Ah, le bon air suisse...

En proposant un système décentralisé et collaboratif, permettant à la confiance de s'installer entre les acteurs - la Suisse est devenue une terre d'entrepreneuriat, favorisée par un système fiscal vertueux. Une philosophie qui pourrait se définir par trois items, ciment du pays : Travail, dialogue social et démocratie. De quoi donner quelques éléments d'inspiration à la France. Éditorial de Denis Lafay, directeur de la publication d'Acteurs de l'économie - La Tribune, publié dans magazine n°131, en kiosques depuis samedi 25 juin.
(Crédits : Laurent Cerino/Acteurs de l'Economie)

8 millions d'habitants : ça, la Suisse et Auvergne Rhône-Alpes l'ont bel et bien en commun. En revanche, si l'on s'en tient aux réalités entrepreneuriales des deux côtés d'une frontière traversée chaque jour par 115 000 "pendulaires", la similitude cesse aussitôt, et le modèle helvète fait bien davantage rêver (Cf Supplément p.40). En effet, de Genève à Zürich, des profondes racines culturelles, financières et politiques ont prospéré des dispositifs qui libèrent, responsabilisent, donc donnent envie d'oser et de bâtir.

"Mariage des talents et de l'argent"

L'interventionnisme est faible, le rôle de l'État est polarisé sur la création de conditions clémentes, le système fiscal est vertueux, l'allègement des démarches administratives se poursuit. La souplesse des lois et l'exiguïté des réglementations dominent, le montant des cotisations sur les salaires est largement contenu - et intelligemment indexé sur la variation du taux de chômage -, les dispositifs de licenciement favorisent une flexibilité élevée et donc exhortent les entrepreneurs à une audace et à une innovation protéiformes."C'est le mariage des talents et de l'argent", résume un professeur de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne - dont les startups associées ont levé, depuis le début de l'année, 180 millions d'euros...

Bien sûr, d'autres réalités - en premier lieu la solitude des entrepreneurs en faillite - ombrent le tableau, et ce dernier ne peut être réduit à quelques composantes aussi flatteuses que réductrices et nécessairement caricaturales. Mais, ausculté à l'aune des spécificités françaises, ce contexte entrepreneurial demeure particulièrement séduisant.

Et il n'est bien sûr pas étranger à la performance des critères quantitatifs qui, pour la septième année consécutive, propulsent la Suisse en tête du classement des pays les plus compétitifs (selon le Forum économique mondial) avec notamment un PIB de 81 000 dollars par tête et un taux de chômage de 5,1 % au premier trimestre 2016. La France, elle, figure au 22e rang.

Travail, dialogue social, démocratie

Voilà pour la partie visible de l'iceberg. Nettement plus riche d'enseignements est de plonger sous la ligne de flottaison et d'y distinguer trois des principaux piliers de l'architecture culturelle et sociale du pays : le soin et la valeur conférés au travail, au dialogue social, et à la démocratie - y compris d'entreprise.

Trois items dont l'imbrication a permis de déployer un ensemble de raisonnements et d'actes qui agglomèrent de manière plutôt harmonieuse responsabilité individuelle et responsabilité collective, c'est-à-dire qui circonscrivent les importantes aspirations individuelles, par essence affranchies du carcan étatique, à l'exigence supérieure de l'intérêt collectif - une règle antithétique de celle qui a paralysé la France en mai et juin. Imagine-t-on dans l'Hexagone 67 % de la population refuser de nouvelles semaines de congés comme ce fut le cas chez sa voisine en 2012 ?

Politique fédéraliste

Cette charpente sociale, que caractérise la décentralisation des débats et des décisions illustrée par les fameuses votations ou référendums d'initiative populaire proposés dans les 26 cantons composant la Confédération - et qui, même lorsqu'ils n'aboutissent pas comme ce fut le cas le 5 juin (lire également p.15) pour l'instauration d'un revenu de base universel, ont l'immense mérite d'éveiller le débat, de bousculer les consciences et d'irriguer la veine citoyenne -, a bien sûr été inspirée et est nourrie par l'organisation politique fédéraliste.

A certains égards comparable à son alter ego allemand, le modèle helvète une fois appliqué à l'économie fait donc la part belle au dialogue social, matérialisé dans la rédaction des Conventions collectives du travail aux niveaux des branches ou des entreprises. Réformistes, progressistes, plutôt compétents car responsabilisés, les syndicats font, c'est-à-dire travaillent à négocier l'intérêt des salariés mais sans le désincarner de celui de l'entreprise ou de la société.

 Les vertus d'un système décentralisé et collaboratif

Ultra-libérale, asociale la Suisse ? Que nenni, comme le démontre l'Assurance-chômage, financièrement excédentaire - en France le déficit s'élève à 4,4 milliards d'euros en 2015. Parce qu'il peut faire fructifier cet équilibre des responsabilités individuelle et collective, le dispositif domestique n'est pas vulnérabilisé par les dérives de l'assistanat et la défaillance des devoirs, et ainsi assure même des allocations plus élevées sur une durée culminant à deux ans.

L'éducation profite pleinement, elle aussi, de ce schéma décentralisateur et collaboratif. Le système inédit de formation professionnelle, dit "dual" (alternance entreprise et école), convainc... les deux tiers des jeunes Suisses, conquis par un modèle d'apprentissage tourné vers l'employabilité et là encore fruit d'un singulier consensus. Imagine-t-on une telle dynamique de coopération entre établissements d'enseignement et entreprises dans la France de l'Éducation nationale gangrénée par le corporatisme et l'égalitarisme, le malthusianisme et l'idéologie anti-libérale, le dogme étatique et la doctrine anti-entreprise ?

La confiance, un trésor

Pourquoi, finalement, un tel écart culturel et entrepreneurial de part et d'autre de la frontière ? Deux raisons émergent particulièrement. La première est un trésor : elle a pour nom confiance, celle que se destinent des partenaires sociaux et plus largement une population qui l'ont ensemencée dans le processus de responsabilisation innervé par les systèmes politique et démocratique.

La seconde est un cadeau, mais qui peut être empoisonné : l'intérêt supérieur de la nation, qui s'est imposé à une mosaïque d'identités, de cultures, de langues a priori hétérogènes et, vues de France, miraculeusement agrégées. Un cadeau car il consolide, fédère, cimente, mais aussi un poison lorsque la ligne de démarcation entre patrie et nationalisme devient poreuse et synonyme de rejet et de repli.

Équation à plusieurs inconnues

En votant à 50,3 % en février 2014 pour "la fin de l'immigration de masse et l'instauration de quotas", les autochtones ont ainsi pris le risque d'affaiblir substantiellement voire d'hypothéquer le Plan de collaboration européenne, assujetti au respect de la libre circulation. Au nom des répercussions en termes tant économiques que d'image et de réputation, les milieux décisionnels s'inquiètent.

D'aucuns, même, tremblent.

Comment conjurer le spectre de la disqualification économique et entrepreneuriale sans discréditer le scrutin électoral ? Voilà l'équation à plusieurs inconnues à laquelle les autorités du Conseil fédéral s'affairent jusqu'en février 2017, date fixée pour trouver avec l'Union européenne une issue - figée depuis plusieurs mois par le scrutin britannique du 23 juin. Le modèle même de la démocratie helvète est en jeu.

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