Evasion fiscale : l'Occident garde la main au détriment des pays du Sud

La troisième conférence internationale sur le financement du développement, organisée par l'ONU à Addis-Abeba du 13 au 16 juillet, a mis en lumière les divergences entre les pays du Nord et du Sud concernant la lutte contre l'évasion fiscale. Les premiers considérant que la définition des normes fiscales ne devait en aucun cas être confiée à une autre structure que l'OCDE, les seconds revendiquant le droit de participer à la prise de décision. Par Lucie Watrinet, chargée de plaidoyer financement du développement à CCFD-Terre Solidaire.

L'espoir s'est envolé : la création d'un organisme permettant enfin à l'ensemble des pays du monde d'établir des règles fiscales internationales (ou « Tax body ») a été rejetée le 16 juillet dernier, à l'issue de la conférence onusienne sur le financement du développement d'Addis-Abeba.

L'idée n'était pas nouvelle. Soutenue depuis toujours par les ONG, elle avait déjà été discutée au cours des deux conférences qui ont précédé celle d'Addis-Abeba, à Monterrey en 2002 et à Doha en 2008.

L'évasion fiscale coûte 100 milliards de $ aux pays en développement

Et le contexte était favorable : plus personne ne conteste en effet aujourd'hui le fait que les pays en développement souffrent proportionnellement beaucoup plus que les autres des pratiques d'évasion et de fraude fiscales, notamment de la part des multinationales, basées le plus souvent dans des pays riches. Selon un rapport récent de la CNUCED, les pays en développement perdent chaque année 100 milliards de dollars à cause des pratiques d'évasion fiscale des entreprises, soit plus qu'ils ne reçoivent au nom de l'aide publique au développement. S'attaquer à ces flux non taxés et inclure les premières victimes de ce fléau dans la redéfinition des règles fiscales internationales semblait donc relever de l'évidence.

Or, au cours de la conférence d'Addis-Abeba, le « Tax body » s'est retrouvé au coeur des tensions entre pays développés et pays en développement. Les premiers considérant que la définition des normes fiscales ne devait en aucun cas être confiée à une autre structure que l'OCDE (dont ils sont tous membres), les seconds revendiquant le droit de participer à la prise de décision.

 L'OCDE, un modèle dépassé pour lutter contre ce fléau

L'OCDE a pourtant montré ses limites quand il s'est agi de prendre en compte les demandes des pays les plus pauvres ou de promouvoir des solutions qui leur correspondent. Les problèmes spécifiques liés à la taxation des industries extractives ou aux exemptions fiscales dont jouissent les multinationales ne font, par exemple, pas partie de son plan d'action.

Plus grave, les conventions fiscales passées sous le modèle OCDE accordent plus de droits à taxer aux pays d'où proviennent les capitaux (les pays développés) qu'aux pays où l'activité a réellement lieu (les pays en développement). Enfin, rien ne garantit que les pays en développement bénéficieront des avancées en cours : la Suisse a ainsi indiqué qu'elle n'échangerait des informations qu'avec l'Europe et les Etats-Unis.

Plus pragmatiquement, le risque que des pays refusent d'appliquer des normes qui ont été établies sans eux et que se multiplient des systèmes parallèles, sources potentielles de confusion juridique (même pour les entreprises), ne peut  être négligé.

 Les pays du Nord conservent leurs prérogatives

Il y avait donc de multiples bonnes raisons pour entériner la création d'un « Tax Body » où chaque pays prendrait part aux décisions en matière de fiscalité internationale. Mais c'était sans compter sur la volonté farouche des pays développés - au premier rang desquels le Royaume Uni, les États-Unis, mais aussi la France, de conserver leurs prérogatives en la matière. L'idée de partager leur pouvoir décisionnel en matière fiscale était si inenvisageable qu'ils ont multiplié les pressions sur les pays en développement, finissant par les faire plier.

Cet épilogue semble traduire une défiance surprenante, voire dangereuse, de certains pays vis-à-vis du multilatéralisme. Notamment de la part de la France qui accueillera en décembre prochain la COP 21 à Paris. Après s'être vus refuser avec autant d'intransigeance une place à la table des décisions fiscales, certains pays en développement pourraient s'en souvenir. Et ne pas forcément se trouver dans les meilleures dispositions pour faire des concessions en vue d'un accord multilatéral sur le climat à la fin de l'année...

Lucie Watrinet, chargée de plaidoyer financement du développement au CCFD-Terre Solidaire et coordinatrice de la Plateforme paradis fiscaux et judiciaires.

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