Notation scolaire : oui, il faut tout remettre en cause

Les débats des Journées nationales de l'évaluation se seront achevés ce 11 décembre sous les auspices de la ministre de l'Education nationale Najat Vallaud-Belkacem et, bien sûr, auront opposé de manière caricaturale les tenants d'une refonte de la notation aux défenseurs de la mesure traditionnelle. Ou plutôt, ainsi jugés par les adversaires respectifs, les disciples du laxisme aux partisans d'un rigorisme suranné. Mais doit-il y avoir encore débat ?
(Crédits : Laurent Cerino/Acteurs de l'Economie)

Oui, doit-il y avoir encore débat sur la nécessité de recomposer le système d'évaluation ? La France fossilisée dans les tréfonds (25e rang) du fameux classement PISA mesurant la qualité pédagogique et sociale des systèmes éducatifs des pays de l'OCDE, l'urgence, on le sait, est à reconsidérer de fond en comble non seulement l'édifice qui abrite le premier budget et le premier employeur de France, mais aussi les process qui préparent (ou plutôt ne préparent pas) la jeunesse à exercer un métier, à occuper un emploi, à revendiquer une utilité, à accomplir une citoyenneté dans un monde de ruptures protéiformes, délesté des repères traditionnels - frontières, stabilité, Etat, langue, outils technologiques, etc. - et qui exige des aptitudes sans cesse renouvelées. Comment les apôtres du statu quo peuvent-ils estimer que la notation sur 20 permet de former cette jeunesse à se déplacer, oser, agir dans un tel contexte disruptif ?

Confiance réprimée

Car en premier lieu, ce que cette notation traditionnelle signifie, c'est la fragilisation de la confiance, l'exclusion des « marginaux du système » (150 000 jeunes quittent chaque année le système scolaire sans aucune formation) dont l'intelligence souvent méprisée, insoupçonnée, originale, échappe aux règles de reconnaissance, et la consolidation de la pire des inégalités : celle de naissance.

Fragilisation de la confiance, car comment prendre conscience de « ce » que l'on est, de « ce » que l'on possède déjà, de « ce » que l'on peut faire grandir au fond de soi quand on constate d'une part que seule la capacité à répondre favorablement aux dogmes traditionnels de l'apprentissage est récompensée, d'autre part que des champs immenses composant ce fameux « ce » - l'inventivité, l'audace, la créativité, l'esprit collaboratif, l'altruisme, le sens artistique, la curiosité, etc. - sont ignorés voire chassés ? Oui, comment prendre confiance quand chaque évaluation est synonyme d'un double échec : vis-à-vis de soi et vis-à-vis d'une institution publique et donc d'un pilier de la République censés préparer, former et, au-delà, consolider le vivre-ensemble ?

Marignan ou Chili ?

Exclusion desdits « marginaux du système » par ailleurs, et là encore les manifestations sont multiples : pour chaque individu concerné une mise au ban de l'emploi et donc d'une construction de lui bien souvent irréversible, un risque élevé d'éruption au sein de la société, un véritable gâchis à l'aune de potentialités souvent formidables que cette jeunesse ségrégée pourrait mettre à profit dans des métiers adaptés.Enfin, la doctrine de la notation traditionnelle consolide la pire des inégalités, celle de naissance. En effet, elle est à la fois un instrument et un reflet d'un système éducatif qui, comme le stigmatise en premier lieu le rapport PISA, récompense ce que la « bonne » éducation, la maîtrise des « bons » codes, l'assujettissement aux « bons » critères de reconnaissance favorisent.

En s'interdisant de tenir compte des connaissances et des centres d'intérêt « non officiels » - éveil artistique, actualité, aptitudes manuelles, etc. -, ce système de notation écarte les enfants et les adolescents dépouillés dès leur naissance de ce capital déterminant et sanctuarise les castes d'élites. A ce sujet, il faut entendre la chanson de Leny Escudéro, Le cancre, qui plonge dans la conscience d'un collégien rêveur, et curieux de « comprendre » un coup d'Etat au Chili auquel l'enseignant coupe court et préfère la stricte maîtrise des ressorts de la bataille de Marignan.

« Contre les autres » ou « au fond de soi » ?

Les symboles auxquels ses partisans associent la notation traditionnelle sont nombreux : en premier lieu l'exercice de l'autorité bien sûr, mais aussi la formation et l'endurcissement pour « être apte à guerroyer et à sortir vainqueur dans un monde d'adversité et de compétition ». Car en effet, à quoi d'autre que fertiliser dès le plus jeune âge l'esprit de compétition, la logique de classement, la rivalité... et le dénigrement des plus vulnérables, le système de notation prépare-t-il ? Or, comme le rappelait à Lyon le 2 décembre Jean-Paul Delevoye, président du CESE, le monde d'aujourd'hui et a fortiori de demain sera celui de la « collaboration ». Une culture de la collaboration qui certes ne se substituera pas à la compétition mais mettra en valeur des personnalités « bien faites », agiles, entreprenantes, audacieuses, originales. Et confiantes.

Or cette culture, la développe-t-on contre les autres ou au fond de soi ? Et est-ce dans la mise à l'écart des « invisibles du système » que peut être accomplie l'urgence de revitaliser le lien dans une société compartimentée et ghettoïsée ? " Pourquoi n'individualise-t-on pas strictement l'interprétation des notes afin de faire progresser l'enfant vis-à-vis seulement de lui-même et plus de l'ensemble de ses camarades ?, questionne le philosophe Robert Misrahi. Apprendre à être meilleur par rapport à soi plutôt qu'aux autres changerait radicalement l'esprit de compétition". Façonner une jeunesse compétitrice ne fabrique pas nécessairement de "bons" et "heureux" compétiteurs...

Un mal plus profond

Mais si le débat sur le système de notation est légitime, il n'est jamais que la cristallisation d'un mal autrement plus profond : le comportement du corps professoral. L'observation ne s'adresse bien sûr pas à chacun de ceux qui conçoivent encore leur métier dans sa dimension vocationnelle et éducationnelle, qui travaillent avec exigence mais bienveillance à aider enfants et adolescents à se construire, c'est-à-dire à se découvrir et à se réaliser, qui accomplissent leur responsabilité dans le respect des deniers publics, qui résistent à l'abrutissement et à la démotivation qu'imposent une organisation figée, malthusienne, déresponsabilisante, et une reconnaissance pécuniaire inadaptée - est-il normal que la rémunération d'un enseignant en mathématiques soit la même qu'il exerce auprès des enfants de cadres supérieurs à Neuilly-sur-Seine ou des rejetons d'ouvriers chômeurs à la Courneuve, qu'il s'implique ou non dans la vie de l'établissement ou en faveur du soutien scolaire ? -.

Former des résistants

Non, l'anathème vise ceux qui ont succombé au déterminisme social, qui ont abandonné ce que le sociologue François Dubet circonscrit au « projet moral et éducatif » de l'école républicaine, qui se concentrent exclusivement sur la performance et l'apprentissage des savoirs et négligent la construction d'un savoir-être et d'un savoir-penser autonomes, qui privilégient leur intérêt particulier et celui de leur corporation aux enjeux de leur auditoire, qui...La liste est longue. Et finalement, ce qui est intrinsèquement coupable est moins le système de notation que le comportement et les commentaires qui l'escortent. En l'occurrence, un 7/20 accompagné d'une explication circonstanciée et d'un dialogue mettant en lumière un « mieux », une marge de progrès et un encouragement, peut être profitable.

Mais combien d'enseignants accomplissement ce temps de la pédagogie et de la mise en confiance ? « L'école a vocation à résister et à former des résistants. Il ne s'agit pas d'isoler les jeunes des désordres et des passions du monde, mais simplement de les rendre plus intelligents pour comprendre le monde et y trouver, à partir de raisonnements autonomes, une place », rappelle François Dubet. Changer le système de notation favoriserait-il l'exaucement de son vœu ?

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Commentaires 14
à écrit le 14/12/2014 à 22:09
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Oui pour les notes. Mais pas les notes à la tête du client. Donc 4/5 fois par an, copie anonyme. Comme ça une note en fonction du devoir rendu et non pas une note-sanction car pas petit élève modèle (et surtout lèche-botte).

à écrit le 13/12/2014 à 18:03
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J'aimerai savoir comment nos chers dirigeants ( de tout côté), nos chers intellectuels ont réussi à survivre au système éducatif qu'ils tentent de détruire aujourd'hui ? Qu'ont ils de plus que les jeunes d'aujourd'hui pour avoir su se construire malg...

à écrit le 11/12/2014 à 9:17
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Ne pas traumatiser, bien sûr, développer l'esprit d'initiative etc.. bien sûr, mais quand vous apprenez que des enfants arrivent en 6° sans comprendre ce qu'ils lisent parcequ'ils n'ont pas la maitrise de cette base essentielle, vous êtes obligé de p...

à écrit le 10/12/2014 à 19:47
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moi je suis pour une école militaire, la napoléonienne ou celle des jésuites, elle avait au moins des valeurs, on peut les décrier, mais ça se retrouvait dans le comportement et l'ambiance sociale, le respect des autres, le travail organisé et bien f...

à écrit le 10/12/2014 à 19:16
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Je ne comprend pas. Ceux de ma génération (40-60 ans) ont donc tous été brimés à l'école? Le système de notation était tellement nul que nous souffrons de grosses carences? N'est-il pas important de de situer par rapport aux autres? La suite, c'est q...

à écrit le 10/12/2014 à 17:53
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il faut surtout revenir à l'enseignement prodigué avant 1980, arrêter ce laxisme et mettre les familles en face de leurs responsabilités. Aujourd'hui, un bachelier a le niveau d'un élève de 3ème et je sais ce que je dis.

à écrit le 10/12/2014 à 17:19
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Développer des individus responsables, qui font la différence entre un 2/20 et un 18/20, voilà la clef. Accepter qu'un jeune n'ait pas trouvé en lui-même le ressort pour apprendre à lire et à écrire, après des années sur une chaise, et surtout les di...

à écrit le 10/12/2014 à 16:52
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Que l'on arrête avec ce classement PISA. Le système français serait nul et ce n'est pas juste les ultra- libéraux qui le critiquent à longueur de temps mais également les bien-penseurs de la gauche soit disant moderne. Pisa se note sur 600, la Finla...

à écrit le 10/12/2014 à 16:30
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Quel empilage de clichés ! On ne peut pas à la fois invoquer PISA et ne pas tenir compte des pays en tête de ce classement, les pays asiatiques, qui mettent, beaucoup plus que la France ne l'a jamais fait, l'accent sur le travail. On ne peut pa...

à écrit le 10/12/2014 à 14:47
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l'echec de 1% des élèves??? il fait beau au pays des bisounours? Ouvrez les yeux (et les oreilles) et éviter de poster des inépties. Merci

à écrit le 10/12/2014 à 14:22
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Donc pour éviter l'échec de 1% des élèves nous allons pénaliser les 99%? Cela permettra d'avoir 50% de déchets et ne stigmatisera pas ces fameux 1%.

à écrit le 10/12/2014 à 14:13
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si j'ai bien compris cette commission est faite d'une majorité de non enseignants.!!!!!. et constatons que si maintenant le professeur n'est plus le maitre dans sa classe , nous le devons aux federations de parents qui sans aucune competence impo...

le 10/12/2014 à 14:59
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j'ai toujours eu la même opinion que vous, si l'école va si mal cela est bien à cause des fédérations de parents d'élèves, les parents n'ont pas à intervenir dans le travail des enseignants, si un enfant a un problème à l'école celui-ci doit êtr...

le 10/12/2014 à 17:41
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Bjr, Même si je partage l'avis: "les parents n'ont pas à intervenir dans le travail,des enseignants", je constate qu'un amalgame est fait puisque la comparaison est fausse: le lien entre un enfant et un parent n'est pas de même nature que le lien en...

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