Philippe Brun (SergeFerrari) : "L'économie de la mer est le sujet des 10 prochaines années"

Le directeur délégué du fabricant isérois de matériaux composites, une ETI de 730 salariés (158,5 M€ de chiffre d'affaires en 2016), vise l'équilibre financier de l'activité recyclage à l'horizon de 3 ans. Il évoque les ambitions de l'industriel dans le maritime où il a pris une première position dans les cages étanches pour l'élevage de poissons. L'entreprise n'entend pas renoncer au solaire et a noué un partenariat avec CEA Tech.

Acteurs de l'économie - La Tribune. SergeFerrari Group évolue dans un secteur très concurrentiel, celui du textile technique et des composites. Quelle spécificité le groupe met-il en avant vis-à vis-de ses clients ?

Philippe Brun. Nous sommes une petite entreprise européenne en mesure d'aller vers de grands clients mondiaux de par notre capacité d'innovation. Nous proposons des produits uniques dans les univers de l'architecture, de l'industrie et le grand public. Des produits qui cumulent légèreté, durabilité et facilité de construction et de déconstruction.

Or, dans toutes les opérations immobilières la phase d'instruction est longue mais l'étape édification, proprement dite, s'est raccourcie. Il faut accélérer la réalisation. Des matériaux comme les nôtres y concourent. Je citerai la toiture extérieure du stade de l'Olympique Lyonnais exécutée en huit semaines. Recourir à l'acier, au ciment, ou au verre aurait pris plus de temps pour quelque chose de plus lourd. De plus notre solution n'a coûté que 450 000 euros sur une enveloppe globale de 450 millions pour l'enceinte.  Pour la Coupe du monde de football en Russie, qui se déroulera en juin et juillet 2018, nous livrerons la couverture de deux stades. Puis viendra le tour du Qatar. Ces contrats représentent une petite partie de notre chiffre d'affaires mais ils contribuent à notre visibilité.

Le fait que GL Events, leader mondial de l'événementiel, soit lyonnais, vous aide-t-il ?

Ce n'est pas un client direct. Nous vendons à des confectionneurs. Mais nous avons une grande proximité avec le management de GL Events pour connaître ce dont ils ont besoin.

Toutes vos usines sont localisées en France, Suisse et Italie. Comment parvenez-vous à être compétitifs face à des concurrents dans des pays à faible coût de main-d'œuvre ? Lors de la présentation de votre projet d'entrée en Bourse vous évoquiez une possible usine en Asie. Est-ce toujours d'actualité ?

Nos spécialités s'adressent à des segments de niche et des petits volumes. Nos produits coûtent entre 5 et 6 euros le mètre carré contre 50 centimes pour ceux qui viennent de Chine. Toutefois, il n'est pas possible, par exemple, d'utiliser des produits standard pour l'architecture. Les nôtres sont homologués dans le monde entier. Nos équipes travaillent en 3 x 8 et parfois 7 jours sur 7. Nos gammes sont étendues et nos opérateurs doivent être bien formés pour effectuer les réglages adaptés à chacune. Ce n'est qu'un an et demi après avoir été recrutés que nous les laissons prendre leurs fonctions, seuls. Et nous avons notre propre école interne.

 Votre présence en Asie ?

Elle s'est concrétisée avec la création d'une filiale à Shanghai, en janvier 2017. L'équipe se compose de 15 personnes et d'un stock disponible pour le marché local et la zone limitrophe. En Inde nous avons 10 personnes à Delhi qui nous apportent la connaissance des clients finaux. Nous donnons de l'autonomie à ces entités mais en contrepartie nous avons mis en place un contrôle rigoureux.

En 2008 Serge Ferrari a finalisé son procédé "Texyloop" pouvant recycler 100 % des matériaux composites usagés. Ce, au sein de la société Vinyloop Ferrara basée en Italie dont vous détenez 40 % du capital aux côtés de Ineos. Seriez vous partis seuls dans cette aventure ? Le plus gros challenge n'est pas technologique mais économique. Quand visez-vous l'équilibre financier ?

Nous avons investi 17 millions d'euros, en tout. Et je me référerai à ce que défendait, à l'époque, Sébastien Ferrari (Ndlr PDG) : "Heureusement que l'entreprise est familiale, sinon elle n'aurait jamais pu consacrer cette somme à un tel projet". C'était une nécessité. Dans les années 2000 les organisations gouvernementales ont mené combat pour que les produits utilisés dans les infrastructures lors des grands événements mondiaux puissent être recyclés. Une exigence qui, à l'époque, était antagoniste avec nos textiles et autres matériaux. Si nous avons emporté le marché du toit de la piscine des JO de Londres en 2012 c'est pour notre capacité à relever ce défi.

Mais nous ne pouvions pas nous lancer seuls dans l'aventure du recyclage. On est dans le domaine du génie chimique. Solvay, à l'époque, et Ineos aujourd'hui, sont des spécialistes, et ce dernier est l'opérateur du site de Ferrara classé Seveso. Nous y disposons d'une capacité de 1 000 tonnes, pour nous, et les fibres obtenues retrouvent une nouvelle vie dans les toitures végétalisées. Notre propos n'est pas de gagner de l'argent mais d'atteindre l'équilibre financier d'ici à trois ans. Aujourd'hui cela nous coûte 2 millions d'euros. Le prix bas des matières premières ne nous favorise pas, qu'il s'agisse du pétrole ou du PVC. Par ailleurs, nous n'avons obtenu ni abattement de TVA, ni avantage fiscal, ni subside européen. Nous réfléchissons à la manière d'associer nos clients, confectionneurs installateurs.

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En 2013, au terme de cinq années de recherche vous avez mis sur le marché "Texy Solar" une membrane souple et légère qui produit de l'électricité. Les commandes sont-elles à la hauteur de vos espérances ?

Non, c'est moins de 1 % de notre chiffre d'affaires. Aujourd'hui, la capacité de production de ce système est faible, de quoi fournir un peu de lumière et alimenter un réfrigérateur pour des tentes d'hospitalité. Dans la phase amont nous avons pu coopérer avec des fabricants de panneaux solaires principalement américains. Et puis en 2016 nous avons signé un partenariat de 5 ans avec le CEA Tech qui nous donne accès aux technologies existantes afin de tester si cela a du sens de les inclure pour accroître la puissance énergétique de nos tissus. Nous ne voulons pas lâcher prise.

Qu'en-est-il des cages étanches pour l'élevage des poissons ?

Ce débouché représente un potentiel fantastique. La première cage a été installée en Norvège et nous visons entre 3 et 5 commandes par an. Les poissons apportent la seule protéine qui ne génère pas d'effet de serre. Toutefois on ne peut pas les élever n'importe où, on les vaccine et leur déjection pollue les fonds. La cage étanche pallie ces inconvénients puisque tout est récupéré. Au fabricant suédois, dont je ne dévoilerai pas l'identité, nous fournissons les matériaux, plusieurs mètres carrés, pour les parois. Les utilisateurs sont les gros poissonniers.

Les premières réflexions remontent à cinq ans. La mer est un vrai sujet pour les dix prochaines années. Nous pensons que nos matériaux souples et résistants sont promis à un bel avenir. Nous menons des travaux pour les adapter aux demandes de clients potentiels. Nous avons des contacts avec la DCNS (Ndlr, leader de l'industrie navale).

Combien de brevets déposez-vous par an ?

Aujourd'hui nous ne souhaitons pas trop déposer de brevets pour ne pas attirer l'attention. Et tout doit être décrit par le menu. Notre portefeuille en totalise une trentaine d'actifs, et nous en avons déposé deux ou trois l'an dernier. Pour le Précontraint, notre technologie d'origine brevetée en 1973, nous gardons secrètes les améliorations successives. Bien sûr nous sommes copiés mais nous ne faisons pas une veille systématique comme c'est le cas dans les métiers du luxe.

Le plan stratégique 2020 que vous avez présenté fin mars dernier prévoit une accélération de la croissance organique à compter du 2ème semestre 2017, maintenez vous cette perspective ?

Les 1er et 2ème trimestres 2016 ont connu une forte croissance. En contrepartie, le 1er trimestre 2017 a connu une plus faible progression. A partir du 2ème semestre nous espérons retrouver un rythme plus soutenu, supérieur au moins à 5 %. Nous capitalisons sur la croissance interne sachant que notre présence en Bourse nous donne de la visibilité.

On vient nous proposer des acquisitions. Quand il y a des opportunités intelligentes nous les saisissons. Nous avons repris en janvier dernier Ferrateks, distributeur turc de matériaux composites et accessoires, qui emploie 5 salariés dans ce pays où nous vendons de l'architecture tendue et de la protection solaire. Précédemment nous avions acquis 51 % de Giofex Group à Milan, distributeur pour l'Europe. Et nous n'hésiterons à en acheter d'autres distributeurs mais aussi des acteurs qui nous apporteraient des savoir-faire complémentaires, en matière d'accessoires :  mâts d'arrimage, par exemple.

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Maintenez vous l'objectif d'atteindre 215 millions d'euros de revenus en 2019 comme annoncé lors de votre introduction en bourse, en 2014 ? Et 15 % d'Ebitda ?

En 2014 lorsque nous avancions ces perspectives nous étions dans un environnement différent. Ces objectifs sont caducs. Nous avons priorisé nos actions. Ainsi, nous avons remis à l'ordre du jour la question du BFR (besoin en fonds de roulement) que nous voulons diminuer. Il représente 35  % de notre chiffre d'affaires. Pour ce faire il nous faut réduire nos stocks mais, dans le même temps, nous devons être plus rapides dans la fabrication. L'offre immédiatement disponible doit se limiter aux coloris de base : blanc, noir et gris. Par ailleurs, l'objectif d'un Ebitda à 15 % est conservé à long terme.

Comment se présente le marché ?

Il est favorable. L'immobilier repart. Et un vrai potentiel de conquête s'offre en matière d'applications nouvelles pour substituer nos matériaux à d'autres. Pour faire face à la demande nous allons investir 30 millions d'euros dans notre site de la Tour du Pin (350 collaborateurs) en nous équipant d'une ligne d'enduction supplémentaire. Les études ont commencé pour une réalisation en 2018. Cette opération est autofinancée et nous disposons également de lignes de crédits négociées avec nos banques et non utilisées.


Serge Ferrari SAS en chiffres.
Créée en 1973 l'entreprise a publié 158,5 millions d'euros de chiffre d'affaires, 7,08 millions de résultat opérationnel et 4,279 millions de bénéfice net part du groupe, en 2016. Il emploie 730 salariés dont 426 en production (4 sites) et logistique. Une production annuelle de 15.000 à 20 .000 tonnes de toiles produites livrées sous forme de bobines.

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