Zilli, GL events, SITL, Grand Stade : éloges de la complexité

Les enquêtes, dossiers, éclairages développés dans le n°124 d'Acteurs de l'économie - La Tribune en kiosques ce 11 février témoignent des propriétés, vertueuses, de la complexité. Laquelle est honorée, à leur manière, par les Roger-Pol Droit, Dominique Méda, Jean-Michel Wilmotte et autres Jean-Robert Pitte également mobilisés dans ces mêmes colonnes.
(Crédits : Laurent Cerino/Acteurs de l'Economie)

Tout est complexité. Au plus loin autour et au fond de soi. La planète économique comme l'éducation de ses enfants, la cohabitation des religions comme les relations sur le lieu de travail, la construction de l'Europe comme ses choix de vie, la considération des abîmes culturels comme l'entretien d'une amitié.

S'extraire du confort des préjugés

Encore faut-il l'accepter, c'est-à-dire s'extraire du confort manichéen, du confort des certitudes, du confort des préjugés, se mettre en position d'instabilité, tendre la main à l'intranquillité et à l'embarras, s'assujettir délicieusement à une « mise en danger » d'où peuvent éclore la compréhension simultanée du plus loin et du plus proche, celle du plus inaccessible et du plus intime. Et ainsi espérer publier une justification, qui fasse communauté des sujets en apparence les plus imperméables, et ainsi éclaire la conscience et sécrète un sens.

Comme y encourage le philosophe Roger-Pol Droit dans le nouveau n° d'Acteurs de l'économie - La Tribune en kiosques à partir de ce 11 février, c'est ainsi que se définit la philosophie, hostile au blanc et au noir et toute entière dans l'exploration du gris, ou plutôt même des gris que compose la juxtaposition des antagonismes, des nuances, des surprises, des remises en question. « Elle fait concevoir les connaissances comme un mixte de vérités et d'erreurs, de raisons et de déraisons, d'extases et de souffrances, d'endurance et d'impatience, de science et de fiction, de bonheurs et de malheurs... indéfiniment tissés les uns aux autres ». Et considère donc l'ambivalence ou la contradiction nourricières.

Le bonheur, une usurpation

Et c'est l'acceptation de cette complexité qui permet de poser un regard exigeant et utile sur chaque situation, qu'elle soit observée abstraitement ou éprouvée dans sa chair, qu'elle soit accueillie passivement ou considérée avec pugnacité. Et surtout de mettre en résonance, plutôt même en dialogue cette observation du loin et cette émotion intérieure. Comme Roger-Pol Droit y invite, c'est à cette condition qu'il est permis de « comprendre » l'événement Charlie Hebdo, le phénomène de la barbarie, l'usurpation du bonheur - « la vie est brute, nue, sauvage, elle est désordonnée, imprévisible, bouleversante, elle est sans principe ni autorité. Vouloir la faire entrer dans le moule du bonheur revient à vouloir la tuer, sans se salir les mains » -, ou les richesses de l'entreprise.

Et ainsi par exemple, à propos de l'enracinement espéré des sursauts - citoyen, humain, républicain - provoqués par le séisme qui a endeuillé la France et la liberté les 7 et 9 janvier, d'évoquer deux voies possibles : celle, bien sûr, d'une solidarité revitalisée, d'un « politiquement responsable » restauré, d'une parole de vérité réhabilitée, et donc d'un vivre-ensemble régénéré ; mais celle, également et paradoxalement, d'un durcissement des rejets, d'une crispation de la société, et d'une dérive autoritaire.

Ni blanc ni noir

Et c'est cette approche par la complexité, témoignant d'un état d'esprit audacieux, qui permet de plonger dans la plupart des dossiers, enquêtes et entretiens traités dans ce numéro. L'impressionnant succès industriel et entrepreneurial de GL events résulte en premier lieu de la complexité de son fondateur mais aussi d'une organisation et d'un business model que, paradoxalement, les marchés financiers ne reconnaissent pas. Personne ne peut regarder le chantier du Stade des lumières sans mettre en perspective l'incroyable - et pour certains, écoeurante ou amorale - disproportion des moyens publics et privés engagés (un total d'au moins 600 millions d'euros) au regard de l'objet final : 22 footballeurs tapant dans un ballon.

Mais personne ne doit non plus nier l'opportunité d'activité, de développement économique, d'emplois et... d'émotions pour les supporters que le modèle peut - potentiellement - initier. Comment adopter une opinion tranchée face à une complexité d'une telle antinomie, face à une injonction à ce point paradoxale ?
L'entreprise Zilli est certes en proie à un management, une organisation, un leadership contestables, elle est certes sur un segment de l'hyper luxe vestimentaire qui peut, lui aussi pour des questions morales, étourdir ou ulcérer, elle fit certes sa fortune auprès du public, bien trouble, des ex-républiques de l'Union soviétique, mais elle a aussi osé, et elle a sanctuarisé d'extraordinaires savoir-faire artisanaux auxquels s'emploient 350 personnes dans le monde. L'appréciation est paradoxale, la complexité du cas, immense.

Jusqu'où aller ?

Mais il y a pire encore : les raisons véritables et les voies empruntées qui ont pavé la survie de l'entreprise SITL. L'ex-activité lyonnaise de FagorBrandt fut placée en redressement judiciaire alors « qu'absolument rien, concède l'administrateur chargé du dossier, ne le justifiait au plan économique » : un passif de près de 400 salariés, et un actif « totalement néant », sans production, clients, fournisseurs, réseau commercial, ni même brevets, ces derniers étaient propriété personnelle de l'ancien patron. L'examen des trois dernières années et les perspectives, inquiétantes, de l'exercice 2015 désormais piloté par le repreneur américain Cenntro Motors, posent LA question, extrêmement complexe à résoudre, nervurée de multiples paradoxes insolubles : jusqu'où (aux plans éthique et financier) faut-il (les pouvoirs publics, les acteurs politiques et institutionnels) aller pour préserver, sans doute momentanément, 400 emplois ?

Entre ombres et lumières

Complexité et paradoxes : sans leur acceptation, il n'est peut-être même pas utile de débuter l'entretien avec Dominique Méda. La sociologue et philosophe explore les méandres de la reconnaissance du travail et surtout au travail. Où il apparaît que tout ou presque est nuances, contradictions, multifacteurs, toute explication se déplace entre ombre et lumière et échappe aux certitudes douillettes et aux compartimentations limpides, toute compréhension d'une logique, d'une confession, d'une émotion réclame la considération de leur contraire, toute volonté pour le lecteur de tirer un enseignement, c'est-à-dire de se positionner, exige le respect de ce qui peut l'indisposer, ou même le heurter.

Et l'exemple vient d'en haut : la citoyenne Méda n'est-elle pas ébranlée par la chercheuse Méda démontrant l'empathie - qui la singularise dans l'aréopage politique - de Marine Le Pen pour la problématique du travail et pour ceux qui en souffrent ? Une même femme, à la fois universitaire réputée et militante admirée, écartelée par l'extraordinaire complexité d'une situation qu'elle a fouillée, avec courage et intégrité, jusqu'à se « mettre en danger », faisant là sienne la parole de Roger-Pol Droit et son exhortation à « refuser de considérer la vie sous un seul aspect ». Les conditions du progrès humain, d'une société du progrès... et de l'entreprise en progrès ?

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Commentaires 2
à écrit le 15/02/2015 à 21:01
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on s'en moque que ce ne soit pas facile pour vous, vous croyez que c'est facile pour les autres, vous avez été sauvé après le dépot de bilan de sitl par les fonds publics et les impôt des lyonnais avec loyer gratuit du terrain par la marie et de l'ar...

à écrit le 12/02/2015 à 15:53
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Sans être un fervent défenseur du Stade des Lumières, admettez que mettre en parallèle 600 M€ d'investissements et le chiffre de 22 joueurs est bien un raccourci osé. Pardon de vous offenser, mais vous oubliez l'arbitre et le banc de touche! Vous oub...

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