Gouverner c'est choisir un modèle de société

Virginie Martin, politologue et professeure à la Kedge Business School, s'interroge sur cette idée très entrepreneuriale, pour ne pas dire managériale du politique qui pourrait conduire à dire que l'État peut se gérer comme une ville, un village dans ce qu'il est convenu de nommer la "bonne gestion". Pour elle, cette notion n'est qu'une illusion.

Il est de bon ton aujourd'hui de parler de gouvernance quand il s'agit de politique plutôt que de gouvernement ou d'affaires de la cité. Il est aussi de bon ton de se déclarer pragmatique, rationnel, cohérent, quand il s'agit de présenter un programme, un programme pourtant éminemment politique au niveau national, mais pas que.

Le New public management est passé par là nous expliquant combien il n'y aurait pas d'idéologie en matière d'économie (ce qu'affirmait l'ancien Premier ministre Manuel Valls lors du débat des primaires). Il s'agit de cette veine-là, cette idée très entrepreneuriale, pour ne pas dire managériale du politique qui pourrait conduire à dire que l'État peut se gérer comme une ville, un village dans ce qu'il est convenu de nommer la "bonne gestion". Deux bémols à ce paradis de la bonne gestion : d'une part la politique est faite de choix, au niveau national, par exemple, la chose régalienne ne peut faire abstraction de vision politique ; d'autre part, au niveau local, est-on si sûr que la gestion d'une ville soit si exempte de choix politique ? Rien n'est moins sûr !

Sur le plan national, il est inévitable de faire des choix notamment pour les questions régaliennes. Il s'agit d'interventions militaires, d'inflexion ou non de l'Europe, d'alliances, d'Otan, de rapprochement avec Poutine ou avec Trump... On le voit sur cette seule question des affaires internationales, le politique est crucial et il est impossible de ne faire que de la "bonne gestion", impossible de faire l'économie de choix politiques et stratégiques. Sur d'autres types de questions régaliennes, telles que la sécurité ou la justice, les philosophies sont différentes : quand d'aucuns privilégient la prévention-proximité d'autres préfèrent une politique dite sécuritaire. Bien sûr, les deux points de vue ne sont jamais exclusifs l'un de l'autre, mais, il reste que des visions différentes de société sont en jeu, et c'est bien normal.

Bonne gestion VS gestion bonne

Qu'est-ce que la "bonne gestion" ? Une position médiane ? Un mix approximatif ? Est-ce toujours possible de faire ce mélange ? N'y a-t-il pas derrière chaque "bonne" gestion une vision de la société qui n'est pas commune à tout le monde ? Et qu'est-ce qu'une "gestion bonne" ? Préférer afficher, à la manière de l'Allemagne, un faible taux de chômage, mais avec presque 20 % de travailleurs pauvres ? Ou le contraire ? L'objectivité est illusoire. Gouverner c'est donc choisir un modèle de société et ce jusque dans les interstices de la ville, du village ou de la métropole.

Car, malgré la dérive économiste de nos sociétés, influencées en cela par le monde anglo-saxon des années 1980-1990 - qui a tout de même fini par choisir l'utra-politique en la personne de Donald Trump - nous ne pouvons nier que les choix des Alain Juppé ou autre Jean-Claude Gaudin en passant par Anne Hidalgo, contiennent du politique, inexorablement. Le premier a fait beaucoup pour la diversité des origines, des cultures et des religions ; le second joue avec les grands travaux et la communication, et la troisième développe un projet très écologiste pour Paris. La politique est consubstantielle de leur action. Au final, posons une question cruciale : quelle est la différence entre une "bonne gestion" et une "gestion bonne" ? L'une équilibrerait des tableaux de chiffres, quand l'autre tenterait d'être bienveillante et humaniste. Nous le voyons, ici encore une simple inversion de l'épithète et nous basculons politiquement.

Alors, oui, la bonne gestion est une illusion ; elle est juste le manteau pudique et rationalisé d'une politique qui ne veut pas dire son nom. Plus grave, son corollaire, la gestion "a-politique" des cités nous amènerait directement à nier la démocratie voire la citoyenneté pour privilégier une technocratisation bien loin des agoras populaires. Le "a-politique" est une forme de bonne gestion qui ferait de nous des individus muets.

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Commentaire 1
à écrit le 16/05/2017 à 15:44
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Bonjour Madame Je tiens a vous feliciter pour cette Pertinente reflexion en prenant un peu de recul. Le Maroc ,a mon sens et sans aucune pretention ,est un model d archirecture économique,social et societal recommandé a maintes reprises par les ...

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