Serial entrepreneurs : les récidivistes

Non contents de créer une première activité, ils enchaînent les aventures entrepreneuriales. Plus à l’aise dans les phases de démarrage de l’entreprise, à leurs yeux plus ludiques, que dans celles de croissance et de maturité, ils constituent une catégorie très particulière de bâtisseurs. Plongée dans une psychologie entrepreneuriale singulière.
Guillaume Guttin, serial entrepreneur.

D'un point de vue purement économique, est défini comme entrepreneur en série celui qui aura créé plusieurs entreprises. Pour lui, « l'entrepreneuriat est un moteur. Il est capable de rebondir de projet en projet, que celui-ci se termine bien ou mal. La finalité est finalement secondaire. Cet entrepreneur n'envisage son avenir qu'au travers des entreprises qu'il crée », analyse Jean-Claude Lemoine, directeur de l'institut de l'entrepreneuriat à Grenoble Ecole de Management.

En l'absence de recherches menées sauf à titre expérimental, il n'existe aucune définition académique de l'entrepreneur en série.

« La définition stricto sensu se rapporte au fait de concevoir, de démarrer et de développer plusieurs affaires. Par essence, un entrepreneur en série va caracoler de business en business, abandonner un projet pour en reconstruire un autre », estime pour sa part Michel Coster, professeur en entrepreneuriat et directeur de l'incubateur emlyon.

Qui est l'entrepreneur ?

Interroger le profil de l'entrepreneur en série impose de préciser le concept même d'entrepreneur. « Est entrepreneur selon moi celui qui prend son destin en main », assène Jean-Claude Lemoine. « L'entrepreneuriat en série ne se caractérise pas, ou pas seulement, par le nombre d'entreprises créées, mais se définit par la nature même de l'acte d'entreprendre », pose Alain Asquin, maître de conférences en sciences de gestion, spécialisé en entrepreneuriat, management stratégique de la PME et management par projet à l'IAE Lyon.

« Un entrepreneur est mû par une force qui l'amène à concevoir de nouveaux projets, à les tester, à les développer et à les mener à la réussite », poursuit Michel Coster. « L'entrepreneuriat correspond à une action de projet, vécue par phases d'intensité variable. On entend par « entrepreneur » l'individu qui crée des organisations nouvelles et qui définit de nouveaux modèles organisationnels », rappelle quant à lui Alain Asquin.

Esprit pionnier

« Le serial entrepreneur est nourri par l'envie de créer des structures, dans une ambiance un peu pionnière, dans laquelle les liens interpersonnels tiennent une place prépondérante, plus que dans les organisations « processées » qui impliquent des systèmes de management plus complexes. Au fur et à mesure qu'elle grandit, la structure entrepreneuriale est régie par des process managériaux qui prennent le pas sur l'ajustement humain », avance encore Michel Coster.

Le serial entrepreneur est en premier lieu un bâtisseur, qui récidive dans la création de nouvelles organisations. Il s'agit donc d'un phénomène récurrent de « réentrepreneuriat », sans caractère compulsif.

« Pour interroger le caractère sériel, il faut s'intéresser au comportement même de l'entrepreneur. L'entreprise doit être envisagée comme un support de la construction personnelle, estime Alain Asquin. L'individu et le projet sont une relation de co-construction : le projet sans l'individu créateur n'est rien, mais c'est bien le projet qui le fait devenir entrepreneur. »

Le projet participe au développement de l'entrepreneur lui-même et le fait grandir. À partir du moment où cette construction dans le projet initial est interrompue, certains entrepreneurs sont enclins à entamer une nouvelle affaire. D'autres reconnaîtront ne plus se construire, mais n'abandonneront pas pour autant leur projet initial, obéissant à une pression financière, sociale ou familiale.

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« Ce qui me plaît le plus dans l'acte d'entreprendre, est justement ce qui précède la phase de création », affirme Guillaume Guttin.

« C'est ce qui distingue entrepreneur classique et entrepreneur en série », note Alain Asquin, par ailleurs vice-président Jean-Moulin Lyon 3, directeur de l'innovation et du développement. La flamme entrepreneuriale n'est pas toujours compatible avec le développement d'une structure. « C'est pourquoi certains entrepreneurs préfèrent vendre leur affaire et passer à un autre projet », complète Michel Coster.

Motivations

« Clairement, ce qui me plaît le plus dans l'acte d'entreprendre, est justement ce qui précède la phase de création, qui correspond à la genèse de l'idée elle-même. Je suis attiré par les feuilles blanches pour développer un projet qui deviendra une entreprise », témoigne Guillaume Guttin, multi-entrepreneur, fondateur de Com'Unique, une agence de communication qui commercialise des espaces publicitaires dans les toilettes des bars et des restaurants, puis créateur de la Kiwi Box, borne de recharge universelle pour smartphones et tablettes, également actif dans la restauration, à l'origine de trois food-trucks.

Certains entrepreneurs comme lui se plaisent davantage dans les phases de démarrage d'entreprise, beaucoup plus ludiques pour eux, que dans les périodes de croissance et de maturité de la structure. Ils sont en situation de confort dans celles d'incertitude, quand tout est et reste à faire.

« Une fois que l'entreprise en lancée et en phase de croissance, ils peuvent avoir tendance à s'ennuyer davantage qu'un entrepreneur classique. Lorsque ce désintérêt et cet ennui surviennent, les entrepreneurs en série ont tendance à penser à la revente ou à la cession de leur entreprise pour démarrer un nouveau projet », explique Michel Coster.

Adrénaline

« Je suis un éternel insatisfait, témoigne Nicolas Claramond, fondateur du groupe LHR, basé à Roanne, fort d'une dizaine de restaurants en franchise (100 salariés et six millions d'euros de chiffre d'affaires prévisionnel en 2016). J'ai besoin d'entreprendre pour me prouver que j'en suis toujours capable. »

« Arrivés dans une phase de confort de la vie de l'entreprise, lorsque les aspects gestionnaires prennent le dessus sur l'acte de création et que l'intensité entrepreneuriale diminue, certains vont chercher à se réinventer un nouveau parcours professionnel et à se réengager dans l'entrepreneuriat », analyse encore Alain Asquin.

D'autres entrepreneurs en série ont besoin de l'adrénaline liée aux premiers temps de la création. Ils se révèlent très performants dans la constitution du pool de ressources permettant de créer l'entreprise, mais peuvent connaître un certain ennui dans la phase de développement. « Ce qui les anime, c'est l'aventure entrepreneuriale et la volonté de créer. La phase de gestion et d'administration les motive moins », juge-t-il.

Échec et rebond

« Pour connaître la réussite, il faut aussi savoir passer par des périodes de crises et d'épreuves, éventuellement connaître des situations d'échec, qui renforcent », estime Guillaume Guttin. Une des qualités premières du serial entrepreneur réside dans sa capacité de rebond et de résistance à l'échec. L'entrepreneur classique qui voit son aventure mal se terminer pourra être tenté de retourner vers le salariat.

« En revanche, selon Jean-Claude Lemoine, un entrepreneur en série va souhaiter capitaliser sur cet échec, même s'il le vit difficilement par ailleurs, pour repartir sur une nouvelle idée et rebondir. »

Certains entrepreneurs peuvent être déçus par le premier projet qu'ils ont mené et vont alors chercher de nouveaux espaces d'expérimentation. Pour Alain Asquin « le serial entrepreneur s'engage alors dans une phase de recherche perpétuelle jusqu'à définir, par tâtonnements successifs, le modèle qui lui correspond le mieux. Il peut connaître dans cette recherche des épisodes d'échecs. »

« Un entrepreneur en série est d'abord un expert de l'organisation. C'est la clé de la réussite d'un projet », estime Alain Asquin.

Cependant, met en garde Michel Coster, « attention aux phénomènes de mode, il ne faut pas forcément avoir échoué pour être un entrepreneur accompli. La capacité de résistance à l'échec est sans doute plus grande chez le serial entrepreneur. Encore faut-il que l'entrepreneur ait connu un échec d'entreprise. L'échec n'est pas une condition sine qua non de réussite ultérieure. »

Savoir s'entourer

« La capacité à savoir s'entourer est déterminante dans la réussite du projet d'un entrepreneur en série. Que ce soit une personne conseil, un associé ou un salarié, il est primordial de pouvoir faire appel aux compétences dont vous êtes personnellement dépourvu », juge Michel Coster.

« S'entourer est indispensable, mais nécessite des moyens, confirme Guillaume Guttin. Au début, tout entrepreneur est obligé d'être polyvalent et ne peut compter que sur lui-même. Mais dès lors que l'aventure prend forme et que l'entreprise se développe, il est impératif de s'entourer d'une équipe. »

La question de l'entourage est fondamentale lorsque l'on aborde le multi-entrepreneuriat.

« Un entrepreneur en série est d'abord un expert de l'organisation. C'est la clé de la réussite d'un projet. Ce sont des créateurs, des inventeurs de modèles qui savent se positionner sur les pans de l'activité où ils dégageront une réelle valeur ajoutée. Ils savent par ailleurs déléguer une partie de ladite activité. Cette délégation correspond à un décentrage du projet initial », ajoute Alain Asquin.

« Il est capital de savoir s'entourer et de développer l'esprit d'équipe. La réussite du groupe et son expansion reposent avant tout sur un travail d'équipe et des savoir-faire complémentaires », avance pour sa part Nicolas Claramond.

Réentrependre, une forme de renoncement

Un serial entrepreneur peut être amené à conserver un lien avec les projets qu'il a précédemment conduits. L'objectif diffère un peu avec l'entrepreneur qui va créer, développer et revendre.

« Nous sommes davantage ici dans une logique de création de groupe. Dans cette perspective, il s'agit d'un développement d'affaires et d'une supervision de gestion. L'entrepreneur dans ce cas doit savoir s'entourer de collaborateurs à qui confier et déléguer les responsabilités sur le plan opérationnel », analyse Michel Coster.

Le serial entrepreneur est capable de se décentrer de son projet initial pour se concentrer sur un nouveau projet. Le projet initial n'est pas forcément abandonné avant d'entamer un deuxième ou un troisième projet. Mais il sera géré avec davantage de distance.

« Réentrependre est une forme de renoncement : cela revient à accepter de ne plus être l'homme-clé, le pivot central, d'un projet entrepreneurial, conclut Alain Asquin. Cette qualité requiert de l'agilité, afin de ne pas s'être rendu indispensable au fonctionnement quotidien du projet. »

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