses qui éclosent sur le territoire, tant les critères d'évaluation sont ambigus et particuliers.

Des startups qui ont neuf chances sur dix de péricliter dans leur marché encore méconnu et très spécifique, et pourtant qui construisent l'avenir. Google ou Apple en sont des exemples, débutant leur aventure dans un garage avant de dominer aujourd'hui les capitalisations boursières. En Suisse, entre 150 et 250 sociétés high-tech innovantes se lanceraient chaque année d'après un professeur d'innovation à l'EPFL. Dans la seule ville de Genève, elles sont aujourd'hui 150 à être recensées comme telles, et 450 à l'échelle de l'arc lémanique.

Développer son savoir en R&D

Les success-stories "made in Switzerland" ne manquent pas : de Logitech, aujourd'hui numéro un mondial des périphériques informatiques, à Nespresso qui étend son réseau de machines et capsules à café haut de gamme dans le monde entier, en passant par Nestlé, Novartis ou Roche. Pays dépourvu de matières premières, la Suisse a donc tout intérêt à encourager les nouvelles sociétés qui doperont l'économie de demain, en développant son savoir R&D.

Sur ce point, les cantons ont bien compris que promouvoir l'innovation technologique est décisif pour bâtir la Suisse des générations futures. Le canton de Vaud, par exemple, met à disposition un réseau de financement privé-public, des infrastructures, des services de transfert de technologie, des programmes de soutien et des dispositifs de coaching et d'accompagnements gratuits. Une plateforme dédiée à l'innovation, Innovaud, est également dédiée aux porteurs de projets. Au total, 200 entreprises high-tech innovantes sont hébergées dans les deux parcs technologiques d'Ecublens et d'Yverdon.

Loi Jedi

Une telle vitalité s'explique notamment par la proximité de l'EPFL, où 157 inventions ont été annoncées en 2015, avec le dépôt de 88 brevets prioritaires. Plus de 150 entreprises innovantes se côtoient d'ailleurs sur ce prestigieux campus, au sein d'un "EPFL Innovation Park" à la pointe. Le canton de Genève n'est pas en reste, avec la présence du Centre européen pour la recherche nucléaire (Cern).

"Nous constatons une forte activité dans le domaine de la fintech (technologie financière, NDLR) avec une scène émergente issue des entreprises locales, notamment en sécurité informatique, grâce au dynamisme du Cern en matière de cryptographie", explique Élisabeth Tripod-Fatio, du service de la promotion économique du canton de Genève.

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Aucune subvention n'est versée directement, mais un certain statut permet à Genève de bénéficier d'une exonération d'impôt grâce à la loi Jedi (Jeunes entreprises développant des innovations). La cité de Calvin propose également de nombreux incubateurs et accélérateurs. Au niveau national, la Commission pour la technologie et l'innovation (CTI, l'agence fédérale chargée d'encourager l'innovation et la recherche appliquée) œuvre en cofinançant certains projets, en développant l'esprit entrepreneurial, en favorisant le transfert de connaissances et de technologies et en s'engageant dans des programmes internationaux.

Logitech

Les success-stories "made in Swiss" ne manquent pas : de Logitech, aujourd'hui numéro un mondial des périphériques informatiques. (Crédits : Alain Herzog)

 Conditions propices

"La Suisse a tout pour être le pays rêvé de l'innovation, lance Fathi Derder, conseiller national et coprésident du groupe parlementaire Start-up. Le succès de la Silicon Valley repose sur l'université de Stanford. Nous possédons, de notre côté, un système de formation plus performant que celui américain, avec des écoles polytechniques qui figurent parmi les meilleures au monde."

Autres atouts : une recherche pointue, un tissu d'entreprises très dense et une formation professionnelle de qualité. Les idées peuvent donc fourmiller jusqu'à l'entrepreneuriat.

"L'avenir passe par l'innovation, nous n'avons pas le choix, poursuit l'ancien journaliste reconverti dans la politique fédérale. Nous avons vécu une véritable rupture avec le numérique, menant à la disparition de certaines professions, le changement des modèles de fabrication et l'ouverture de nouveaux marchés."

Le digital n'est en effet plus une économie parallèle, absolument tout passant aujourd'hui par un logiciel. Une économie dominée à près de 90 % par les États-Unis, alors qu'Amazon enchaînait les pertes il y a moins de 20 ans. Et à l'heure où Uber réinvente les déplacements en ville, le conseiller national propose de "réfléchir aux modèles pour les réinventer au lieu de cryogéniser notre monde actuel".

En Suisse, les cartes à jouer sont nombreuses, dans la science et la santé, entre autres, mais aussi dans cette économie numérique où tout semble encore à inventer. C'est d'ailleurs sur le territoire helvète qu'un fabricant de matelas s'est retrouvé à combattre l'apnée du sommeil par l'installation de puces électroniques dans ses produits. Et c'est aussi en Suisse qu'a été développé Scala, le langage de programmation utilisé par Twitter et LinkedIn.

Pays le plus innovant au monde

"Oui, la Suisse peut être une nation propice aux startups, mais tout dépend encore du domaine ciblé, car il faut disposer d'un débouché avec des clients, tempère Élisabeth Tripod-Fatio. Genève possède une forte communauté dans la finance ainsi qu'une faculté des sciences réputée et de grands hôpitaux universitaires, sans oublier les fleurons de l'industrie pharmaceutique et chimique qui sont impliqués dans l'innovation."

Les années passent et l'Helvétie reste le pays le plus innovant au monde, d'après l'Organisation internationale de la propriété intellectuelle, la Cornell University et l'Insead.

Pour capitaliser sur ce savoir-faire, la Suisse a également su mettre en relation de grands patrons expérimentés avec de jeunes entrepreneurs pour les accompagner, comme l'applique le Réseau Entreprendre Suisse Romande (RESR). Les événements, séminaires et ateliers dédiés au lancement d'une startup sont nombreux et il est même possible de créer sa société en un week-end ! Les soutiens aux entrepreneurs qui se lancent sont donc nombreux : business angels, investisseurs, organismes de promotion économique, fondations, etc. Sans oublier la cinquantaine de prix décernés chaque année pour encourager l'innovation : Prix Venture, Trophée PERL ((Prix Entreprendre Région Lausanne) ou Swiss Technology Award, pour ne citer qu'eux.

Des récompenses ayant aidé Epithelix, qui développe, produit et vend des tissus humains reconstitués in vitro avec une durée de vie d'une année en se basant sur le modèle cellulaire unique de l'épithélium respiratoire. Le Français Song Huang, directeur scientifique et cofondateur de la startup genevoise, reconnaît que les concours remportés ont apporté une crédibilité et une reconnaissance certaines, en plus des formations gratuites et de l'aide d'Eclosion, l'incubateur dédié aux sciences de la vie : "Le canton de Genève et la Confédération ont toujours soutenu la recherche et l'innovation, et l'administration suisse si elle est simple, reste efficace. Tandis que l'environnement est très favorable à l'innovation et à la création d'entreprises, avec un accès à toutes sortes de financement."

Hub européen de Google

Avec son produit et sa technique à vendre, préalablement développée au sein de l'Université de Genève, la société a donc pu privilégier l'auto-financement et la croissance organique, sans investissements conséquents. Pour l'entrepreneur, ce n'est pas pour rien que "la Suisse est souvent classée parmi les trois premiers pays les plus innovants au monde".

Google

Google a installé son Hub européen à Zurich. (Crédits : Google)

Ces arguments permettront-ils alors de faire émerger une "Swisslicon Valley" ? Les plus grands ne s'y trompent pas. Google a ainsi installé son hub européen à Zurich, le transformant en centre de recherche sur l'intelligence artificielle. "La Suisse est l'un des pays les plus fructueux au niveau économique, avec une histoire de performance remarquable dans le domaine de l'entrepreneuriat", souligne John Harthorne, directeur général de MassChallenge, le plus important incubateur de startups au monde sis à Boston et qui a choisi de s'installer en Suisse pour placer une tête de pont en Europe.

Lire aussi : MassChallenge s'installe à Genève, un écueil pour Lyon ?

L'avenir par la finTech

Dans cette avancée, la tradition bancaire locale reste également une valeur « sûre » pour les quelque 200 startups fintech du sol helvétique (qui représentent 1/10ème du secteur mondial) puisque la Suisse est une place de référence mondiale pour la finance.

Ainsi, après Londres et New York, le premier incubateur suisse dédié aux startups de la fintech, baptisé Fusion, a vu le jour à Genève, formant un écosystème complet avec investisseurs, écoles, professionnels et banques.

"L'objectif est de développer un microcosme fintech dynamique, tout en travaillant de concert avec les banques établies et les entreprises de services financiers, afin de consolider le rôle de pôle financier de la Suisse", expliquent les deux partenaires à l'origine du projet, Temenos (entreprise informatique) et Polytech Ventures (société de capital-risque basée à l'EPFL).

Chaque année, dix startups bénéficient ainsi d'un programme d'accélération pour passer du prototype à la commercialisation, avec formations, experts, mentors et réseaux de partenaires. Une initiative à laquelle s'est jointe BNP Paribas Suisse cette année avec l'objectif de "concevoir la banque de demain", en s'assurant d'en être un acteur de premier plan. "Ce partenariat est un catalyseur dans notre modernisation", annonce Kim-Andrée Potvin, directeur des opérations et sponsor de la stratégie digitale de la banque. Selon lui, associer l'expertise de BNP Paribas avec celle d'entrepreneurs permettra d'aller "plus rapidement et efficacement au coeur du changement" que traverse l'industrie financière.

Manque de capital-risque

Mais ce n'est pas si simple, car à l'inverse de la France, la Suisse a un fonctionnement plus bottom-up que top-down. "Presque trop, avoue Fathi Derder. Nous devrions peut-être nous inspirer de ce qui a été initié par Emmanuel Macron lorsqu'il cherche à simplifier la vie des entrepreneurs." Mais paradoxalement pour un pays si riche, le principal problème reste le financement :

"Notre pays déborde d'argent mais en épargne. Il ne se retrouve pas à financer des projets innovants."

En tout, 850 milliards de francs suisses (780 milliards d'euros) sont accumulés dans les caisses de pension, mais n'alimentent pas de capital-risque. Injecter un seul pour cent de ces milliards dans le tissu économique local produirait un puissant effet levier.

Le MassChallenge, plus important incubateur de startups au monde sis à Boston, a choisi de s'installer en Suisse pour placer une tête de pont en Europe.

Dans son livre Le prochain Google sera Suisse, Fathi Derder cite l'exemple d'un entrepreneur suisse installé à Pékin qui a levé 12 millions de dollars pour poursuivre son développement. Une somme jugée importante en Suisse, alors qu'en Chine, le fait n'est pas rare. Le petit pays banquier n'est donc pas sur un pied d'égalité face à des concurrents asiatiques ou américains qui réussissent à trouver plus facilement des dizaines de millions de dollars pour se développer.

"Ici, l'argent levé permet de vivre plutôt que de s'agrandir", résume un entrepreneur.

Alors que le besoin de financement d'une startup est très élevé, surtout dans le domaine de la santé. Le risque est donc également de voir les idées et les talents quitter le sol helvète vers des terres plus fertiles.

"Startup nation"

Selon le lobby des startups à Berne, la Suisse devrait autant sacraliser son budget dédié à la R&D qu'un pays en guerre privilégie son budget militaire. "Mais les milieux politiques ne prennent pas conscience de l'évolution de la société. Certains pensent toujours que Google est un simple moteur de recherche alors qu'il est devenu un véritable assistant de vie", constate Fathi Derder. Un manque de connaissance de la culture numérique révélateur. Le lobbyiste a donc co-créé un groupe parlementaire pour défendre les startups et la nouvelle économie auprès des plus hautes sphères de la Confédération, jusqu'à sensibiliser le président Johann Schneider- Ammann.

Avec succès, puisque des projets sont débattus pour une « vraie » définition du statut et des besoins spécifiques des startups, alors qu'une politique d'innovation a été inscrite au programme de la législature. Le Palais Fédéral accepte donc l'idée de programmes dédiés aux startups, et des rencontres entre acteurs de l'innovation et de l'administration ont déjà eu lieu. Mieux : un projet de loi pourrait prendre forme l'an prochain, créant le Fonds suisse pour l'avenir, incitant les investissements dans les PME innovantes en vue d'un véritable écosystème. Le président de la Confédération a d'ailleurs annoncé envisager des exonérations d'impôts généralisées pour les startups et des cadeaux fiscaux aux investisseurs...

Car s'il est certes devenu assez simple de lancer sa startup en Suisse, la tâche à venir serait davantage de retenir ces sociétés sur le territoire en évitant un "brain drain" (fuite des cerveaux). Entrepreneurs et activistes sont unanimes : "La Suisse peut et doit faire mieux !", si elle veut garder sa longueur d'avance et devenir une véritable "startup nation".

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Commentaires 2
à écrit le 18/11/2016 à 12:04
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Article très intéressant, en revanche "made in Swiss" n'est pas correct, "Suisse" se dit "Switzerland" en anglais. Sinon il faut dire "Swiss Made".

à écrit le 18/11/2016 à 12:03
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Euh, c'est "swiss made" ou "made in Switzerland". Made in Swiss, ça veut rien dire :-)

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