Laurent Roy (Agence de l'eau) : "Économiser l'eau n'a pas de couleur politique"

Alors que de nouvelles coupes budgétaires souhaitées par le gouvernement vont les obliger à prioriser leurs investissements, les agences de l’eau sont engagées dans une course contre la montre face aux enjeux du réchauffement climatique. Une tâche ambitieuse et délicate, mais indispensable qui les obligent à faire évoluer leurs missions. Sur l'un des plus importants bassins français, celui de Rhône-Méditerranée, son directeur Laurent Roy observe ainsi une "prise de conscience générale", mais insiste auprès des collectivités, du monde économique et du grand public à fournir un effort supplémentaire, d’autant plus que de nouvelles molécules polluantes apparaissent régulièrement.
Laurent Roy, directeur général de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée .

ACTEURS DE L'ECONOMIE - LA TRIBUNE. Quel bilan faites-vous de l'état de santé des eaux sur le bassin Rhône-Méditerranée ?

LAURENT ROY. Nous considérons que 52 % des eaux de surface (lacs, rivières, etc.) sont en bon état. Pour tous les polluants classiques en provenance des sources ponctuelles de pollution comme l'assainissement des villes ou la pollution issue des gros industriels, nous avons considérablement progressé. Les rejets classiques en phosphore dans les rivières ont par exemple été divisés par dix. D'une manière générale, les stations d'épuration des grandes villes sont aux normes, ce qui est moins le cas dans les communes de petite taille. Le progrès est donc réel, mais le travail est continu, car de nouvelles molécules polluantes sont désormais détectées.

Quels sont les points d'amélioration que vous avez relevés et sur lesquels vous devez travailler ?

Les pollutions nouvelles et diffuses comme les pollutions médicamenteuses, et les substances chimiques sont de nouvelles problématiques auxquelles nous devons faire face. Mais la pollution la plus préoccupante demeure, encore et malheureusement, celle des produits phytosanitaires. Nous constatons que l'usage de pesticides ne diminue pas et reste très répandu. Les comportements des agriculteurs ont encore peu évolué malgré le plan Ecophyto 2 lancé en 2015 et les progrès réalisés. Une mutation en masse reste à entreprendre afin de transférer les pratiques responsables vers un plus grand nombre d'agriculteurs.

Malgré l'évolution des mentalités, mais aussi des mesures successives prises dans ce domaine comme vous le stipulez, vous semblez dans l'impasse avec l'agriculture...

Cela dépend en grande partie des filières. Pour certaines, l'agriculture biologique réussit à trouver son équilibre économique. C'est le cas dans la viticulture. Le cahier des charges des appellations prévoit des limites de rendement, donc l'agriculture biologique, dont les rendements sont souvent moindres, n'y provoque pas de perte de revenu. À l'inverse, il est plus difficile, ailleurs, comme dans la filière des fruits et légumes de faire évoluer les pratiques, car les itinéraires techniques font toujours appel à de nombreux traitements. Nous devons encore nous atteler à sensibiliser et faire évoluer les pratiques.

agence de l'eau

Le 10e programme "Sauvons l'eau" de l'agence, commencé en 2013 et qui prendra fin au 31 décembre 2018, constitue un des leviers d'actions pour atteindre le bon état des eaux, préserver la santé et l'environnement et gérer la rareté de la ressource en eau. A-t-il porté ses fruits ? Êtes-vous allés au bout de sa réalisation ?

Le premier défi portait sur la qualité de l'eau, le second sur la quantité et le troisième sur l'écosystème. Le 10e programme a donc travaillé activement sur ces problématiques. Mais les conséquences du réchauffement climatique nous ont contraints à réviser le programme en 2015. Nous considérons ainsi que dans le bassin Rhône-Méditerranée, 40 % des eaux de surface (rivières, lacs, littoral, etc.) sont quantitativement en tension. Elles ne parviennent pas à satisfaire l'ensemble des usages de l'eau dans le respect du bon fonctionnement des milieux aquatiques.

Autrement dit, si l'on prélève tout ce que nous voudrions, il n'y aura plus assez d'eau dans les rivières. Et avec le changement climatique, la situation ne s'arrange pas. L'augmentation de la température notamment estivale conduit à consommer plus d'eau, les sécheresses deviennent plus fréquentes et plus intenses et la baisse de l'enneigement prive d'eau les rivières au printemps. Nous avons donc dû adapter nos interventions.

La problématique du réchauffement climatique sera donc une des priorités du 11e programme de l'agence ?

Les grandes orientations porteront effectivement en priorité sur le changement climatique et son adaptation à notre bassin. L'enjeu est devenu incontournable. Nous sommes actuellement dans sa phase d'élaboration pour qu'il soit opérationnel au 1er janvier 2019.

La prise de conscience collective des mondes économique et institutionnel, et du grand public suffit-elle à la transformer en actes ?

En matière d'économie d'eau, cette prise de conscience est générale. Les collectivités ont été au rendez-vous très rapidement, car nous leur avons offert des taux de subventions attractifs dans le cadre d'appels à projets pour notamment réduire les fuites dans les réseaux d'eau potable. Le changement climatique est acquis. Pour le grand public, sa perception est aussi très répandue, mais le lien entre cette connaissance et un changement concret de comportement est moins évident. Cela ne va pas de soi.

Quant aux entreprises, elles sont redevables en fonction du volume d'eau qu'elles consomment et du taux de pollution qu'elles émettent, et par ailleurs, sont des bénéficiaires des aides de l'agence. Elles sont donc incitées à agir, d'autant plus que moins polluer et moins consommer d'eau, c'est aussi un avantage concurrentiel pour elles.

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En 2016, 550 millions d'euros ont été investis par l'agence dans des projets, il devrait en être autant pour 2017. Cette enveloppe est-elle suffisante pour répondre aux enjeux ?

Nous bénéficions d'un budget annuel en fonction des redevances que nous percevons. Chaque année, il peut fluctuer. Nous agissons de deux manières : en prélevant des redevances aux entreprises, redevances qui appliquent, dans une certaine mesure, le principe de pollueur/payeur. À partir de cela, nous octroyons des subventions pour dépolluer, économiser l'eau, remettre les rivières en état. Le taux de redevances est plafonné par la loi de Finances, mais ce sont les instances de bassin qui adoptent ce taux. Actuellement, la volonté du gouvernement est de baisser la pression fiscale sur tous les impôts.

Conséquence : le niveau de redevance devrait baisser pour le 11e programme, et celui des ressources des agences avec. Nous devrons faire des choix et nous ne financerons plus certains projets. Ce qui nous oblige à prioriser nos actions sur ce que nous jugeons indispensable et crucial pour l'amélioration des masses d'eau.

Cette baisse de budget peut-elle tout de même vous inquiéter ?

Il nous appartient d'appliquer la volonté du gouvernement. Avec une enveloppe en baisse, nous devons mieux coller aux priorités du bassin et des territoires. Nous n'aiderons plus des projets qui peuvent être assumés par les collectivités comme les stations d'épuration. Il est essentiel d'aider à la prise en compte des nouvelles contraintes réglementaires, mais lorsque les règles sont anciennes et bien connues, il est logique de se désengager de leur financement pour se tourner vers d'autres priorités. Le 11e programme nécessitera cependant beaucoup de concertation et pédagogie pour faire accepter ces évolutions.

Hulot engage la fin de la production d'hydrocarbures en france

Nicolas Hulot et Emmanuel Macron.

Entre une politique de droite et une de gauche, les agences, leur fonctionnement et leur budget, peuvent-elles souffrir des alternances ?

Des décisions peuvent changer, mais des invariants demeurent. L'acte politique peut être la volonté d'augmenter ou désormais de réduire le montant des redevances, aux agences de s'adapter. En revanche, des grandes priorités s'imposent d'elles-mêmes. Économiser l'eau n'a pas de couleur politique.

Face à des moyens qui tendent à se contracter, le salut écologique peut-il venir aussi des initiatives privées, citoyennes, associatives que vous soutenez par des aides financières ?

Il est absolument indispensable de soutenir la mobilisation des populations sur les sujets environnementaux et nous subventionnons les têtes de réseaux associatives, comme la Frapna. Néanmoins, notre mode d'action passe avant tout par les collectivités : nous insistons donc pour que les collectivités s'inscrivent bien dans une démarche participative associant la population.

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Les élus sont-ils au fait des questions environnementales et surtout portent-ils activement une politique de l'eau sur le territoire ?

Certains élus, parfois à la tête d'agglomérations, sont très investis dans le soutien d'une politique territoriale de l'eau. Néanmoins, cette problématique est encore principalement portée par des personnes sensibles à cette question, sans être toujours complètement perçue à la tête de la collectivité. Des élus la voient encore comme technique et non comme un sujet fondamentalement politique et essentiel pour leur territoire et leur population.

Laurent Wauquiez, président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes, a supprimé des subventions d'associations de protection de l'environnement comme la LPO ou la Frapna. En matière de politique de l'eau, sa position vous satisfait-elle ?

La question est de savoir si Auvergne-Rhône-Alpes souhaite disposer d'une politique de l'eau ? Ce n'est pas une obligation, car l'État ne confie pas de compétence aux Régions dans ce domaine. Les communes, les départements ou les EPCI sont davantage engagés. Néanmoins, une région comme PACA, qui appartient à la même couleur politique, a affiché l'ambition de soutenir une politique régionale de l'eau. En Occitanie, la collectivité veut également développer une politique régionale de l'eau. Quelle que soit leur couleur politique, des Régions se saisissent de la question.

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En PACA, le préfet a autorisé pour six ans le rejet des boues rouges de la société Alteo dans le Parc national des Calanques, provoquant de vives réactions. Qu'en est-il de ce dossier que gère l'Agence?

Nous ne sommes pas l'autorité de police, c'est à la puissance publique d'apprécier l'opportunité d'autoriser ou pas chaque dossier. Dès qu'elle décide qu'une activité peut être autorisée, nous taxons ses prélèvements et rejets et aidons à dépolluer les entreprises qui en font la demande. Altéo est l'un des plus importants redevables du bassin puisqu'il paye entre 2 à 3 millions d'euros de redevance par an. Ses dirigeants ont donc tout intérêt à la faire baisser.

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À l'heure actuelle, ce ne sont plus des boues rejetées dans la Méditerranée. Grâce à l'installation de filtres, l'entreprise rejette des liquides transparents, mais qui contiennent divers polluants, métalliques notamment. Altéo développe donc, à la demande des autorités préfectorales, un procédé de traitement pour éliminer ces métaux. Ils vont nous demander de les aider financièrement pour y arriver, nous jugerons sur pièce.

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Commentaire 1
à écrit le 09/11/2017 à 12:22
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Avant d’économiser , il faut peut être prendre l’exemple de la Suisse : qui respecte la population en supprimant le «  fluor » dans l’eau. Arrêtons de tuer l’humain et l’environnement.

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