Construire les savoirs en les mettant en dialogue

Le débat où s'opposaient Sciences dures et Sciences molles, très animé au passage du millénaire semble aujourd'hui révolu. Pourtant si l'actualité s'en fait beaucoup moins l'écho, le conflit des représentations reste à l'œuvre dans nos institutions.

L'antinomie dur/mou range d'un côté les sciences de la nature : mathématiques, physique, chimie, sciences de la vie et, de l'autre, sciences humaines et sociales : philosophie, sociologie, psychologie etc. D'autres oppositions vérifieraient cette bipartition des savoirs comme langage symbolique/langage descriptif, science pure universelle/savoirs locaux, voire exactitude/à peu près.

C'est à partir de la représentation que l'on se faisait de la science à l'époque révolutionnaire que vont apparaître les écoles d'ingénieurs et  la modélisation de « l'esprit scientifique » que les besoins de la  nation appelaient à construire. Or cette représentation était essentiellement fondée sur les  « vérités scientifiques » que  l'esprit humain avaient découvertes depuis les Mathématiques avec les Grecs anciens, la Physique avec Galilée et Newton, la chimie qui débutait. Elles constitueront le fonds des programmes des écoles d'ingénieurs avec comme discipline reine les  mathématiques.

Des modèles à revisiter

C'est cette représentation qui encore aujourd'hui, dans notre système de formation, conduit à faire des mathématiques le socle de base de la formation scientifique, à en faire un instrument de sélection et, plus ou moins, à  fermer sur lui-même chaque champ disciplinaire. Mais la réalité se moque bien des frontières et limites des diverses disciplines du savoir ! Il y a longtemps aujourd'hui qu'on sait que la progression du savoir sur cette réalité appelle la constitution d'équipes pluridisciplinaires. Or le dialogue au sein de ces équipes requiert que les experts dans chacune des spécialités ait un bagage minimum dans les autres spécialités pour qu'il puisse y avoir dialogue et collaboration efficace.

Tout le monde sait et tout le monde dit que les modèles pédagogiques de la formation supérieure en France, Universités et Grandes écoles, sont à revisiter et, très vraisemblablement, l'interdisciplinarité  est une des nombreuses voies, non exclusives les unes des autres, que  cette refondation doit s'ouvrir.  Une construction réellement interdisciplinaire des savoirs appellerait que les cursus puissent traverser des disciplines malheureusement hermétiquement séparées dans nos habitudes.

Bien sûr on  peut trouver aujourd'hui des doubles ou triples compétences ; leur construction s'est faite en général successivement. Les neurosciences nous ont appris l'extraordinaire plasticité de notre cerveau et sa capacité d'enrichir les unes par les autres les dimensions cognitives qui structurent nos rapports au monde et à nous-mêmes. Pourquoi alors continuer à vouloir les développer isolément, alors qu'on sait combien notre insertion dans la société d'aujourd'hui appelle l'intégration de multiples connaissances ?  La véritable réflexion de l'homme d'aujourd'hui repose sur le dialogue  avec ses propres représentations pour en éprouver les limites et en détecter les ignorances ? Or  il n'y a pas de meilleure formation à ce dialogue que de le mettre en place dans la construction même des savoirs.

Une exigence rationnelle de cohérence

Toutes les branches du savoir se développent aujourd'hui dans tous les centres universitaires  avec l'exigence rationnelle de cohérence entre leurs parties dont le modèle leur a été fourni par la science dite dure. Si les réalités de notre monde, à quelque époque que ce soit, se partagent entre les réalités observables localement  et les réalités globales qui se rencontrent sur toute notre  terre, le savoir qui se bâtit sur ces réalités s'efforce, lui, à l'universel. Le savoir qui se façonne sur telle réalité locale : langue, mode de production, pratique sociale n'est pas un savoir local, mais un savoir universel sur une réalité locale. Dans sa méthodologie, son articulation des faits observés et des principes régulateurs du cheminement de la pensée, ce savoir est en capacité  de se confronter aux autres rationalités déployées sur d'autres réalités, locales ou globales.

Cette exigence de cohérence, principe de l'universel rationnel, est  comme un appel à tous les esprits humains pour reprendre les démonstrations, logiques, protocoles, pour les confirmer ou les infirmer, pour les affiner et les enrichir, pour en assurer ainsi  le partage.
Et tous les savoirs qu'ils soient qualifiés de durs ou mous, doivent se soumettre  à cette exigence et sont donc partageables. On objectera que les accès au savoir - toutes disciplines confondues - ne sont pas tous au même degré de difficulté spéculative et qu'il y a dans la didactique de chaque discipline des passages obligés. Mais rien n'empêche de réfléchir comment construire des parcours de formation articulant entre eux ces passages obligés de sciences dites dures et molles.  Quand commence-t-on ?


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