Grenoble, terre d'innovation

Cinquième ville la plus innovante du monde. Tel est le résultat du dernier classement du magazine américain Forbes. Palmarès après palmarès, la capitale des Alpes n’en finit pas de faire parler d’elle. Au point d’en agacer parfois ses homologues françaises dont aucune ne figure dans le classement. Qu’est-ce qui se cache derrière ce que l’on appelle communément le “modèle grenoblois” que de plus en plus de villes cherchent à reproduire ou décliner ? Décryptage de cet écosystème complexe, du rôle des politiques publiques et des autres domaines où la ville excelle.

La nouvelle est tombée en juillet : Grenoble se place en cinquième position des villes les plus innovantes du monde. Oui, Grenoble, cette ville nichée au creux des montagnes d'à peine plus de 150 000 habitants, 700 000 si l'on englobe toute la région urbaine. C'est ce que révèle
le magazine économique américain Forbes dans son palmarès "World's 15 Most Inventive Cities". La capitale des Alpes se classe derrière Eindhoven (Pays-Bas) de loin en tête, San Diego et San Francisco (Californie) puis Malmö (Suède). Elle devance ainsi Stuttgart et Boston, respectivement sixième et septième au classement. C'est par ailleurs la seule ville française à apparaître dans ce top 15 dominé par les Etats-Unis (avec six villes), suivis de l'Allemagne et de la Suède avec trois villes chacune.

 

La capitale des Alpes mérite-t-elle cette place de choix ? Pour le maire de Grenoble, Michel Destot, cela ne fait aucun doute. "Cet excellent classement est une vraie reconnaissance internationale de la singularité et de la compétitivité du modèle grenoblois." Ce n'est en tout cas pas la première fois que Grenoble tire ainsi son épingle du jeu.

 

 

Une ville convoitée par les grands groupes

 

Des événements récents confirment encore l'attractivité du territoire pour les projets innovants. En mai dernier, la société américaine Salesforce, spécialiste mondial de la gestion relation client sur le cloud - et par ailleurs n° 1 dans le classement Forbes des entreprises les plus innovantes - a implanté son nouveau centre de R&D à Grenoble. "C'est littéralement la guerre pour trouver d'excellents ingénieurs. En venant à Grenoble, on ne cherchait pas à faire des économies mais on voulait les meilleurs au monde. C'est ici que j'ai trouvé le personnel le plus talentueux", a ainsi expliqué Parker Harris, cofondateur de Salesforce, pour justifier ce choix d'installation dans la capitale des Alpes.

 

Le même mois, la société Alstom Hydro décidait d'y implanter le siège mondial de ses activités hydroélectriques, de la recherche à la production. Deux cents personnes venues du siège du groupe Alstom à Levallois-Perret et du site de Moirans sont désormais en train de
rejoindre le site historique de Grenoble. Un regroupement des équipes qui répond surtout "au souhait de renforcer un pôle mondial reconnu", selon la direction d'Alstom. "Nous continuons à investir en R&D car nous avons réussi à garder à Grenoble un niveau d'expertise qui nous
permet de rester compétitifs sur le plan international", souligne Maryse François-Xausa, vice-présidente Global R&D et Product Management pour Alstom Power Hydro. A cela s'ajoute, selon elle, un environnement général propice, avec des acteurs ayant des compétences dans
l'hydraulique, comme l'INP (Institut national polytechnique de Grenoble), EDF ou Sogreah. "Grâce à cet environnement de compétences et d'innovation, on arrive à faire avancer les choses ici un peu plus vite qu'ailleurs", poursuit la vice-présidente. Le site de Grenoble, qui comptait 500 personnes en 2006, en comptera ainsi plus de 900, une fois terminé le transfert de l'unité de Levallois-Perret. Dernier événement : le lancement officiel de "Nano 2017" le 22 juillet, à Crolles. C'est d'ailleurs le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, qui a donné le coup d'envoi de ce programme de développement dans le domaine des nanotechnologies. Un lancement flamboyant en présence de trois ministres, dont Geneviève Fioraso, ministre de
l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Et pour cause : l'Etat va injecter 600 millions d'euros dans ce projet. "A ce soutien de l'État, se joindront les collectivités locales, a précisé Jean-Marc Ayrault. Au total, l'ensemble des porteurs du programme engageront plus de 3 milliards d'euros d'investissements industriels et de recherche d'ici 2017". Grenoble avait par
ailleurs été retenue, en mai dernier, par la Commission européenne avec Dresde et Eindhoven en tant que pôle électronique de niveau mondial à renforcer.

 

 

Les secrets d'un succès

 

Si Grenoble est aujourd'hui l'un des territoires les plus innovants de France, elle le
doit en grande partie à un modèle de développement basé sur le triptyque formation - recherche-industrie, construit dès le XIXe siècle, avec l'essor de l'hydroélectricité (la célèbre "houille blanche"). Autre étape majeure: l'installation en 1956, à l'initiative du Professeur Louis Néel, du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), qui reste la pierre angulaire de cet écosystème. "Le CEA, traitant sciences et technologies au même niveau, a cette capacité à travailler avec les entreprises, d'autant qu'il est intégré à la ville", précise Pierre Juliet, directeur général du pôle de compétitivité Tenerrdis, dédié aux innovations dans les énergies renouvelables.

 

La "taille humaine" de Grenoble, le poids de son pôle universitaire, lieu d'échanges et de réseautage, mais aussi le leadership d'industriels, de scientifiques et d'élus (Alain Mérieux, Henri Lachmann, Jean Therme, Geneviève Fioraso, etc.) jouent également à plein. "60 % des équipes dirigeantes des entreprises et des laboratoires grenoblois viennent de l'INP Grenoble. J'en suis d'ailleurs sorti, comme Jean Therme, directeur du CEA, et Joël Hartmann, vice-président de STMicroelectronics", rappelle Gérard Matheron. "On se connaît depuis toujours et cela favorise les échanges. On n'a pas à se forcer pour travailler entre l'INP, l'UJF
(Université Joseph Fourier), le Leti, ST, Schneider Electric." Si cet écosystème ne date pas d'hier, il a fini par atteindre une masse critique suffisante pour devenir, au début des années 2000, une référence mondiale en terme d'innovation.

 

Les politiques publiques ne sont pas non plus étrangères au succès de ce modèle. Si l'Etat, la région et le Conseil général ont souvent soutenu des projets grenoblois, le maire Michel Destot se targue d'avoir renforcé le modèle grenoblois depuis 1995. "Ce fameux triptyque entreprises - universités - recherche, auquel nous avons offert un élan nouveau, en donnant aux collectivités locales un rôle accru d'impulsion et de coordination, a permis à Grenoble de renforcer son influence, tant à l'échelle rhônalpine que française et européenne." Une mobilisation qu'il juge prioritaire et relevant directement de ses fonctions. "Le maire est, en quelque sorte, un ambassadeur de sa ville qui a pour mission de la promouvoir et de conforter son attractivité." Grenoble est d'ailleurs la seule ville en Rhône-Alpes à financer des pôles de compétitivité, à hauteur de trois millions d'euros par an. Et elle n'hésite pas à soutenir directement des entreprises, comme pour le programme Nano 2012 de
STMicroelectronics, subventionné à hauteur de 600000 euros. Une politique qui ne devrait pas changer avec Jérôme Safar, Michel Destot venant tout juste de passer le relais à son fidèle premier adjoint... Si toutefois la majorité PS est reconduite aux prochaines élections.

 

 

Trois piliers porteurs

 

Aujourd'hui, le modèle grenoblois reste essentiellement porté par trois secteurs clés : les micro-nanotechnologies, les biotechs et sciences du vivant et les nouvelles technologies de l'énergie. Avec pour chacun un rôle prépondérant des pôles de compétitivité dans la mise en relation des acteurs. A commencer par Minalogic pour la micro-électronique. "Grenoble compte nombre d'entreprises de haute technologie, telles que STMicro electronics, Schneider
Electric, Bull, Capgemini, HP, Xerox ou Rolls-Royce, explique Jean Chabal, délégué général du pôle. Toutes travaillent sur un axe R&D au sein de projets collaboratifs associant des entreprises et des laboratoires de recherche". Par ailleurs, des relations se nouent entre groupes plutôt traditionnels et fournisseurs de technologie de la microélectronique ou du logiciel. "Par exemple, A. Raymond, entreprise centenaire très active dans le pôle, profite aujourd'hui des innovations de la micro-nano électronique pour augmenter la valeur de ses produits." Sans compter les start up qui se créent à partir des résultats des laboratoires de recherche. A la clé de nombreuses innovations, comme celle développée par la société Ulis du groupe Sofradir en matière de capteurs intra-rouges. Ou encore la mesure du mouvement, dont la société Movea a fait sa spécialité.

 

Autre domaine d'innovation majeur : celui des biotech et des sciences du vivant, grâce à des projets ou des infrastructures d'importance comme Clinatec, Biomérieux, ou le pôle d'innovation NanoBio. Ce dernier réunit des équipements scientifiques, au sein desquels travaillent 300 chercheurs en chimie, physique, science des matériaux, biologie, ou encore médecine." Ce pôle a permis de développer des micro-systèmes ciblant plutôt les diagnostics et l'évaluation précoce de pathologies, particulièrement en oncologie", précise Francoise
Lartigue, chef de projet Nanobio au CEA. "Parmi les projets phares, on peut citer les
nouveaux systèmes d'imagerie de fluorescence en temps réel pour l'aide à la chirurgie des cancers", ajoute le Professeur Olivier Renaudet, chef de projet NanoBio à l'UJF. "Ces travaux du CEA-Leti, de l'Université Grenoble Alpes et de l'Inserm ont permis la création de Fluoptics." La start-up a par ailleurs bénéficié, cet été, d'une levée de fonds de plus de 2 millions d'euros. Depuis 2009, ce sont ainsi plus d'une quinzaine de start-up, dont certaines
comptant une trentaine de salariés, qui ont été créées.

 

Dernier grand domaine d'innovation : les technologies de l'énergie, avec comme thématiques clés le photovoltaïque, l'hydrogène, les microsources d'énergie et les smart grids. "Suite au rachat de Concentrix Solar, Soitec est devenu leader mondial du photovoltaïque à concentration. Et il intègre de plus en plus des apports technologiques de la microélectronique", souligne Pierre Juliet. Preuve de ce dynamisme, une équipe de recherche franco-allemande, incluant Soitec et le CEA-Leti, a annoncé, le 23 septembre, avoir battu le record mondial d'efficacité d'une cellule solaire, avec 44,7 % d'énergie issue du
soleil transformée en électricité. "Or toute augmentation de rendement dans le domaine de l'énergie est importante, car au bout du compte cela fait baisser le prix du kW/h", souligne-t-il.

 

Grenoble compte également des acteurs de l'hydrogène parmi les plus innovants en France. A commencer par le centre de recherche avancée d'Air Liquide. Mais aussi SymbioFcell, qui possède la première ligne de production européenne de systèmes de piles à hydrogène, ou encore McPhy Energy, qui détient de solides portefeuilles de brevets. "Hors Air Liquide, les
technologies hydrogène occupent de 100 à 150 personnes sur le bassin. Mais dans cinq ans, il n'est pas exclu qu'elles en occupent mille, avec un chiffre d'affaires multiplié par dix ou vingt", pronostique Pierre Juliet.

 

 

Par Muriel Beaudoing.

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