Thierry de La Tour d'Artaise : "Notre système doit donner l'envie de porter vers le haut"

Connu pour ses fonctions de PDG du groupe SEB (5 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 32 800 salariés), Thierry de La Tour d'Artaise est par ailleurs un homme engagé, tant avec le Foyer Notre-Dame des sans-abris qu’auprès des jeunes de l'Institut Télémaque Auvergne-Rhône-Alpes qu'il préside depuis 2013. Un rôle qu’il mène avec conviction. A 63 ans, le dirigeant apporte ainsi ses compétences et sa bienveillance pour les autres, et s’émerveille devant une jeunesse issue de milieux modestes, qu’il juge "brillante et combative", engagée dans une farouche volonté de s'en sortir.
Thierry de La Tour d'Artaise, PDG du groupe SEB et de l'Institut Télémaque Auvergne-Rhône-Alpes.

ACTEURS DE L'ECONOMIE - LA TRIBUNE. Président de l'Institut Télémaque Auvergne-Rhône-Alpes, mais également du comité des amis du Foyer Notre-Dame des sans-abris, les engagements dans lesquels vous vous investissez, en parallèle de vos fonctions de PDG du groupe SEB, quel sens leur donnez-vous ?

THIERRY DE LA TOUR D'ARTAISE. Mon engagement est naturel. Si nous pouvons aider les autres et sommes en mesure de le faire, nous n'avons pas le droit de ne pas nous engager. Je le fais autant à titre privé qu'à titre professionnel, en utilisant mes compétences et mes fonctions pour entreprendre des initiatives. Aider est essentiel à la fois pour ceux qui en ont besoin, mais aussi pour son épanouissement personnel et pour la conduite de son entreprise, car cela génère un sentiment de fierté et d'appartenance auprès des salariés.

S'engager devient-il un devoir lorsque l'on occupe des fonctions de direction ?

Diriger une entreprise revient naturellement et inéluctablement à s'engager. Il est rare qu'un dirigeant se satisfasse de rester dans son fauteuil et n'ait pas cette envie de donner de son temps pour les autres et ce, à sa manière : en politique pour certains, en soutenant l'entrepreneuriat pour d'autres ou encore en s'engageant auprès d'associations caritatives. Chaque dirigeant porte en lui cette notion. Il faut simplement ne pas vouloir convertir tout le monde à sa cause. Les dirigeants sont très sollicités et doivent faire des choix.

En 2013, la proposition d'Henri Lachmann, président de l'Institut Télémaque au niveau national, d'occuper la présidence de cet organisme pour la région Auvergne-Rhône-Alpes s'est donc révélée une évidence pour vous ?

L'institut disposait d'une présence en Auvergne-Rhône-Alpes et le groupe SEB participait à travers l'engagement de nos salariés aux côtés des filleuls Télémaque. Seulement, personne n'était en charge de développer l'association sur le territoire. Lorsqu'Henri Lachmann m'a fait cette proposition, j'ai été séduit par le projet, car il fait appel à l'effort. Nous soutenons des jeunes brillants issus de milieux modestes qui veulent se battre et nous les aidons, en leur apportant ce que la société n'a pas été capable de leur apporter : l'accès à un capital culturel.

Plus le système éducatif se veut égalitaire - moins est-il exigeant -, plus il pénalise les personnes éloignées de tout. Télémaque parvient donc à les aider avec un triptyque idéal selon moi : un jeune avec cette envie de s'en sortir, une entreprise qui apporte un soutien financier et du mécénat de compétences via les tuteurs salariés, et un référent d'un établissement scolaire. Un programme dont les effets ont prouvé leur pertinence.

Je me souviens d'un jeune irakien qui avait fui son pays avec ses parents pour échapper à Daech, et ambitionnait de faire Polytechnique. Je trouve cela fabuleux. Quatre ans après l'implantation en Auvergne-Rhône-Alpes, la dynamique est très positive, nous avions 40 jeunes et en avons aujourd'hui 150. L'institut a multiplié par trois le nombre d'établissements scolaires et d'entreprises partenaires. Certains suivent désormais des études supérieures et d'autres commencent un travail. En 2017, 15 % des inscrits au programme Télémaque ont reçu une mention très bien au bac contre 7 % sur le plan national.

La singularité de l'Institut Télémaque correspond-elle à celle du fonds groupe SEB qui soutient des projets sociaux ?

Le choix de l'Institut de se battre pour l'égalité des chances chez les jeunes est l'un des axes du fonds groupe SEB, dont l'objet général est la lutte contre l'exclusion à travers quatre domaines : l'éducation et la formation, l'équipement du logement, l'insertion par le travail, le retour à la santé. Des thèmes portés par les employés sensibles à cette problématique puisque nous sommes présents dans des bassins parfois touchés par la désindustrialisation. Le fonds est ainsi né de ce constat. C'est la raison pour laquelle, le projet Télémaque s'est révélé tout à fait pertinent pour nous, d'autant plus que les salariés du groupe se sentent investis d'une mission, et sans eux, les projets ne se réaliseraient pas.

Pour suivre le programme Télémaque, de quelle manière un élève "motivé" et "brillant" est-il détecté dès la cinquième ?

L'établissement scolaire nous remonte des dossiers de jeunes motivés, participant en classe et s'intéressant à des sujets variés. D'ailleurs, ils ne sont pas obligatoirement brillants, mais ils portent en eux cette volonté de s'en sortir. Seulement, il leur manque une ouverture sur le monde, sur la culture qu'ils n'ont pas eu la chance d'avoir de par leur parcours de vie. Nous intervenons à ce stade avec nos tuteurs salariés qui font découvrir tout cela à leurs filleuls Télémaque.

D'autres jeunes souffrent aussi d'échec scolaire et peinent à s'en sortir, parfois en silence, malgré de réelles envies de faire autrement. Est-ce une problématique qui vous touche également ?

Un choix a été fait avec Télémaque de sélectionner des personnes qui portaient en eux cette motivation. Néanmoins, nous devons nous battre pour tout le monde. L'échec scolaire est le pire qu'il puisse arriver, car l'on gomme toutes les chances à un jeune de pouvoir s'en sortir. C'est d'ailleurs pour cela que je suis attaché à ce que nous essayions de pousser les personnes toujours plus loin, c'est ce que nous faisons en soutenant d'autres initiatives comme Energie Jeunes.

L'échec scolaire est le résultat d'une faille dans le système scolaire. Les gouvernements successifs tentent d'y remédier avec plus ou moins de résultats. Les initiatives prises alors par des entreprises ou par Télémaque par exemple permettent-elles, en dernier recours, de panser ce mal de la société ?

Des jeunes sont en échec, car ils ne disposent pas d'un environnement favorable, et si l'école ne les aide pas à être ambitieux, cela ne fonctionnera jamais malheureusement. Pendant des années, il fallait obtenir uniquement de bons ratios de succès au baccalauréat, conséquence : le niveau d'exigence a baissé. Nous revenons semble-t-il à des choses plus sensées comme le retour à l'enseignement des basiques tels que la lecture, l'écriture, le calcul et aussi les langues. Cela va dans le bon sens. Notre système doit donner cette envie de porter vers le haut. Avec Télémaque, c'est ce que nous entreprenons. Cela étant, nous pouvons aider, mais nous ne pouvons pas nous substituer à l'Éducation nationale qui doit tenir son rôle.

L'ascenseur social semble en panne et l'égalité des chances galvaudée. Quel état des lieux faites-vous de ces deux notions ?

L'inégalité a toujours existé et existera toujours. L'ascenseur social est-il plus en panne que dans le passé ? Je ne sais pas. Pour moi, l'important est d'abord et avant tout de donner à chacun la possibilité de progresser en s'appuyant sur sa volonté et en lui apportant les outils.

Les mesures prises ou envisagées par le gouvernement Philippe vous donnent-elles des signaux positifs ?

Toutes les mesures allant dans le sens de l'assouplissement, de l'adaptabilité vont dans le sens de l'amélioration de l'employabilité. Il ne faut pas préserver l'acquis à tout prix, mais d'abord permettre l'employabilité. C'est d'ailleurs dans cette optique que le groupe SEB propose sur le temps de travail des parcours de formations qualifiants et diplômants à ses salariés, particulièrement pour ceux qui travaillent en usine et qui n'ont pas eu tous la chance de suivre une formation initiale longue. Une démarche que fait très bien l'Allemagne avec l'apprentissage. Réfléchissons donc à comment développer l'employabilité en France, encourageons la formation tout au long de la vie, car nous possédons des viviers de compétences exceptionnels chez nos salariés.

Edouard philippe appelle hollande a faire preuve d'humilite

Le Premier ministre, Edouard Philippe.

Certains jeunes ont l'impression d'être peu écoutés, peu soutenus, ni accompagnés dans leur projet. Quel regard portez-vous sur la jeunesse actuelle ?

Lorsqu'on évoque la jeunesse actuelle, on parle beaucoup d'un souhait de plus d'équilibre entre vie professionnelle et vie privée, de besoin de repères, de se sentir utile pour les autres. Je pense que c'est vrai et positif mais cela ne veut pas dire, pour beaucoup, qu'ils ne sont pas ambitieux, combatifs et motivés.

À travers vos différents engagements et par la fonction de PDG que vous exercez, ce que vous entreprenez est-il un acte politique ?

Je n'ai pas d'engagement politique. Ma volonté se résume à l'efficacité sur le terrain. Là où je peux aider, dans des structures dans lesquelles j'interviens et en tant que chef d'entreprise.

Quel espoir portez-vous ?

On ne peut être chef d'entreprise si on ne porte pas une bonne dose d'optimisme. Comment feriez-vous avancer votre entreprise sinon ? Il faut savoir s'accrocher, ne jamais désarmer même en situation de crise. Et en s'engageant auprès d'autres organismes, en observant des jeunes brillants et des salariés engagés, cela vous apporte considérablement et impacte incontestablement la conduite de votre entreprise.

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