Enfin, une vraie protection du secret des affaires pour les entreprises

Un projet de Directive de l'Union Européenne sur la protection des secrets d'affaires est actuellement en cours de discussion devant le Parlement Européen. La Commission s'est saisie du sujet à la suite de plusieurs consultations qui ont relevé que les secrets d'affaires ne bénéficient pas d'une protection juridique satisfaisante pour les entreprises et que l'éventuelle protection est très disparate et hétérogène dans les pays de l'Union, constituant un frein au développement du marché unique. Par Yves Bizollon et Jean-Baptiste Thiénot, avocats associés du cabinet Bird & Bird

Le premier apport du projet de Directive UE est de définir le secret d'affaires susceptible d'être protégé : il s'agit d'informations secrètes, ayant une valeur commerciale et qui font l'objet de mesures de protection destinées à les garder secrètes. Cette définition est a priori suffisamment large pour embrasser les différents secrets de la vie des affaires. À ce titre, relevons que la protection ne se limite pas à la seule protection des savoir-faire techniques (know how) et a vocation à s'appliquer plus largement à toute information technique, commerciale ou stratégique qui répond à la définition. Par exemple, dans le domaine automobile, un plan de lancement d'un nouveau modèle (le nom, le plan de communication, les caractéristiques du modèle) pourrait prétendre à la protection.

Les contours de la protection

La protection consiste en la possibilité d'interdire l'obtention, l'utilisation ou la divulgation d'un secret et d'obtenir réparation en cas de telles atteintes. De prime abord, cela ne semble pas d'une grande nouveauté. En effet, bien que la France ne dispose pas de dispositions légales spécifiques, la plupart de ces atteintes peuvent déjà être sanctionnées : la personne responsable au premier chef de l'appropriation illicite d'un secret pourra généralement être poursuivie soit sur le fondement d'une violation contractuelle, soit d'une faute délictuelle constitutive de concurrence déloyale, voire dans certains cas sur un fondement pénal.

Cependant, la protection est sensiblement renforcée par le projet de directive. En effet, le texte ouvre la possibilité de poursuivre la personne qui n'est qu'un simple utilisateur (et non pas celle qui a obtenu de façon illicite l'information secrète) sous réserver de démontrer qu'elle savait, ou aurait dû savoir, que le secret a été obtenu de façon illicite. Ainsi, par exemple, le simple importateur de produits fabriqués à l'étranger grâce à un savoir-faire technique illégalement appréhendé par le fabricant local pourra être poursuivi, sous réserve qu'il ait préalablement été mis en connaissance de l'atteinte. Sur ce point, le projet de directive renforce considérablement la protection de l'entreprise dont le savoir-faire ou les informations secrètes ont été illicitement captés.

Les sanctions et leurs limites

Les sanctions seront sévères et efficaces : le texte prévoit que la juridiction qui constate une atteinte illicite peut ordonner des mesures d'interdictions, des dommages et intérêts et/ou des rappels de produits. Ces mesures peuvent être obtenues dans la cadre d'une procédure au fond, mais aussi en référé ou même sur requête. À ce titre, le régime est très proche de celui des droits de propriété intellectuelle.

La protection du secret n'en est pas pour autant absolue et le texte prévoit plusieurs limites. En particulier, l'obtention d'un secret est licite s'il a été découvert de façon indépendante ou par reverse engineering. De même, si l'atteinte intervient dans le cadre de l' "usage légitime du droit à la liberté d'expression et d'information"  ou "de la révélation d'une faute, d'une malversation ou d'une activité illégale", elle ne sera pas sanctionnée. Enfin, le texte prévoit expressément que l'obtention d'un secret qui résulte de "l'exercice du droit des représentants du personnel" est licite.

Quels droits et pour qui ?

L'étendue de la protection est une chose, mais encore faut-il pouvoir faire respecter ses droits ! Il s'agit là d'un point délicat : d'une part, le détenteur d'un secret doit pouvoir mener une procédure judiciaire sans rendre public son secret tandis que, d'autre part, le contrevenant doit pouvoir se défendre et donc connaître le contenu du secret qui lui est opposé.

Les changements du projet de Directive

Sur ce point, le projet de Directive innove. En premier lieu, les pièces utilisées pour mener la procédure ne pourront pas être utilisées à d'autres fins ou divulguées par les parties. Il sera également possible d'en limiter l'accès à un cercle restreint, ce que certains appellent "confidentiality club". Par ailleurs, l'accès à l'audience pourra être limité et les passages de la décision de justice divulguant le secret pourront être supprimés à la demande des parties. Le texte pose ainsi un cadre procédural très novateur adapté aux exigences spécifiques de la matière.

En conclusion, le projet de Directive UE est un texte équilibré qui ménage les intérêts en cause. La directive pourrait être adoptée prochainement et chaque État Membre devra la transposer dans son droit interne. On devrait bénéficier sans trop attendre des effets escomptés, à savoir le développement de projets de recherche transfrontaliers et l'amélioration de la compétitivité de nos entreprises. Les entreprises peuvent (et devraient...) déjà songer aux mesures à prendre dès aujourd'hui (notamment dans leur organisation interne) pour pouvoir, après transposition, bénéficier sans retard de cette protection.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 12/06/2015 à 17:46
Signaler
En effet faut pas rêver, par exemple, lorsque des porteurs de projets industriels sont en recherche de fonds propres, les fonds d'amorçage refusent de signer les clauses de confidentialité alors que la BPI, la Caisse des Dépôts leur confient des...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.