Manager en zone de turbulence ou comment grimper les échelons

L'évolution professionnelle des cadres dans les entreprises est conditionnée par leur aptitude à développer leurs compétences politiques. Ils doivent apprendre à naviguer habilement dans les jeux politiques et être reconnus pour cela. Ce qu'ils ignorent, c'est que tout se joue dans la « zone de turbulence »...Par Annabel-Mauve Adjognon, professeur Associé à NEOMA Business School en leadership, management et intelligence politique des dirigeants

Plus on monte les échelons hiérarchiques d'une entreprise, plus les jeux politiques sont
nombreux et violents. Il est donc logique que ceux qui accèdent aux plus hautes
responsabilités soient également ceux qui présentent le plus de compétences politiques.
Quand et comment sont-ils sélectionnés ? La sélection s'effectue dans la « zone de
turbulence ». Cette expression désigne un ensemble de postes d'encadrement intermédiaire auxquels les cadres peuvent être promus au cours de leur carrière. Ces postes ont un point commun : ils demandent aux managers de remplir à la fois les conditions d'exercice des postes inférieurs occupés par les « managers de terre » et celles des postes supérieurs réservés aux « managers de ciel ».

Manager de Terre

Au début de sa carrière, un cadre se voit offrir un poste d'encadrement de premier niveau. Il s'agit d'encadrer sur le terrain une petite équipe et de l'emmener vers la performance
collective. La capacité d'un cadre à évoluer à des postes de « manager de Terre » est liée à ses compétences techniques (il connaît le métier) et à ses compétences managériales (il se distingue dans l'animation et la coordination de son équipe). Ces critères de sélection sont explicites : ils font l'objet de discussions avec le supérieur hiérarchique, voire de comptes rendus formalisés dans les entretiens annuels d'évaluation. Une défaillance dans l'une ou l'autre de ces compétences entraine une stagnation de la progression hiérarchique. S'il démontre ses aptitudes et que tout se passe bien pour lui, un cadre sera logiquement promu à des postes supérieurs.

Manager de Ciel

L'expression « manager de ciel » désigne les postes d'encadrement supérieur de l'entreprise. Représentés au comité de direction ou en lien direct avec lui, ces postes ont une dimension plus stratégique et moins opérationnelle que ceux des managers de Terre. Il s'agit de définir des stratégies d'action en lien avec la vision d'entreprise et de s'assurer de leur bonne mise en oeuvre. Les cadres qui occupent ces postes ne sont plus évalués sur leurs compétences techniques ; on estime (parfois à tort) qu'ils les possèdent. Leurs compétences managériales sont plus ou moins considérées en fonction de la culture d'entreprise et de son dirigeant. En revanche, leurs compétences politiques sont essentielles pour l'acquisition et la conservation de leur poste. Ces compétences font donc l'objet d'évaluations implicites et régulières de la part des supérieurs ou des actionnaires.

Les compétences politiques Les compétences politiques regroupent plusieurs aptitudes cognitives, émotionnelles et comportementales. Un cadre qui les possède a une vision stratégique de son environnement et sait adapter son comportement en fonction des situations. Il construit et entretient un réseau de confiance à l'intérieur comme à l'extérieur de l'entreprise. Il mobilise ce réseau de manière pertinente au cours des jeux politiques. De manière générale, il possède des aptitudes sociales et relationnelles qui lui permettent d'interagir habilement avec les autres et de les influencer lorsque cela l'avantage. Il sait notamment présenter les informations de manière convaincante et arrive à dissimuler celles qu'il souhaite. Enfin, la discrétion et la prudence sont les bases de son comportement même si cela ne l'empêche pas de se rendre visible et de prendre des
initiatives lorsque cela est nécessaire.

Entre la Terre et le Ciel : la zone de turbulence

Les postes d'encadrement intermédiaire situés en zone de turbulence comportent une partie opérationnelle et une partie stratégique. Les cadres promus à ce niveau sont choisis
prioritairement pour leurs compétences techniques et managériales. Cependant, les règles du jeu évoluent rapidement et sans prévenir. Leur position les amène à se retrouver au coeur de jeux politiques majeurs. S'ils savent les gérer habilement, les portes du Ciel s'ouvriront. Dans le cas contraire, leur évolution professionnelle est compromise. Seules les compétences politiques et relationnelles comptent désormais dans leur progression vers le comité de direction. Elles sont évaluées de manière implicite, par conséquent, la plupart des cadres n'ont pas conscience d'être jugés sur d'autres critères que ceux auxquels ils étaient habitués. A cela s'ajoutent plusieurs difficultés : le cadre doit naviguer dans des jeux politiques dont il ne maitrise ni les règles, ni le périmètre ; il ne dispose pas de tous les leviers d'actions et il ignore souvent que son succès dépend d'une répartition équitable de son temps entre l'opérationnel, le stratégique et le politique.

Sortir de la zone de turbulence

Tiraillés au quotidien entre la terre et le ciel, les managers en zone de turbulence peuvent
vivre plus ou moins bien leur situation. Cette zone est propice aux « burn-out » et aux remises en question profondes. Pour sortir de cet inconfort, il existe trois possibilités. La première est de comprendre les nouvelles règles du jeu et de développer ses compétences politiques en pleine conscience afin de devenir un manager de ciel. La seconde est de quitter l'entreprise pour entamer une nouvelle vie. La troisième possibilité est de revenir à des postes moins exposés aux jeux politiques et se recentrer sur la fonction première des managers de terre : faire grandir ses collaborateurs, relever des défis opérationnels, voir s'épanouir et se renouveler ses équipes.

L'important est de se connaître soi-même et de savoir ce qui nous rendra le plus heureux. La zone de turbulence nous permet de goûter au Ciel et à la Terre, elle nous permet d'affiner notre goût pour faire les meilleurs choix de vie. Certains décident même d'y rester, tant ils se rendent compte que cette triple casquette opérationnelle, stratégique et politique peut devenir une formidable zone d'influence.

*Le Dr. Annabel-Mauve Adjognon intervient également dans l'Executive MBA et les programmes Executive Education de HEC Paris depuis 2004.

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Commentaires 3
à écrit le 13/03/2015 à 14:52
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Voici une analyse crue mais tellement réaliste. Quelle fraîcheur! cet article tranche définitivement avec l'eau tiède qu'on nous sert habituellement sur le management. Bravo.

à écrit le 12/03/2015 à 10:15
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Quelle classe ma chérie .. Cest un réel plaisir de lire cet article que Nevan a partagé avec moi .. Je t'embrasse très très fort . Nadine

à écrit le 11/03/2015 à 22:24
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Merci Annabel-Mauve Adjognon pour cet article qui m'éclaire sur ma situation.

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