Les hyper-lieux : là où le monde est toujours pareil et chaque fois différent

La mondialisation ne produit pas que l’uniformisation des villes. Quand on y regarde de plus près elle engendre aussi une différenciation à travers un retour au "local". Cette dynamique a vu l’apparition d’"Hyper-Lieux", à la fois locaux et connectés au monde. C’est la théorie que développe Michel Lussault, géographe, dans le livre "Hyper-Lieux. Les nouvelles géographies de la mondialisation", paru aux Editions du Seuil.

On a trop souvent réduit la mondialisation à un processus de globalisation économique et à ses fonctions dérivées — comme la généralisation du tourisme, ou de l'information en continu. Or, la globalisation n'est qu'un adjuvant d'évolutions plus puissantes. Même si l'économie que nous connaissons actuellement se voyait amoindrie et/ou modifiée, la mondialisation se poursuivrait.

Cette affirmation se comprend si l'on aborde le Monde contemporain pour ce qu'il est : un nouveau mode de spatialisation des sociétés humaines, une mutation dans l'ordre de l'habitation humaine de la planète — c'est pourquoi il est judicieux de l'écrire avec une majuscule. Une révolution, d'ampleur comparable en un sens à celle du néolithique, ou à la révolution industrielle — deux grandes périodes lors desquelles les humains ont installé des cadres d'existence radicalement neufs. Et cette fois-ci, il s'agit d'une révolution urbaine.

L'urbanisation est la principale "force instituante et imaginante" du Monde, elle est tout à la fois mondialisée et mondialisante. Instituante parce qu'elle arrange de nouvelle façon les réalités matérielles, humaines et non humaines, construit les environnements spatiaux des sociétés. Imaginante, parce qu'elle installe les idéologies, les savoirs, les imaginaires et les images constitutifs de la mondialité.

Standardisation et différenciation

Aux yeux de beaucoup d'analystes, cette urbanisation rime avec l'uniformisation au sens où elle promeut des genres de vie et des formes urbaines semblables. Certes, mais il importe de ne pas s'arrêter à cette première approche ; si l'on pousse l'observation plus avant, on constate que cette homogénéisation s'accompagne d'un regain d'importance des processus de localisation. Des anthropologues culturels comme Arjun Appadurai, Homi K. Bhabha ou Kwame Anthony Appiah on montré que l'émergence de la « world culture » avait été accompagnée de celle de nouvelles cultures « locales » très dynamiques.

Comme l'écrit Kwame Anthony Appiah : « Oui la mondialisation peut produire de l'homogénéité, mais elle menace aussi cette homogénéité », c'est-à-dire que ses acteurs instaurent en permanence de nouvelles différences qui font plus que compenser les pertes des anciennes. On peut faire le même constat si on analyse les espaces de vie : bien sûr la standardisation des architectures et des paysages progresse, mais en même temps l'espace est de plus en plus différencié en lieux qui font sens, intensément investis par les individus et les groupes.

Pas une contradiction, mais une dynamique

La caractéristique majeure de la mondialisation est ainsi de mettre en tension des logiques de standardisation des espaces d'existence et des logiques de différentiation permanente. En effet, synchroniquement à leur homogénéisation relative à l'échelle mondiale, on constate un regain de l'importance de la problématique de la localité. Le local fait retour — mais, pas un local à l'ancienne, un de type très différent.

Le monde n'est absolument pas « lisse » mais de plus en plus ponctué et scandé, de plus en plus différencié par ces ponctuations et ces scansions. Bref, dans une certaine mesure, tout devient semblable et tout se distingue de plus en plus ; il ne faut pas vouloir trouver là une contradiction mais plutôt une dynamique qui se cristallise dans la nouvelle importance et puissance de la localisation.

L'apparition des "hyper-lieux"

Un des aspects les plus fascinants en est l'apparition de ce je nomme les "hyper-lieux" ("hyper" car ce sont des points de connexion majeurs aux réseaux mobilitaires et télécommunicationnels, ce qui les fait être toujours à la fois parfaitement locaux et totalement connectés aux autres échelles). Je les classe en plusieurs "genres". D'abord des espaces comme les aéroports, les "Shopping Malls", les gares, les grandes places urbaines, ubiquitaires au sens où on les rencontre partout.

Pourtant, ce ne sont pas les non-lieux que certains voudraient y voir. Outre qu'on y retrouve une variété sociale et que s'y manifestent les tensions qui travaillent la société tout entière, ce sont surtout de véritables endroits où les individus sont à l'épreuve de l'insociable sociabilité qu'évoquait déjà Kant et vivent des expériences qui, pour être souvent banales, n'en constituent pas moins la trame de leur existence. Bref ce sont d'authentiques lieux de vie.

Des hyper-lieux médiatiques et culturels

Mais j'étudie aussi des espaces non-fonctionnels (qui n'ont pas été conçus intentionnellement pour assurer une fonction précise) transformés en hyper-lieux d'attention mondiale en raison d'un événement spectaculaire qui s'impose dans la sphère médiatique. Cet événement peut être dramatique, comme un attentat  (l'assassinat des journalistes de Charlie a dressé la place de la République en centre d'un chagrin planétaire) ou une catastrophe (celle de Fukushima par exemple qui a fait battre le pouls du Monde autour de la centrale quelques jours durant). Il peut être heureux et/ou festif comme lorsqu'un grand festival fabrique un espace ad hoc qui devient « culte » (songeons à Woodstock ou à ce point dans le désert du Nevada chaque année transfiguré par le « Burning man » qui installe pendant quelques jours « Black Rock City ») ou une compétition sportive de grand rayonnement qui transforme un stade en hyper-lieu vers où convergent les regards.

Autour des hyper-lieux et avec eux, bien des processus sociaux et des activités individuelles instaurés et autorisés par la mondialisation sont agencés, voire structurés. Ils constituent donc à la fois des motifs géographiques du Monde contemporain et de nouveaux attracteurs de la vie mondialisée, qui arriment et animent la co-habitation des humains.

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