Conseiller n'est pas (toujours) entreprendre

Au point sur le plan technique, les conseillers du chef d'entreprise (avocats, experts-comptables, notaires, etc.) n'ont pas toujours une vision exhaustive de l'acte d'entreprendre. Et si certaines professions se forment volontiers pour parler les multiples langages de l'entreprise (management, stratégie commerciale, par exemple), d'autres éprouvent plus de difficultés à s'ouvrir et à les adopter. Tour d'horizon de ces métiers de conseil de l'entreprise plus ou moins en prise avec ses réalités.

Qui mieux qu'un chef d'entreprise pour conseiller un autre chef d'entreprise ? La réponse à cette question semble évidente. Pourtant, la réalité n'est pas toujours aussi simple. En effet, s'ils peuvent légitimement s'enorgueillir d'une formation technique de haut niveau, sans cesse mise à jour au regard de l'évolution réglementaire et législative, les divers conseillers du chef d'entreprise (avocat, expert-comptable, notaire, etc.) ne maîtrisent pas toujours certains langages (management, stratégie commerciale, étude de marché, etc.) pourtant cruciaux si l'on entend saisir tous les enjeux de l'acte d'entreprendre.

Par nature, les experts-comptables et commissaires aux comptes sont certainement les conseillers qui possèdent la vision la plus complète de l'activité entrepreneuriale. Cela tient d'abord à une formation initiale solide (qui s'achève sur un stage de trois ans), mais aussi à des dispositifs de formation continue de plus en plus ouverts sur des thématiques connexes.

Une offre de formation très large

"Il existe des formations de base que nos confrères suivent régulièrement et qui constituent notre fond de catalogue, telles que l'actuelle en comptabilité, celle sur la loi de finances et celle sur les évolutions sociales, explique Pierre Beluze, président du Cref, institut de formation des experts-comptables et des commissaires aux comptes de Rhône-Alpes. À cela se sont ajoutées, peu à peu, depuis une vingtaine d'années, des formations financières, puis liées au management, au développement commercial et, depuis deux ou trois ans, à la stratégie en matière de web et de marketing."

Dans les 230 pages du dernier catalogue du Cref, on retrouve en effet des nouveautés telles que "l'accueil et le service client", "conduire efficacement vos entretiens individuels", "accompagnez vos clients à l'international", "connaître le nouvel environnement bancaire des entreprises", etc.

"Ces formations, qui dépassent le seul aspect technique, s'adressent à l'expert-comptable en tant qu'il est lui-même un chef d'entreprise, mais aussi pour l'aider à conseiller son client", souligne Pierre Beluze.

Cette offre est complétée par des formations de spécialisation sectorielle (secteur associatif, médico-social, marché de biens, hôtellerie...) "afin de mieux comprendre le métier du client".

Coaching et "full service"

C'est une vraie tendance : l'expert-comptable ne se limite plus désormais à la manipulation de chiffres. De plus en plus, il propose un accompagnement global du chef d'entreprise. Il devient une sorte de coach pour tous les aspects de la vie de l'entrepreneur.

"Aujourd'hui, l'expert-comptable dispose d'une palette de compétences (comptabilité analytique, gestion des hommes, trésorerie, RSE, etc.) qui lui permettent de composer un tableau complet, estime Jean-Marc Morel, associé du cabinet RSM-CCI Conseils (Lyon) et vice-président du conseil régional de l'ʼOrdre des experts-comptables Rhône-Alpes. Personnellement, je vais souvent au-delà de ma mission de conseil. J'ai par exemple un client que je rencontre tous les trimestres pour aborder tous les points de sa gestion (stratégie commerciale, développement du chiffre d'affaires, problématiques RH...). Cela lui permet de prendre du recul sur son activité. C'est ce qui l'a poussé notamment à mettre en place une charte qualité au sein de son entreprise. Autre cas, j'étais récemment chez un client pour travailler sur son organigramme. Là encore, on est loin de la comptabilité traditionnelle. On rentre plus avant dans l'entreprise."

Suivant cette tendance, un nombre croissant de cabinets d'expertise-comptable, qui gèrent depuis longtemps les paies des entreprises, proposent désormais un accompagnement global en matière de ressources humaines. Certains développent même des prestations "full service" qui transforment le cabinet comptable en service administratif délocalisé pour les petites entreprises (gestion du secrétariat, de la facturation, relance client, domiciliation, gestion du courrier, etc.).

"Des décrets doivent sortir pour préciser ce que nous avons le droit de faire ou pas", tempère Jean-Marc Morel.

Avocat conseil ou avocat plaidant

Du côté des avocats, la réalité est un peu plus complexe.

"On a deux types d'avocats : l'avocat conseil et l'avocat traditionnel, plutôt plaidant", résume Jean-Christophe Beckensteiner, président de la commission formation du Barreau de Lyon.

D'un côté, on trouve essentiellement des professionnels passés par des masters spécialisés en droit des affaires, comptabilité, droit du travail, fiscalité, droit des sociétés, droit de la concurrence et de la consommation, etc., la voie royale étant le très sélectif DJCE (diplôme de juriste conseil d'entreprise), délivré par une dizaine d'universités en France. Bref, des cursus techniques solides, très orientés vers l'entreprise.Côté plaidants, on fera face parfois "à des avocats qui peinent à lire un bilan dans le cadre d'un licenciement économique", note Jean-Christophe Beckensteiner.

Mais cela ne représente pas une majorité. "Environ 60 % des étudiants qui arrivent chez nous ont décroché un master qui a trait au droit des affaires", constate de son côté Geneviève Biot-Crozet, avocat honoraire et directrice de l'École des avocats Rhône-Alpes (Edara) qui forme chaque année 250 avocats. Logique :

"80 % du chiffre d'affaires de la profession est réalisé par des gros cabinets tournés vers l'entreprise. Les jeunes avocats vont là où il y a du travail."

Un cursus qui manque de pratique

Dans le cadre de leur cursus de deux ans à lʼEdara, les étudiants ont pour obligation d'effectuer un stage de six mois en entreprise et un autre de même durée au sein d'un cabinet.

"Ils arrivent généralement très formatés par la fac, note Geneviève Biot-Crozet. L'université est un vieux 'truc' où ils ne font pas suffisamment de stages. Il faudrait commencer plus tôt. Nous tentons de pallier ce manque autant que possible."

"La formation continue des avocats reste très axée sur le métier. Il y a encore du chemin à parcourir", juge pour sa part Michel Masoëro, président du cabinet d'avocats Lamy Lexel (Lyon).

Ce spécialiste des fusions-acquisitions porte un regard volontiers critique sur les relations qu'entretient la profession avec le monde de l'entreprise.

"Hormis pour les avocats d'affaires, qui ont étudié la comptabilité et la fiscalité, on n'apprend jamais, dans la profession, à entreprendre, déplore-t-il. On n'apprend pas à faire un business plan, à manager une équipe ou à faire une étude de marché."

Lamy Lexcel : fournisseur de prestations intellectuelles

Avec sa petite centaine de collaborateurs, le cabinet Lamy Lexel se positionne, à contre-courant, comme une entreprise de services commercialisant une prestation intellectuelle.

"Nous sommes un créateur de solutions, insiste Michel Masoëro. Ce que veut le chef d'entreprise aujourd'hui, ce n'est pas du droit, c'est une solution à son problème. Pour cela, nous devons être en empathie complète avec le client, parler le même langage que lui. Or, avoir la notion du client et être au service du client, cela ne s'apprend pas."

L'homme reproche aux cabinets d'avocats de ne pas se comporter eux-mêmes comme des entreprises.

"Une entreprise connaît son marché et ses clients. Si l'on ne se pose pas ces questions-là, on n'est pas un entrepreneur. Or, je ne comprends pas que l'on puisse conseiller une entreprise sans être soi-même une entreprise. Par ailleurs, une entreprise est organisée et met en œuvre une démarche commerciale, ce qui est encore tabou dans la profession."

Pour compléter les formations initiales techniques de ses collaborateurs, Lamy Lexel organise des modules en interne. Objectif : apporter une expertise en matière de management, de stratégie commerciale, de communication ou encore de relation client. Le cabinet ne recrute que des collaborateurs bilingues, "car certains de nos clients sont des entreprises exportatrices", précise Michel Masoëro. Celui-ci estime que la profession a beaucoup à apprendre des experts-comptables et des commissaires aux comptes, selon lui mieux organisés et toujours plus au sein de grosses structures.

"Pour moi, ces grands cabinets sont des modèles, car celui qui exerce tout seul ne peut pas avoir une expérience de chef d'entreprise. Or, dans la région, le nombre de cabinets d'avocats de plus de 100 collaborateurs se comptent sur les doigts d'une main."

L'étude notariale fonctionne comme une PME

Du côté des notaires, dont le rôle est d'accompagner le chef d'entreprise aussi bien dans le cadre de son activité (bail commercial, urbanisme, propriété intellectuelle...) qu'à titre personnel (optimisation et transmission du patrimoine, succession...), la situation est encore différente. "Les notaires sont avant tout des gens de droit. Le management n'est pas directement de leur ressort", observe Michel Manent, avocat de formation et directeur général du Cridon, un groupement d'intérêt économique basé à Lyon dont le rôle est d'apporter une expertise aux notaires (documentation, formation, consultation).

"L'essentiel des formations que nous proposons a trait au droit. La plupart sont des formations techniques même si deux modules sur le management sont actuellement en cours de préparation. C'est un aspect sur lequel la profession doit évoluer."

Homme de droit, le notaire n'en est pas moins lui-même un chef d'entreprise.

"Un notaire ne peut pas travailler seul, car il y a beaucoup de recherches juridiques, de vérifications de pièces à faire, explique Caroline Courtiade, présidente de la chambre des notaires du Rhône. En général, un notaire aura avec lui un minimum de trois à cinq collaborateurs pour l'accueil, la rédaction d'acte, la comptabilité, les formalités et la conservation des actes."

Chaque étude fonctionne donc comme une PME, certaines comptant jusqu'à une dizaine de notaires. Dans ce contexte, l'appétence des notaires pour les formations à la gestion d'équipe, la conduite du changement ou encore la relation client est grandissante. Naturellement, l'offre de formation proposée par le conseil régional des notaires et les chambres départementales évolue.

"Le notariat a toujours été très en pointe en la matière", assure Caroline Courtiade.

Apprentissage "sur le tas"

Ce n'est, en revanche, pas le cas de la profession d'architecte. Ces professionnels à mi-chemin entre l'artiste et l'ingénieur sont souvent peu au fait des problématiques entrepreneuriales.

"À l'école, on n'apprend pas à travailler en agence, note Linda Aydostian, vice-présidente du conseil régional de l'Ordre des architectes Rhône-Alpes. Tout le pratico-pratique s'apprend sur le tas."

L'Ordre et le syndicat des architectes militent pour que l'expérience en agence soit portée de six mois à deux ans dans le cadre de l'obtention d'habilitation à la maîtrise d'œuvre en nom propre (HMONP). La profession souhaite également mettre en place un système de contrôle en matière de formation continue des architectes.

"Il existe une obligation de 60 heures de formation sur trois ans, mais il n'y a pas de vérification ni de sanction", précise Linda Aydostian.

Des lacunes dans la formation

À ce titre, le ministère de la Culture a été sollicité en juillet 2013. En vain, pour le moment.

"C'est une profession qui ne prend pas le temps de se former aux questions de management, confirme Marie Cartillier, directrice de l'Ordre des architectes Rhône-Alpes. C'est avant tout un métier créatif, la gestion n'est pas innée chez nous. Le problème, c'ʼest que les architectes ont constamment la tête dans le guidon, ils travaillent de 6 h à 22 h, parfois pour ne gagner que le Smic. Ce temps passé à répondre aux exigences des maîtres d'ʼouvrage n'ʼest pas consacré à la formation."

Mirabelle Croizier-Minaire est architecte du patrimoine. Elle s'est associée au mois de septembre et prendra, d'ici à un an ou deux, la gérance d'un cabinet. "Je nʼai jamais été formée à cela et cela me manque énormément", déplore-t-elle. Pas le temps pour la formation continue, elle doit apprendre par elle-même, sur le terrain.

"Jʼaimerais juste avoir des rudiments en comptabilité ou en gestion des ressources humaines, ne serait-ce que pour comprendre ce que font les experts autour de nous, déléguer et comprendre ce que lʼon délègue. Que l'on ne nous parle pas chinois quand on nous présente un compte de résultat."

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