Réforme du (très) cher millefeuille territorial : bon courage M. Valls !

Jean-Robert Pitte, recontextualise, dans l’histoire, les périmètres de compétences, et les socles identitaires ou culturels, le projet de réforme des collectivités territoriales de Manuel Valls. Le président de la Société de Géographie propose des pistes concrètes pour que la recherche de substantielles économies, ne résulte pas d’un découpage inepte et inadapté aux réalités du terrain.

Voici qu'une nouvelle fois revient sur le tapis la réforme territoriale dont la France aurait, dit-on, tant besoin : trop d'échelons (arrondissements des trois grandes métropoles, 36681 communes, 17242 intercommunalités dont 2581 communautés de communes, 4055 cantons, 342 arrondissements, 101 départements, 26 régions et, cerises sur le gâteau, l'État et l'Union européenne), trop de recouvrements de compétences, trop de pertes d'énergie, trop de dépenses de fonctionnement, trop de confusion pour le citoyen.

Le diagnostic semble inattaquable et, présenté ainsi, entraîne la réprobation majoritaire des Français questionnés par les instituts de sondages d'opinion : 60% se disent favorables à la suppression des départements, selon un récent sondage IFOP pour Sud Ouest Dimanche. Il s'agit probablement des citadins et surtout ceux des grandes villes.

Le Premier Ministre Manuel Valls a fait de la simplification de cette architecture l'un de ses objectifs politiques majeurs. Il n'est pas le premier, car il en est question depuis des décennies, tant sous les majorités de gauche que sous les majorités de droite. A-t-il raison et, s'il y parvenait, notre pays serait-t-il mieux gouverné, de manière plus économe d'argent public et donc plus douce pour le contribuable ? Rien n'est moins sûr. S'il faut réformer, ce n'est peut-être pas, selon l'idée reçue en vogue dans les cercles du pouvoir politique et médiatique parisien, en supprimant les plus petits échelons. Examinons d'où provient cet empilement, à quoi il sert, comment il fonctionne et avec quels moyens. Voyons aussi quelle serait la bonne réforme à entreprendre.

Presque mille ans

Les communes sont les héritières des paroisses et des châtellenies de l'Ancien Régime ; elles ont un petit millénaire d'existence. Cette ancienneté ne leur confère aucune légitimité actuelle, en dehors de l'affection que leur vouent les Français, tant en milieu rural qu'urbain, sentiment qui n'est pas sans valeur. J'en parle à l'aise, habitant un arrondissement de Paris, le 5e, qui est un village parisien dont tous les habitants sont très attachés à l'existence et à l'identité. J'ai passé toute ma jeunesse au Pré-Saint-Gervais, la plus petite commune de la première couronne parisienne, où personne n'a jamais souhaité et ne souhaite la réunion au 20e arrondissement de Paris ou à Pantin.

J'ai aussi vécu des années à Villars-Fontaine, une commune bourguignonne d'une centaine d'habitants, et me suis conforté dans l'idée que son statut municipal était pleinement utile. Ce serait un désastre si elle était réunie d'autorité à l'une ou l'autre de ses voisines plus peuplées. Le village y perdrait son ultime reliquat d'âme.

Immense potentiel touristique

Il faut rappeler que si les trois-quarts des Français vivent en ville, le quart restant occupe 87% de l'espace national, dévolu aux activités agricoles, à la forêt et à la résidence principale ou secondaire. Cette réalité géographique échappe largement à l'opinion. Nos campagnes ne sont pas très bien aménagées et dans beaucoup de territoires semi-désertés, la vie est difficile, faute de bons transports, de services publics ou marchands, d'entretien des paysages et des espaces publics.

On peut considérer que cela ne compte pas et qu'il faut mieux améliorer le sort des citadins qui souffrent des maux préoccupants que sont la promiscuité, la pollution, le coût de la vie, singulièrement de l'immobilier, les durées de déplacement, etc. Mais on peut aussi considérer qu'il serait judicieux d'améliorer les conditions de vie en milieu rural, de permettre à des jeunes de s'y installer, d'aménager harmonieusement les territoires qui représentent un immense potentiel touristique pour nos voisins européens qui vivent à 200, 300 et même 400 habitants au kilomètre carré, comme c'est le cas aux Pays-Bas.

Le mauvais exemple Pisani

Il faut songer que les conseillers municipaux représentent 5 à 600 000 personnes (1% des Français) dont l'immense majorité œuvre bénévolement au service de la population. Grâce à la proximité, ils repèrent des problèmes sociaux souvent cachés et permettent de porter assistance aux plus fragiles des habitants, gèrent d'humbles questions territoriales (entretien de la petite voirie communale, des bois, des petits édifices publics, approvisionnement en eau des écarts, déneigement, propreté, fleurissement, manifestations festives, état-civil, etc.). Les rayer d'un trait de plume accentuerait l'individualisme et la technocratie, mènerait à l'abandon de vastes portions de notre pays.

Il est à noter que les mariages forcés de communes ont souvent abouti à des divorces dans les années qui ont suivi. On en conserve le cuisant souvenir en Haute-Marne où un célèbre préfet-marieur, Edgar Pisani, a vu sa politique menée au début des années 1950 totalement détricotée après son départ. Les communes sont nécessaires à la gestion de proximité du territoire ; elles ne coûtent pas très cher et les formes variées d'intercommunalité permettent de gérer les problèmes trop difficiles qui dépassent leurs compétences et leurs moyens (collecte des ordures, épuration des eaux usées, goudronnage des routes, etc.).

Maillage

Les départements représentent une échelle territoriale à laquelle les habitants de la France sont accoutumés depuis 2 000 à 2 500 ans. Par exemple, l'Ardèche correspond au territoire de la cité gauloise des Helviens, la Dordogne à celui des Pétrocores. Le Haut-Rhin était celui des Rauraques et le Bas-Rhin celui des Triboques : sachant cela, étonnez-vous que les habitants des deux départements aient massivement refusé de fusionner au terme du référendum du 7 avril 2013, preuve que les frontières culturelles ont la vie plus dure qu'on ne croit ! La plupart des cités gauloises sont devenues romaines, beaucoup ont survécu comme évêché, puis certaines on accédé au statut de province ou de généralité. Les baillages, circonscriptions judiciaires et fiscales d'Ancien Régime, étaient au nombre d'environ 400 ; ils donneront naissance aux 342 arrondissements.

Les départements gèrent aujourd'hui une importante partie du réseau routier, le transport scolaire, les collèges (tout au moins les bâtiments et leur fonctionnement), l'action sociale, surtout celle qui est destinée aux personnes âgées et aux handicapés, l'insertion sociale (RSA), l'aménagement rural. Les assemblées départementales sont constituées de conseillers généraux qui sont souvent, par ailleurs, des maires et qui sont les représentants d'une circonscription et donc ancrés dans un territoire dont ils connaissent bien les caractéristiques, les problèmes et surtout les habitants.

Pourquoi se priver de ces élus qui, même lorsqu'ils sont membres de partis politiques, ont surtout, comme les maires, l'avantage de la proximité du terrain ? Le réseau des départements et des communes assure donc un maillage fin du territoire, à même de le gérer au mieux des réalités contrastées de la France.

Rhône-Alpes : mariage des carpes et des lapins

Les régions, au nombre de 26 sont l'échelon le plus récent, même si certaines sont les héritières de provinces d'Ancien Régime. Créées en 1972, dotées d'un Conseil et d'un exécutif en 1982 aux pouvoirs renforcés en 2003 et 2004, elles disposent de la compétence générale, comme les communes et les départements, ce qui crée à l'évidence des redondances et des empiètements. Elles ont particulièrement en charge le fonctionnement des lycées, l'apprentissage, le développement économique, culturel, scientifique, sanitaire ; elles participent à la desserte ferroviaire et, d'une manière générale, à l'aménagement du territoire. Elles gèrent les parcs naturels régionaux.

Certaines régions possèdent une identité incontestable, même si leur découpage comporte toujours une part d'arbitraire : Nord-Pas de Calais, Île-de-France, Alsace, Franche-Comté, Corse, Limousin, Auvergne. D'autres marient des carpes et des lapins : Rhône-Alpes, PACA, Centre, etc. La réalité culturelle, c'est que les Français s'y sont habitués. Les Parisiens s'en moquent éperdument, les provinciaux beaucoup moins. Interrogés localement sur leur propre région, ils sont très majoritaires à refuser les fusions : 61% des Picards, par exemple, sont opposés à une fusion avec le Nord-Pas de Calais et l'on obtiendrait des chiffres analogues dans les Normandies, en Limousin et en Auvergne.

Front commun des citoyens

La plupart des présidents de régions tiennent au statu quo, sauf s'il est envisagé de leur adjoindre un département ou une portion de département supplémentaire (Champagne-Ardennes, par exemple). Les élus favorables aux fusions ont une petite idée derrière la tête : sauver les meubles au cas où la majorité politique basculerait aux prochaines élections régionales.

C'est le cas en Bourgogne et en Franche Comté. Sauf que les Franc-Comtois n'accepteront jamais d'être les parents pauvres des Bourguignons qui ne manqueraient pas de faire preuve à leur égard d'impérialisme abusif, exercé depuis Dijon, l'ancienne capitale ducale qui croit volontiers que rien n'a changé depuis Charles Le Téméraire. Le récent sondage IFOP déjà évoqué donne les résultats suivants : 76% des Français sont fiers de leur région (81% en Lorraine), 54% refusent d'être rattachés à une région voisine, 77% refusent la disparition pure et simple de la région dont ils relèvent. 52% des Lorrains verraient bien la fusion de leur région avec l'Alsace ; les Alsaciens, eux, ne sont que 39%. Éclairant ! Bon courage M. Valls !

Le budget d'ensemble des collectivités territoriales françaises est de 219 MM€ (122 pour les communes et groupements de communes, 70 pour les départements, 27 pour les régions), alors que les dépenses de l'État s'élèvent à 379 MM€. L'ensemble représente une pression fiscale insupportable : 46% du PIB en prélèvements obligatoires et 57%, si l'on y ajoute les dépenses sociales.

Propositions iconoclastes

Quelles sont donc les réformes possibles pour rendre notre millefeuille plus digeste ? Voici quelques propositions dont je mesure à quel point elles peuvent apparaître iconoclastes. Tout d'abord, il faut revenir et surtout appliquer la règle d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite non remplacé. Cela ne nuira nullement à l'efficacité de l'action publique, aussi bien dans les administrations centrales parisiennes (ministères) ou déconcentrées (services préfectoraux, rectorats) que dans la plupart des collectivités territoriales. Que les charges de travail de chaque fonctionnaire soient analysées avec sérieux et honnêteté par les cadres de la fonction publique et que ces derniers disposent d'un volant de primes de motivation suffisant.

Il est ensuite essentiel de recentrer l'État sur ses missions régaliennes et donc de faire maigrir fortement les administrations centrales encore trop pléthoriques. C'est une nécessité si nous décidons de nous orienter vers un début de fédéralisme européen qui rendra de grands services à la France en l'aidant à échapper à son sentiment d'exception qui lui fait croire aux vertus d'un État national omnipotent. Au fil des alternances politiques, rien ne change et il continue à étouffer l'esprit d'initiative des citoyens, y compris des fonctionnaires.

Subsidiarité et autonomie

Notre pays demeure nostalgique d'un étatisme qui n'est même plus de mise à l'Est de l'Europe. Et si l'on appliquait un jour le principe de subsidiarité qui veut que l'action publique soit allouée à la plus petite institution en capacité de l'accomplir et que les plus hautes dans la pyramide (Europe, État) ne fassent qu'orchestrer, harmoniser, garantir la justice territoriale ? C'est ainsi que des collèges, des lycées beaucoup plus autonomes qu'aujourd'hui pourraient recevoir une grande partie de leurs deniers publics des collectivités territoriales plutôt que de l'État, particulièrement en ce qui concerne les personnels enseignants. Dans des universités totalement autonomes, enseigneraient des personnels qu'elles rémunéreraient elles-mêmes à partir de ressources publiques et privées variées provenant en partie, mais en partie seulement, des régions.

Haro sur les FRAC

En ce qui concerne les différentes collectivités territoriales, il serait sage d'éviter l'énorme brassage de discours politiques qui s'annonce et qui aboutira à un ou des référendums qui se solderont par une opposition majoritaire, voire écrasante, des Français à la réforme envisagée. Les seules fusions qui s'imposent concernent les conseils régionaux et généraux des DOM qui sont tous monodépartementaux.

En revanche, de substantielles économies sont possibles au sein des structures existantes. Citons les dépenses de fonctionnement des conseils généraux et des conseils régionaux, spécialement de leurs exécutifs qui ont donné le spectacle d'un amour démesuré du somptuaire. Des architectes modérément talentueux, mais au service des mégalomanies des ordonnateurs en ont beaucoup profité ! Dans le même ordre d'idée, les FRAC devraient bien cesser de dépenser des sommes astronomiques dans des œuvres hermétiques qui sont, de plus, périssables lorsqu'elles relèvent du genre « installation ». C'est aussi vrai de bien des dépenses culturelles qui ne profitent guère au plus grand nombre.

Supprimer l'élection régionale

L'une des vraies réformes politiques et économiques consisterait à supprimer les élections régionales en faisant siéger dans les conseils régionaux - si l'on tient à maintenir ceux-ci - tous les conseillers généraux élus des départements. Leur rémunération pourrait être augmentée sans être doublée pour autant et cela éviterait de confier les régions à des élus désignés par les partis, souvent fort peu ancrés dans la réalité territoriale et attentifs aux besoins des citoyens. En ce qui concerne les attributions de chaque collectivité, la suppression de la clause générale de compétence éviterait les doublons et bien des dépenses superflues.

Pour conclure, il est absurde de penser que de petits territoires sont moins bien gérables que des grands. Si tel était le cas, il faudrait fusionner le Luxembourg, Andorre ou Singapour avec leurs voisins plus grands. Ce serait faire peu de cas du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Rien d'anormal à ce que le mode d'organisation territoriale varie d'un pays à l'autre, conformément à la géographie, à l'histoire, à la culture de chacun : la France n'est pas l'Allemagne, ni la Belgique, ni la Suisse, ni le Royaume-Uni qui s'administrent à leur gré.

Sylvain Tesson, défendant une gestion de la Russie jugée par certains Français comme trop centralisée et autoritaire, écrit dans son dernier livre (S'abandonner à vivre, Gallimard, 2014, p. 77) : « Douze fuseaux horaires ensanglantés par près d'un siècle de démence socialiste ne se pilotent pas comme un duché bancaire de l'Europe baroque. » Joli raccourci d'un écrivain-géographe qu'il convient de méditer et de décliner avant de redécouper bêtement la France. Comme il est évident que cela ne se fera pas, dispensons-nous de gaspiller une précieuse énergie.

 

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Commentaires 11
à écrit le 28/04/2014 à 8:49
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Mr Valles ne manque pas de courage mais il échouera dans sa réforme sur le mille feuille français car tous les élus s'y opposeront....!! Ils veulent garder leurs petits pouvoirs et avantages.....!! RdV dans deux ans pour constater la non modificatio...

à écrit le 28/04/2014 à 8:46
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supprimer les élections régionales est une excellente idée. Faire siéger les conseillers généraux à une assemblée régionale est une solution simple.... mais les petits "barons régionaux" feront échouer le projet.... comme le Sénat a fait échouer De G...

à écrit le 23/04/2014 à 19:31
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Et que dire des pays de Loire :région artificielle imposée par des politiques ambitieux alors qu'a l'ouest on pourrait créer une région harmonieuse mais rien ne sera possible si l'on passe pas au-dessus des élus Dix à douze régions serait bien avec...

à écrit le 23/04/2014 à 18:14
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Des rauraques en Alsace? Il a confondu avec la Suisse...

à écrit le 23/04/2014 à 18:05
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J'ai toujours pensé que l'arrondissement en tant que subdivision du département, avait du sens. Et je suis agréablement surpris de lire qu'il correspond "grosso modo" à une entité de l'ancien régime, ce que je ne savais pas. Il pourrait être la briqu...

à écrit le 23/04/2014 à 15:49
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Je souscris d'autant plus volontiers que j'ai écrit une histoire de la Gironde (passée de Payot-Rivage à Cairn) alors que Mollat ne jurait que par le région qui n'a rien d'historique.

à écrit le 22/04/2014 à 17:27
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Rhône Alpes ou PACA sont pour moi des réussites. Je ne vois aucune remise en cause de ces régions par les Dauphinois Savoyards ou Foréziens en Rhône Alpes, ni des azuréens en PACA. Grenoble ou Nice ont accepté de ne pas être des capitales régionales ...

le 23/04/2014 à 11:33
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Grenoble ou Nice ont accepté de ne pas être des capitales régionales ? C'est faux. Ces villes n'ont pas été consultées. En revanche, je vous rejoins sur les communes : il faut encourager les fusions de communes au niveau des agglomérations.

à écrit le 22/04/2014 à 16:35
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La vraie réforme à faire, c'est celle de la fusion des communes (en gardant le nom des villages si ça peut aider...).

à écrit le 22/04/2014 à 16:26
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ex. parlons des doublons en administrations !!! y a de quoi trouver, mais faut il vouloir les éradiquer? ,!!! tiens ,les cantons et les intercommunalités ; ne serait il pas plus simple de laisser le mot canton en accordant la cartographie de l'inte...

à écrit le 22/04/2014 à 14:50
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surtout ne pas toucher au millefeuille on gavent trop d inutiles ......pour le reste????? l

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