L'université n'a pas vocation à devenir une école professionnelle

Par Jean Salem, philosophe, professeur à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Jean Salem, auteur de Résistances, Éd. Delga, 2015 ; Elections, piège à cons ?, Flammarion, 2013.

Gramsci est si fort à la mode que je m'en voudrais de ne pas le citer ! Il dénonçait, dans ses Cahiers de prison, le choix de faire disparaître les écoles « désintéressées » au profit d'écoles strictement professionnelles. Pour lui, c'était là l'inévitable effet d'une volonté d'asservissement des citoyens aux conditions économiques du moment. Me voici donc navré de devoir soutenir ici ce paradoxe : à mon sens, le système néolibéral soutient déjà bien assez les « entreprises » et c'est l'université qui se trouve en position de crier : « Au secours ! ».

Vision comptable de la culture

Une réformite ininterrompue tend à instaurer dans nos universités des règles de fonctionnement inspirées de ce qui prévaut dans les firmes postmodernes : vision comptable de la culture, prolifération de la bureaucratie néolibérale, décomposition de l'année universitaire en deux maigres « semestres » de 12 semaines, course à la constitution de conglomérats d'universités pour faire « remonter » les « synergies » dans des classements biaisés, précarisation des emplois, fièvre « évaluatrice » stérile et imposition partout d'une concurrence généralisée (course aux postes et aux financements pour les chercheurs, course à la « validation » pour les étudiants). Cela n'a guère de sens en philosophie, en histoire, en littérature, etc. Et le problème affecte tout autant les sciences « dures » (mathématiques, physique, etc.), qui ont aussi besoin de temps long et non d'impératifs quantifiés, administrés et fixés à la hâte.

L'impossibilité de remplir sa mission

« Tous les gens comprennent l'utilité de ce qui est utile, mais ils ne peuvent pas comprendre l'utilité de l'inutile », assurait un penseur taoïste du IVe siècle av. J.-C. Or, l'utilité supérieure de l'université et son action efficace sont liées à son apparente « inutilité ». L'université n'a pas pour vocation de devenir une école professionnelle et technique, ni un pourvoyeur des « besoins » immédiats des entrepreneurs. Ceux qui y enseignent n'y ont pas été élus et n'y sont pas reconnus à proportion de leurs capacités à nourrir le marché.Il existe en France des licences professionnelles « logistique et transport » ou « management et gestion de rayon ». Cela répond-il à l'idée que l'on se fait des études ? Fréquente-t-on l'université pour s'ouvrir à la grande culture ou pour tenter d'occuper les « créneaux porteurs » du moment ? Certes, l'université doit aussi préparer les jeunes gens à la vie active.

"Ce n'est pas une usine à fabriquer des diplômes"

Mais dans aucune civilisation, les études n'ont eu pour seule finalité la bonne santé ou l'organisation la plus « performante » d'entreprises régies, sauf erreur, par la recherche du gain maximal.

Le chômage ? En Europe, il y a 7,5 millions de jeunes gens sans emploi, résultat de la crise d'un capitalisme financiarisé, et non le fait des seules carences ou d'une « inadaptation » de l'Université. D'ailleurs, plus celle-ci est poussée à devenir une école étroitement professionnelle, plus le chômage augmente. Ainsi que les CDD et les « salaires » à 400 euros ! De surcroît, elle est mise, en France, dans l'impossibilité de remplir sa mission : 15 des 76 universités « autonomes » se trouvent en déficit.

Il y a plus de 500 ans, Érasme a défini l'essence de l'entreprise humaniste : « On ne naît pas homme, on le devient » (homo fit, non nascitur). Or l'université, comme le rappelait l'écrivain et sinologue Simon Leys, n'est pas « une usine à fabriquer des diplômes [...]. C'est le lieu où une chance est donnée à des hommes de devenir qui ils sont vraiment ».



Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 22
à écrit le 21/10/2017 à 22:02
Signaler
La nature se présente à un scientifique comme une source d'inspiration c'est de il s' adapte tout en suivant les cinditions necessaires de son projet

à écrit le 21/10/2017 à 22:02
Signaler
La nature se présente à un scientifique comme une source d'inspiration c'est de il s' adapte tout en suivant les cinditions necessaires de son projet

à écrit le 13/05/2015 à 10:31
Signaler
Oui une pression trop forte ou des charges administratives excessives peuvent nuire au bon fonctionnement de l'université. Oui le savoir échappe à la mesure comptable et l'éducation a pour but le développement humain et pas seulement le développement...

à écrit le 13/05/2015 à 9:28
Signaler
Ce monsieur est un nostalgique d'une époque révolue où les étudiants (' 20% d'une classe d'age) étudiaient principalement pour se cultiver et non pour la nécessité de trouver un emploi pour pouvoir vivre !!! Pour le reste je lui accorde qu'il ne fa...

à écrit le 13/05/2015 à 1:57
Signaler
vous me faites bien rire : on vous paierait - grassement - pour ne rien faire !!!!!!!!!!

à écrit le 13/05/2015 à 1:08
Signaler
Confondre libéral (quelque soit le préfixe que vous choisissiez) avec le glacis d'une économie de connivence est d'un tel aveuglement qu'effectivement appeler Gramsci à la rescousse me semble le minimum. Allez, sans rancune. Quant à l'Université, il ...

à écrit le 13/05/2015 à 0:19
Signaler
Certes. Je n'ai d'ailleurs jamais déboursé un centime pour devenir ingénieur. Mais. Il faut néanmoins se rendre compte que l'argent dirige maintenant le monde. Et ce n'est pas la meilleure chose qui lui arrive car cela le tue. Juste retour des choses...

à écrit le 12/05/2015 à 20:32
Signaler
l'article peut fâcher au priçe abord, mais il reste pertinent car la vision de l'université qui est dénoncée ici n'est pas celle des campus américains . Notre économie hexagonâler est faussement libérale, et le CNPF ne sait que geindre pour ses acqui...

à écrit le 12/05/2015 à 19:35
Signaler
Le type, du haut de sa tour d'ivoire, décrète que l'université financée par mes impôts n'est pas la pour former nos enfants. Il est assez gonflé pour avancer que le chômage augmente avec la formation professionnelle. Donc l'Allemagne a tout faux. Il ...

le 12/05/2015 à 20:00
Signaler
L'exemple parfait de l'inadéquation des universités françaises qui sauf quelques unes (très rares) sont absentes de tous les classements européens

à écrit le 12/05/2015 à 18:39
Signaler
Pourquoi fait-on des études ? 1) pour réussir dans la vie et 2) pour faire avancer les choses. Le type a donc tout faux en nous disant qu'il faut étudier pour étudier....en attendant les aides diverses. Il faudrait au contraire mettre fin à cette men...

le 12/05/2015 à 19:56
Signaler
Tout est dit

à écrit le 12/05/2015 à 18:20
Signaler
Enfin un article intelligent sur l'école ! Il y a deux raisons à combattre la professionnalisation des enseignements : d'abord parce qu'on est incapable d'anticiper les besoins, et donc qu'on ne peut programmer à l'horizon de dix ou quinze ans ce qu'...

le 12/05/2015 à 19:56
Signaler
Combien de personnes avez vous recruté ces 3 dernière s années ? Combien de parcours professionnels durent 10 à 15 ans ? Vous avez raison il faut mieux continuer à former des philosophes, des sociologues, ..., staps et autres formations sans aucun ...

à écrit le 12/05/2015 à 10:59
Signaler
en admettant qu'il faille ainsi produire des bataillons de "chercheurs" voués à ne surtout pas " trouver" , une petite question pratique! on paie comment les socios-psychos-intellos...à l'issue de leurs brillantes formations ? peut ëtre faut-il t...

à écrit le 12/05/2015 à 10:59
Signaler
en admettant qu'il faille ainsi produire des bataillons de "chercheurs" voués à ne surtout pas " trouver" , une petite question pratique! on paie comment les socios-psychos-intellos...à l'issue de leurs brillantes formations ? peut ëtre faut-il t...

à écrit le 12/05/2015 à 10:59
Signaler
en admettant qu'il faille ainsi produire des bataillons de "chercheurs" voués à ne surtout pas " trouver" , une petite question pratique! on paie comment les socios-psychos-intellos...à l'issue de leurs brillantes formations ? peut ëtre faut-il t...

à écrit le 11/05/2015 à 20:41
Signaler
L'université permet certes de devenir ce qu'on est mais aussi de se former pour travailler et rendre à la société ce qu'elle nous a permis d'apprendre et de se réaliser après s'être découvert.. Ce monsieur vit de son travail les autres ont besoin...

le 13/05/2015 à 2:03
Signaler
"vit de son travail.." quel travail : ce monsieur ne travail pas : il pense !!!! cela nous rapporte combien qu'il pense ??????????? rien alors à dégager !!!!!!! nos enfants ont autres choses à faire !!!!!!!!!!!

à écrit le 11/05/2015 à 18:29
Signaler
C'est navrant ... ! Cette posture d'auto-satisfaction au-delà de toute remise en question me choque. Cet enseignant a oublié la valeur que doivent apporter les porteurs de connaissance. L'université a bien deux missions: reporter les frontières du s...

le 12/05/2015 à 19:58
Signaler
Ce monsieur s'en moque des bataillons de chômeurs qu'ils forment Il ne pense qu'à lui

à écrit le 11/05/2015 à 17:50
Signaler
C'est encore plus grave que ce que je croyais! Ce "Professeur" a trouvé la solution à la crise: que les étudiants étudient pour ne rien pouvoir faire d'autre que de s'enrichir intellectuellement grâce à l'argent des contribuables et des entreprises!...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.