Didier Desplanche (ECAM Lyon) : "Les fusions de grandes écoles ne font plus rêver"

Comment et par quels moyens, une école d'ingénieurs indépendante parvient-elle à se maintenir sur le plan national en refusant toute intégration ? Didier Desplanche, directeur de l'École catholique d'arts et métiers de Lyon, apporte ses réponses et sa vision quant à l'avenir de son établissement et à sa stratégie pour franchir un nouveau palier. Entre investissements, communication, et recrutement d'étudiants, le Plan Campus 2025 qu'elle a déployé doit lui offrir les moyens de ses ambitions et lui permettre de se maintenir, voire d’accéder à un nouveau rang. L’ECAM Lyon entend ainsi devenir un acteur "écouté", "complémentaire" et "contributeur" à l’heure ou la filière de l'enseignement supérieur stéphano-lyonnaise est entrée dans une nouvelle ère avec la labellisation Idex.

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Acteurs de l'économie - La Tribune. L'ECAM Lyon fait partie des écoles d'ingénieurs françaises de taille moyenne, toujours indépendante. Dans l'optique de lui donner une autre envergure, vous aviez lancé, il y a quelques années, le projet ECAM 2000. Cette stratégie a-t-elle porté ses fruits et pose-t-elle les fondements de votre nouvelle feuille de route baptisée Plan Campus 2025, déployée en 2015 ?

Didier Desplanche. Globalement, nous avons appliqué l'ensemble des mesures du précédent plan. Une orientation majeure portait sur le volet international et depuis quatre ans, grâce à différents dispositifs, la mobilité sortante est une réussite : 100 % des élèves partent hors de nos frontières et 30 % de nos étudiants trouvent d'ailleurs un premier emploi à l'étranger (Suisse, Allemagne, et Etats-Unis sont les destinations privilégiées).

En revanche, nous n'avons pas encore atteint notre objectif de mobilité entrante. Ce qui nous a conduits à travailler sur cette problématique afin d'en comprendre les raisons et de mettre en place les outils pour attirer, chez nous, davantage de jeunes étrangers. Résultat : nous avons lancé une formation d'ingénieur post-bac en cinq ans exclusivement en anglais en septembre 2016.

Dans le projet ECAM 2000, nous avions également entrepris un gros travail sur la recherche en mettant des moyens pour la développer. Aujourd'hui, nous sommes ainsi devenus l'un des plus importants contributeurs au sein de l'Institut Carnot et accueillons entre dix à douze doctorants.

ecam lyon

Dans votre plan stratégique 2015-2025, vous souhaitez atteindre 2 500 étudiants, soit multiplier par 2,5 votre effectif. Vous investissez également dans l'agrandissement de vos locaux. Ce plan a-t-il pour objectif de maintenir votre école sur un marché très concurrentiel de la formation supérieure ?

Cela rejoint l'idée de préserver l'autonomie de notre école. Nous devons disposer d'une taille suffisante pour pouvoir maintenir notre vision éducative. Il nous faut donc accueillir davantage d'étudiants, en passant de 1 300 à 2 500 étudiants d'ici 2025, mais nous ne ferons pas une course à l'élève pour l'élève. Nous mettrons l'accent sur les éléments contributeurs de notre projet éducatif, à savoir l'accompagnement de l'étudiant pour sa réussite professionnelle et humaine. Nos critères de développement demeurent avant tout l'international, la recherche et l'entrepreneuriat.

Nous ne viendrons pas en concurrence de grands laboratoires, mais pouvons contribuer au transfert technologique sur "le faire". Autrement dit sur la conception, le prototypage et la production, à l'aide de notre incubateur qui accueille actuellement huit startups. Là est notre positionnement.

Comment et par quels moyens souhaitez-vous attirer davantage d'étudiants ?

La croissance ne doit pas se faire au détriment de la qualité. Notre recrutement demeure aujourd'hui très régional (80 %) avec une conséquence positive à la fois sur le taux d'employabilité qui s'en suit sur le territoire et sur l'économie locale. Néanmoins, cette situation à ses limites, car nous devons veiller à l'élargir.

Nous avons plusieurs idées pour y parvenir. Sur le recrutement post-bac, nous savons qu'il est difficile d'attirer des jeunes loin de leur domicile parental. De plus, la plupart des territoires disposent de leurs propres écoles d'ingénieurs depuis les années 1990. Dès lors, nous pouvons imaginer avec notre réseau LaSalle, regroupant écoles et lycées privés en France, la création de classes préparatoires intégrées, en bâtissant un projet sur la base de deux années durant lesquelles le jeune suivra sa formation sur son territoire et les trois autres, à l'ECAM Lyon. La démarche est lancée avec l'approbation du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche dont les parcours sécurisés ouverts permettent de répondre aux attentes d'une partie des bacheliers.

La seconde voie reste le "marché" mondial et nous disposons avec notre formation en anglais, d'un levier de croissance assez fort sur lequel nous voulons peser. Néanmoins, nous souhaitons, tout en grossissant, maintenir ce lien de proximité fort que nous avons entre les étudiants et les enseignants. Nous souhaitons conserver un taux d'encadrement important avec un professeur pour 11 élèves, alors que la moyenne française pour une école privée se situe autour d'un pour 17. Cela reste notre force, mais sera peut-être notre faiblesse à un moment donné.

Vous avez fait le choix de rester sur votre campus d'origine, dans le quartier de Fourvière, en investissant plus de trente millions d'euros dans la réhabilitation et la construction de bâtiments. De quelle manière ce financement se répartit-il ? Pourquoi ne pas avoir opté pour un déménagement ?

Nous l'avons scindé en deux tranches de 15 millions d'euros. La moitié est déjà engagée avec neuf millions d'euros d'emprunt et six millions provenant de fonds propres, d'appel au fundraising et de nos résultats. Notre modèle réside dans une croissance par petites étapes, qui permet de remplir au fur et à mesure les mètres carrés que l'on crée. Nous ne connaissons donc pas de restriction budgétaire et pouvons mener nos projets raisonnablement.

 

La future entrée de l'école (crédit agence Vurpas Architectes).

Nous avons étudié la possibilité de déménager l'école sur Écully ou le site de la Doua à Villeurbanne, mais nous avons fait le choix de rester sur la colline de Fourvière. Une décision logique somme toute : nous avons saisi l'opportunité de récupérer des bâtiments et des terrains sur notre propre site historique. Si nous avions fait le choix inverse, nous aurions perdu une partie de notre ADN. De plus, nous observons une tendance à un retour des campus au cœur des villes, car se situer en périphérie est tant un avantage qu'un inconvénient. De nombreux établissements réfléchissent ainsi à revoir ce modèle qui, selon moi, est celui de demain.

Conscients de vos freins pour atteindre certains de vos objectifs, vous réfléchissez depuis quelques années à associer l'ECAM Lyon à une autre grande école d'ingénieurs afin d'être plus fort et de peser. Où en êtes-vous ?

C'est un sujet récurrent au sein de l'ECAM Lyon. Après la croissance interne, nous pouvons effectivement regarder la croissance externe. La première étape a été franchie avec la création d'un diplôme unique avec l'ECAM Strasbourg. Ensuite, nous avons eu des discussions avec nos partenaires, les 2 autres écoles ECAM, mais cela est rendu difficile avec les Comue. Les écosystèmes changent. Demander à une école de perdre sa personnalité morale n'est pas simple. Les formes d'intégration sont devenues plus compliquées. Nous l'avons vu avec l'école CPE Lyon et les Mines de Saint-Etienne dont le rapprochement n'a pu se faire ou encore avec les difficultés du rapprochement entre GEM et emlyon.

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Tout rapprochement est plus difficile qu'il n'y paraît. Les modèles intégrés ne font plus rêver. Chacun revendique une part d'autonomie et d'apport de valeur ajoutée. Nombreuses fusions ont été des échecs comme nous le voyons également dans le monde de l'entreprise. Dans l'enseignement supérieur, il faut privilégier les passerelles. Revendiquons plutôt une stratégie d'alliance avec des universités et écoles européennes plutôt que des fusions.

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"Nous sommes un groupe de taille moyenne conscient de la nécessité de nous développer", aviez-vous indiqué en 2015. Visibilité et attractivité sont-ils les deux objectifs à mener de concert pour votre école notamment sur la scène internationale ?

Quand certaines écoles revendiquent 150 ou 200 accords avec des établissements internationaux, combien sont réellement actifs ? Généralement, la moitié ? Beaucoup de communication qui impacte favorablement leur classement. A l'ECAM Lyon, nous disposons de 60 accords et tous sont actifs. Nous nous y engageons.

En revanche, je reconnais que les grandes écoles, notamment les écoles de management, sont très fortes sur le développement de leur marque. C'est un domaine que nous n'avions pas encore suffisamment investi mais sur lequel nous travaillons aujourd'hui. A nous de nous faire connaître, de nous déplacer partout où nous avons des partenaires. A nous également, d'être présents activement sur internet. Nous manquons de visibilité et des moyens qui vont avec. Notre budget de dix millions d'euros nous permet de faire ce que nous entreprenons, mais il nous faudrait 20 % de budget supplémentaire pour pouvoir enclencher la phase supérieure de reconnaissance de l'école. Nous avons commencé à entreprendre des actions.

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L'objectif de 2016 était d'être présent sur les réseaux sociaux, 2017 sera celle de l'accélération. Nous n'avions jamais travaillé sur ces canaux de communication, mais il n'est pas rédhibitoire de le faire maintenant. N'oublions pas également que le critère "agilité-réactivité" est aujourd'hui une force dans le monde actuel et la façon dont les jeunes voient la société. Ces critères qui sont les nôtres sont des atouts pour rendre attractive notre école.

Un autre grand chantier de l'école est le développement de l'entrepreneuriat. Quelles relations entretenez-vous et développez-vous avec les grands groupes et les PME ?

Dans le développement de l'école, les deux sont importants. Même si elle n'a pas les capacités financières d'un grand groupe, la richesse d'une PME réside dans son agilité et dans sa réactivité. C'est ce que nous sommes. Et nous avons la capacité de discuter avec des grands groupes, car nous pouvons réunir rapidement les interlocuteurs experts dans leur domaine. Pour cela, nous avons créé "ECAM expert" qui permet la commercialisation de nos savoir-faire, dont le chiffre d'affaires passe de 500 000 euros l'an dernier à 1,8 million cette année.

Avec notre incubateur, intégré à l'écosystème lyonnais, nous donnons aussi les outils pour le développement de startups. Des jeunes entreprises dans lesquelles nous avons pris des participations à hauteur de 5 % avec effet de levier qui s'en suit. Nos startups, notre dynamique entrepreneuriale, notre incubateur contribueront demain à notre croissance.

École catholique d'arts et métiers, votre établissement peut être assimilé, pour certains encore, à un établissement régi par le diocèse. Est-ce le cas ? Est-ce un handicap aussi ?

Nous ne sommes pas sous tutelle diocésaine. Je n'ai pas de lettre de mission de l'Évêque. La raison étant que nous sommes une fondation reconnue d'utilité publique. De plus, nous avons été créés par des Frères qui portent un projet éducatif et ne revendiquent pas la même chose. Nous sommes laïcs avant tout et sans doute moins dogmatiques sur certains sujets que des établissements publics. Nous sommes fiers de nos valeurs premières, profondément humanistes. Mon crédo : un jeune qui vient ici doit être heureux. Quant au terme catholique, je ne pense pas qu'il fasse fuir les étudiants !

En février dernier, l'Université de Lyon obtenait, dans la douleur et après deux échecs, le label Idex. Comment analysez-vous cette obtention ?

C'est une très belle réussite pour Lyon et pour tous les établissements associés ou fondateurs. L'ECAM Lyon a soutenu à la hauteur de ses moyens et dès les premiers jours cette initiative qui est une nécessité pour la visibilité de l'enseignement supérieur stéphano-lyonnais et ses 140 000 étudiants.

Le site lyonnais est riche de sa diversité, mais aussi très complexe. Il aura donc fallu du temps pour que chacun puisse faire valider en interne son choix structurant pour son avenir. Mais cette multiplicité a aussi ses inconvénients. Ce n'est pas un échec de ne pas avoir eu la labellisation la première ni la seconde fois : il aura été nécessaire de prendre le temps de discuter afin de trouver la formule qui convienne au plus grand nombre. Autrement, nous serions passés à côté.

Idex

L'ECAM Lyon est un plus petit acteur face aux plus grandes écoles, et universités. Quel a été tout de même son rôle dans cette labialisation, en tant que membre associé ?

Nous n'étions pas dans le premier cercle, mais avons été la première école à envoyer un courrier de soutien et d'appartenance à la Comue, en tant qu'école privée il y a deux ans. Nous soutenons ce projet depuis le départ. Notre statut fait que nous souhaitons conserver une autonomie, de choix et d'orientation, car la richesse des systèmes fait que chacun peut y contribuer. Nous contribuons au projet, tout en conservant notre autonomie, ce que permet le statut de membre associé. Si nous avions été membre fondateur, je pense que nous aurions perdu une partie de la singularité de notre école fondée en 1900 avec un projet éducatif centré sur les jeunes. Nous sommes donc complémentaires aux autres établissements dans cet ensemble.

Cette décision a-t-elle été bien acceptée par les autres directeurs d'établissements ?

Oui, car une gestion des gros sites est déjà compliquée en soi, alors si vous ajoutez des petits établissements autour qui revendiquent chacun une part du gâteau, cela devient ingérable. Il vaut mieux entreprendre ce qui a été fait avec les principaux porteurs du projet et ensuite qu'ils acceptent de nous considérer comme un élément complémentaire et contributeur, à notre juste place.

En 2025, votre plan stratégique aura été mis en œuvre. Comment imagineriez-vous l'école à cette époque ?

Nous aurons un campus résolument international avec 30 % d'étudiants étrangers en permanence. Un campus au cœur d'une ville, avec cette volonté d'ouverture sur notre territoire, avec un dispositif entrepreneurial performant. J'imagine qu'en 2025, nous serons intégrés à un nouveau classement d'écoles prenant en compte la qualité pédagogique-éducative, que je revendique depuis longtemps, avec des critères différents de ceux actuels.

Quoi que nous en pensions, nous savons que les classements sont des vitrines. Seulement, je milite pour un classement mieux équilibré. Actuellement, ils se concentrent trop sur la recherche fondamentale et pas assez sur les critères d'enseignement. A nous de convaincre les médias.  Et puis notre école répondra aux attentes des nouvelles générations entrantes axées sur le numérique, le travail collaboratif, la créativité. Notre école saura aussi maintenir un développement axé sur la technologie au service de nos entreprises et de nos concitoyens.

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