Bakou : Sport et répression. Où est l'esprit olympique ?

En organisant les premiers Jeux européens, l'Azerbaïdjan utilise le sport pour rayonner à l'international. Ce régime autoritaire y met le prix financier, mais aussi humain. La société civile connait actuellement le pire mouvement répressif depuis l'indépendance du pays. Les responsables politiques européens, pourtant présents à l'inauguration, ne font pas preuve d'un grand courage politique face à la violation des droits de l'Homme. Par Jean-Marie Fardeau, directeur France de Human Rights Watch avec Mélissa Cornet (HRW).
Jean-Marie Fardeau, directeur France de Human Rights Watch

Le 12 juin 2015 se sont ouverts les premiers Jeux européens à Bakou, capitale de l'Azerbaïdjan, dans un climat de répression sans précédent depuis la chute du bloc soviétique. L'Azerbaïdjan, motivé par l'idée de gagner en réputation sur la scène internationale, a proposé et s'est vu attribuer cette première édition des Jeux européens, sur le modèle des Jeux asiatiques ou panaméricains, pour lesquels il était donc le seul pays candidat. Comme d'autres pays avant lui, l'Azerbaïdjan a compris que le sport était un levier efficace de rayonnement international, et y a donc mis le prix : un milliard d'euros officiellement, mais huit fois plus selon des opposants cités dans les média.

Le pire mouvement répressif depuis l'indépendance

En conséquence, la pression et le harcèlement continus que connaissait la société civile s'est nettement aggravée ces derniers mois : plus de trente-cinq activistes ont été emprisonnées, dans le pire mouvement répressif depuis l'indépendance de ce pays. Parmi eux, les défenseurs des droits humains Leyla Yunus, directrice de l'Institut pour la Paix et la Démocratie, décorée en 2013 de la Légion d'honneur, Intigam Aliyev, avocat réputé, Rasul Jafarov, qui a lancé la campagne « Sports for Rights » dans la perspective des Jeux de Bakou, Khadija Ismayilova, journaliste d'investigation.

La liste est malheureusement bien plus longue. De la même manière, des activistes ou chercheurs d'ONG telles qu'Amnesty International ou Human Rights Watch ont récemment été interdits d'accès dans le pays, de même que plusieurs journalistes venus couvrir les Jeux, dont ceux du Guardian et de RFI.

En mettant derrière les barreaux les principales voix d'opposition, le Président Ilham Aliyev, qui dirige le pays d'une main de fer depuis qu'il a succédé à son père en 2003, espérait faire taire toute critique à l'égard de son régime et de l'organisation des Jeux. C'est le contraire qui s'est produit, puisque de nombreux médias ont choisi l'angle de la situation des droits humains pour parler de l'Azerbaïdjan à l'occasion des Jeux. Le coup de projecteur tant recherché par le pouvoir azerbaidjanais se retourne contre lui et son image s'en trouve singulièrement écornée.

Peu de courage politique des pays européens

Malgré cela, les autorités des pays européens n'ont pas fait preuve d'un grand courage politique. Si l'Allemagne a décidé de ne pas envoyer de ministre à la cérémonie d'ouverture, la France, elle, a envoyé son secrétaire d'état aux Sports, M. Thierry Braillard, sans qu'il ne mentionne à quelque moment que ce soit le sort des prisonniers politiques qui se trouvent derrière les barreaux, alors que les Jeux se déroulent comme si de rien n'était.

Rien ne justifie cette politique au rabais qui consiste à ne pas faire payer à ce régime autoritaire un prix politique en échange d'une présence ministérielle lors d'un événement aussi important pour le pouvoir local. La Suisse - représentée par Didier Burkhalter, chef de la diplomatie suisse - a par exemple réussi à faire sortir du pays Emin Huseynov, un journaliste réfugié à l'ambassade suisse depuis plusieurs mois, prouvant ainsi qu'au moins de petites victoires étaient possibles.

Un opportunité manquée

Ces Jeux représentaient pour la France, et pour les autres pays européens, une formidable opportunité d'obtenir des avancées concrètes de la part du régime. Mis à part pour Emin Huseynov, ces Jeux auront été une opportunité manquée. Ces premiers Jeux européens seront donc « historiques », mais pour de mauvaises raisons : on se souviendra comme de l'échec des pays européens à prendre position de manière courageuse pour dénoncer le non-respect flagrant des droits humains fondamentaux ainsi que des principes pourtant énoncés dans la Charte olympique : le respect de la dignité humaine et la liberté d'expression.

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