Michel Wieviorka : "Les politiciens sont totalement déconnectés"

Jour après jour, nos sociétés glissent lentement vers une post-démocratie où les citoyens se détournent de plus en plus de la politique, tandis que la démocratie se retrouve confisquée par les médias, les instituts de sondages, et des politiciens professionnels totalement déconnectés de la réalité. Par Michel Wieviorka, sociologue, directeur d’études à l’EHESS.

La politique est-elle à ce point hors-sol, en dehors du couple fusionnel qu'elle forme avec l'information médiatique, qu'il faille la tenir comme déconnectée de toute réalité sociale, de toute attente populaire, et l'accepter comme telle ?

Jour après jour, son message, pour paraphraser Marshall McLuhan, est de l'ordre du massage. Mais un massage singulier, qu'elle s'applique à elle-même, comme on le voit en boucle avec ces grandes chaînes d'information télévisée qui répètent à longueur de journée, ad nauseam, les mêmes  "news", sans grande différence lorsque l'on passe de l'une à l'autre.

 Glissement vers une post-démocratie

De temps en temps, certes, une affaire éclate, apportant un peu de surprise ou de couleur, nous installant du côté « people » de la vie politique, ou renforçant le soupçon sinon de corruption du moins de dégradation morale qui atteint désormais la classe politique dans son ensemble. Nous glissons vers la post-démocratie décrite notamment par Colin Crouch, un politologue britannique, nous sommes dans une situation qui devient post-politique : les libertés ne sont pas en cause, d'opinion, d'expression, de vote, mais les citoyens se détournent de la politique, s'abstiennent ou se reconnaissent dans des forces protestataires, tandis que la démocratie est comme confisquée par des professionnels de la politique, des journalistes, des sondeurs d'opinion.

 Marginalisation des intellectuels

Cette tendance est si forte que les grands médias, bien plus qu'hier, évacuent ou marginalisent les intellectuels, ceux qui du dehors de cet univers de professionnels et d'experts apportent leur contribution à la vie de la Cité en conférant du sens à l'action politique, en apportant des analyses, en proposant des repères. Sur les plateaux de télévision, il y a encore une dizaine d'années, les intellectuels étaient nombreux à être sollicités les soirs d'élection, on ne les a pratiquement pas vus lors des récentes municipales et européennes.

Il est vrai qu'ils ont eux-mêmes changé, que les sciences humaines et sociales se substituent aux figures plus classiques de l'engagement, dont les expressions contemporaines les plus visibles et médiatisées n'apportent plus grand chose au débat public, et que les chercheurs ont pris une assez grande distance par rapport à la vie politique, parfois parce qu'ils s'y étaient brulés les doigts vingt ou trente ans plus tôt. Toujours est-il que l'analyse, dans les grands médias populaires, devient le quasi monopole des acteurs de la politique et de comparses journalistes, sans épaisseur, sans profondeur, sans distance, sans réflexivité, revêtant vite la forme de la fébrilité et collant à l'actualité avec une frénésie sans rapport bien souvent avec l'importance des évènements.

Un répertoire usé jusqu'à la corde

Il y a là une expression symptomatique de l'autonomie actuelle du politique, dont les acteurs croient possible de relancer la crédibilité sans avoir à se transformer eux-mêmes, ou si peu, en conservant les mêmes méthodes, les mêmes types de discours, en mobilisant un répertoire usé jusqu'à la corde, et en attendant beaucoup non pas de l'adhésion populaire, mais plutôt de recettes gestionnaires qu'ils croient pouvoir appliquer à l'économie.

 Cette autonomie est un leurre, et traduit surtout un retard du politique sur la société, un décalage par rapport à ses demandes, mais aussi à ses potentialités, ses virtualités. Il est possible que ce décalage se comble par des violences, éclatées plutôt que fusionnant en un spasme révolutionnaire, ou par la montée en puissance des forces autoritaristes, et racistes du national-populisme, ou bien encore par une sorte d'affaissement général dans la société de défiance : de nombreux scénarii peuvent être imaginés.

Ce qui est clair, c'est le sentiment, de plus en plus répandu, que nos acteurs politiques dessinent un système à bout de souffle, à droite, au centre et à gauche, un système paradoxalement post-politique. L'entrée en campagne pour 2017, devenu l'horizon du débat politique, redonnera-t-elle du sens et des repères à la représentation démocratique ? Il est permis d'en douter.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 16
à écrit le 08/10/2014 à 16:52
Signaler
certains ici, font des commentaires dont je me demande à quoi ils peuvent servir ! heureusement que nous avons des intellectuels pour réfléchir, car il ne me semble pas que nous ayons tous les outils nécessaires à une réflexion efficace pour défini...

à écrit le 01/10/2014 à 16:49
Signaler
J'aime beaucoup lire les intellectuels et universitaires, même brillants, qui expliquent que les "politiques sont totalement déconnectés de la réalité"... C'est vrai que les directeurs des études dans les grandes écoles eux, ont les mains et les pied...

à écrit le 29/09/2014 à 22:52
Signaler
Lucide, excellent mais terrifiant.

à écrit le 29/09/2014 à 19:01
Signaler
analyse lucide et pertinente. La classe politique semble en effet déconnectée de la "vie réelle". ces gens ne communiquent qu'entre eux, dans le cadre des institutions politiques, à travers les médias traditionnels ou par le biais d'émissions "people...

à écrit le 29/09/2014 à 18:06
Signaler
il n’est pire sourd que ceux qui ne veulent pas entendre

à écrit le 29/09/2014 à 17:41
Signaler
Vous décrivez bien l'érosion de notre démocratie et ses causes. Je milite politiquement et je constate la désillution et l'absence d'espoir chez les citoyens. Je choisis pourtant de militer dans un parti politique et je crois qu'ils ne doivent pas di...

à écrit le 29/09/2014 à 16:23
Signaler
Vous êtes comptable de ce système à bout de souffle qui a nourri pendant des décennies une caste politico-médiatique dont l'idéologie dominante et déconnectée des réalités et des intérêts du peuple français nous a mené à la ruine. l'EHESS en est un p...

à écrit le 29/09/2014 à 15:14
Signaler
Le nouveau souffle politique est incarné par l'UPR, neuf, frais, responsable et sincère quand tout le reste parait frelaté et daté ; les partis traditionnels ont vécus, puisqu' uniquement porteurs d'une soumission aux firmes dans un système qui se ...

à écrit le 29/09/2014 à 14:48
Signaler
je n'ai qu'un mot à dire : inaptocratie

à écrit le 29/09/2014 à 14:34
Signaler
Tout a fait d'accord avec l'article transparent comme de l'eau claire , les partenaires sociaux et les politiques détruisent la société plutôt que la construire et les médiats sont à leurs ordres .

à écrit le 29/09/2014 à 13:32
Signaler
Ouf, il ya quand même des gens qui réfléchissent :-)

à écrit le 29/09/2014 à 10:00
Signaler
pour confirmer votre analyse c'est sans doute parce que ce que le Petit extrait du Meilleur des mondes, d’Aldous Huxley.(1932) confirmait: « Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes du ...

le 29/09/2014 à 14:00
Signaler
Étrange que l'extrait commence par "méthodes dignes d'Hitler". Pour un livre paru en 1932, c'est très visionnaire comme réflexion...

le 29/09/2014 à 15:39
Signaler
Le risque serai que les gouvernants et gardiens ne "tombent" aussi dans se "bonheur simple.

à écrit le 29/09/2014 à 9:57
Signaler
Tout ceci est tres vrai dans le meme temps, nous, les non-politiques sommes aussi acteurs. Si NS revient ce n'est pas a cause du manqué de talents a l'UMP mais parce qu'une partie importante des adherents UMP le reclame!

le 29/09/2014 à 16:13
Signaler
ns est aussi déconnecté de la réalité .si un microcosme le réclame ,rien de surprenant il y a toujours des fanatiques .

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.