Samuel Frugier (LCL)   : "Notre banque est attaquée de toutes parts"

A l'instar des autres acteurs du secteur bancaire, LCL doit faire face à la montée en puissance du digital et à la problématique des taux bas. Ces deux défis le forcent à une transformation en profondeur dans le cadre d'un plan baptisé "Centricité clients". Samuel Frugier, directeur du réseau Rhône-Alpes-Auvergne qui représente 2 000 collaborateurs et 235 agences, dévoile la stratégie du groupe alors que la banque traverse une zone de turbulences, marquée par des pertes au troisième trimestre 2016.

Acteurs de l'économie - La Tribune. Lors de votre arrivée chez LCL Rhône-Alpes-Auvergne en juin 2015, l'engagement avait été pris de visiter l'ensemble des agences du réseau dont vous avez la responsabilité. Où en êtes-vous ?

Samuel Frugier. Je l'ai dit et c'est une promesse que je tiendrai. Je n'ai pas encore fini mon tour, mais j'ai déjà visité toutes les agences d'Auvergne, de l'Ain et des Savoie. Pour ce qui est de la métropole de Lyon, il me reste à visiter un tiers des établissements de ce territoire sur lequel nous employons près de 1 000 personnes. Pour votre information, sur mon précédent poste, j'avais mis trois ans alors que les agences étaient moins nombreuses.

Pourquoi avez-vous mis un point d'honneur à faire ce tour ?

Pour bien assimiler son dispositif, il faut le connaître de manière intime. Il faut aussi se rendre physiquement sur place afin d'appréhender l'espace de vente, et surtout pour y rencontrer les équipes. À leur contact, nous pouvons faire remonter les problématiques de nos clients. En restant dans mon bureau, j'entends uniquement ce qu'il se passe de positif. Enfin, j'apprécie tout simplement aller à la rencontre de nos collaborateurs dans le réseau.

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Hall d'accueil du siège de LCL à Lyon. (crédits : DR)

Les résultats financiers de LCL n'ont pas été très bons ces derniers mois, accusant même des pertes au 3e trimestre 2016. Le Crédit Agricole SA, auquel appartient votre banque, a ainsi été obligé de déprécier LCL de 491 millions d'euros dans les comptes consolidés 2016. LCL est-il en difficulté ?

Pour ce qui est de la dépréciation du good will dont vous faites mention, c'est une opération comptable qui a son importance - je ne vais pas le nier - mais elle n'impacte pas le fonctionnement de LCL au quotidien. Elle a vocation à acter dans les comptes le fait qu'entre la configuration de la banque avec des taux à 7 ou 8 % en 2003 et la configuration d'une banque de détail aujourd'hui avec des taux sous la barre des 1 %, le schéma économique n'est plus du tout le même.

Quant à la situation de LCL, je ne peux pas dévoiler les chiffres du premier trimestre 2017 qui seront publiés début mai. Mais au regard des fondamentaux économiques de l'année précédente, LCL représente plus de 3,4 milliards d'euros de chiffres d'affaires et de façon récurrente, un peu plus de 500 millions d'euros de résultat. Il n'y a pas de sujet de liquidité : nous avons suffisamment de collecte et de capacité d'emprunt. Nos fonds propres sont suffisamment dimensionnés pour répondre aux exigences réglementaires. Enfin, notre rentabilité sur fonds propres est l'une des plus élevées du groupe.

Il n'y a pas de sujet spécifique chez LCL aujourd'hui. En revanche, nous sommes confrontés aux mêmes défis que l'ensemble des autres banques de détail en France : le défi des taux bas.

Justement, comment anticipez-vous l'évolution de ces taux ? Un frémissement semble être à l'oeuvre...

Beaucoup de choses sont entendues à ce sujet. Personnellement, je ne crois pas à une hausse violente et durable des taux. Je pense qu'il peut y avoir une remontée douce, ce qui est une bonne chose d'ailleurs, car pour moi les taux bas sont la conséquence d'une économie un peu atone. Pour autant, je pense que l'on restera globalement dans un contexte de taux bas pendant encore quelques temps.

Si votre analyse s'avère exacte, c'est un défi pour votre organisation...

C'est un défi de chiffre d'affaires, d'efficacité financière et commerciale ou encore de productivité. Les taux bas nous touchent au moins à trois niveaux : ils relèvent l'intensité concurrentielle ; ils valorisent moins la collecte ; enfin ils posent le problème des renégociations de crédits. Notre stratégie sur ce dernier point est de ne pas laisser partir nos clients, nous cherchons donc à travailler des solutions gagnant-gagnant. Chaque renégociation de prêt représente un gain de pouvoir d'achat en plus pour le ménage emprunteur. En contrepartie, nous essayons d'en profiter pour valoriser notre palette de solutions.

L'autre défi majeur auquel vous êtes confrontés est celui du numérique. Le groupe Crédit Agricole, dont LCL fait partie, a lancé un plan "Ambition Stratégique 2020" pour y faire face. Comment y contribuez-vous ?

Le plan "Ambition stratégique 2020" est la stratégie à moyen terme du groupe, qui se décline au sein de LCL : "Centricité clients". Il vise à faire de LCL la banque relationnelle et digitale de référence en ville. Cela ne veut pas dire que nous ne serons plus présents dans les campagnes. L'ancrage citadin reflète notre histoire, nos positions en ville sont donc les plus fortes.

L'objectif est-il de jouer la complémentarité avec le Crédit Agricole, qui est très présent dans les territoires ruraux ?

Je constate que nous sommes plus en complémentarité qu'en opposition, et que le fait d'avoir deux marques nous permet d'avoir un éventail client beaucoup plus large. Pour autant, le groupe a voulu deux réseaux concurrents. C'est une concurrence saine, qui engendre une émulation.

Le plan va tendre à amoindrir cette concurrence...

Je ne pense pas. Dans le plan "Centricité clients", comme tous les acteurs du secteur, nous "poussons" le digital, nous élargissons les horaires d'accès à un conseiller spécialisé, et nous faisons en sorte que nos agences deviennent multicanales. Le client doit avoir le choix entre utiliser son smartphone, acheter en ligne ou aller en rendez-vous physique. Cela représente des investissements importants - de l'ordre de 450 millions d'euros au niveau national - qui regroupent l'équipement digital, la rénovation des agences et l'accompagnement RH pour l'ensemble de ces transformations.

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La façade du siège historique de LCL fondé en 1863 à Lyon. (crédits : DR)

Ce plan permettra aussi de faire des économies. LCL prévoit ainsi près de 800 suppressions de postes et la fermeture de 250 agences d'ici 2018 au niveau national. Quels seront l'investissement consenti et l'impact social de "Centricité clients" à l'échelle régionale ?

Le plan "Centricité clients" n'est pas un projet productiviste. C'est avant tout un projet "client". Mais dans le contexte de profonde mutation du secteur bancaire, toute entreprise est obligée de se réorganiser dans son fonctionnement et de chercher davantage d'efficacité. Donc effectivement, nous devons nous aussi augmenter notre productivité. Ce n'est pas simplement une question de regroupement d'agences. Il s'agit de revisiter les modes de fonctionnement pour passer moins de temps sur les tâches à faible valeur ajoutée, et recentrer le rôle du banquier sur sa mission essentielle : le conseil.

S'agissant des investissements, nous ne communiquons pas les montants au niveau local, car cela n'a pas véritablement de sens, chaque réseau ayant ses propres caractéristiques. Ce qu'il faut retenir, c'est que globalement, notre périmètre représente 10 % de la banque.

Enfin, pour ce qui est du réseau d'agences et des postes, la situation a fortement évolué. La fréquentation des agences est en baisse. Je préfère donc avoir une agence rénovée et connectée avec neuf collaborateurs, permettant de déployer toute notre offre, que trois petites agences de trois collaborateurs à proximité les unes des autres. Le sens de l'évolution de notre réseau, c'est ça : concentrer de la valeur dans de plus grosses "boutiques". Nous garderons cependant sur notre périmètre un réseau de plus de 200 agences. Les regroupements auront principalement lieu sur Lyon (NDLR : 5 à 6 agences) et sur d'autres villes, à quelques exceptions près.

Quels impacts ces regroupements auront-ils sur les postes ?

En ce qui concerne notre région, l'effort a déjà été fait au début de la mise en place du plan il y a trois ans. Notre effectif est peu ou prou stabilisé. S'agissant du plan "simplification de la banque", il ne s'agit pas de licenciements contraints, les postes visés le sont principalement dans les fonctions support de clients qui sont basées au siège national à Villejuif. À terme, l'ambition est de simplifier le fonctionnement de nos services.

La concurrence des nouveaux arrivants - Orange, Apple, Google, peut-être Free... - et des pure-player, vous amène-t-elle à penser que la banque doit élargir son offre de services ?

Je crois qu'il ne faut pas casser ce qui fait la valeur de la banque, c'est-à-dire son statut de tiers de confiance. Nous devons continuer à nous appuyer sur notre savoir-faire. Mais nous devons également chercher à développer d'autres sources de revenus complémentaires. Notre cœur de métier reste tout de même la collecte de l'épargne, pour ensuite financer l'économie réelle. C'est aussi de proposer nos solutions à nos clients - étudiants, retraités, actifs, famille, etc. - lors des moments heureux ou difficiles de leurs vies.

Il ne faut pas pour autant négliger la menace d'acteurs alternatifs. Nous sommes attaqués de toutes parts sur nos expertises comme sur la tenue d'un compte bancaire. Si nous avons déjà pris un peu d'avance, il faut que nous fassions la différence sur le relationnel. Le digital ne fait pas tout. Mais ce n'est que ma conviction. Je ne prédis pas l'avenir.

C'est un peu le sens du concept 18 LCL à Lyon et 19 LCL à Paris...

Ce sont deux cas particuliers. Pour ce qui est du 18 LCL, il s'agit du siège social historique de la banque qui abrite aujourd'hui la direction de réseau Rhône-Alpes-Auvergne. C'est un bâtiment traditionnel que l'on souhaite connecté et ouvert à nos clients et partenaires, mais aussi au grand public. En le rénovant, nous avons voulu en faire un lieu de vie. Pour nos salariés, c'est l'opportunité de travailler différemment, en favorisant notamment le partage.

Après un an d'utilisation, nous avons des retours plutôt positifs quant à son usage. Petit à petit, nous souhaitons transposer cette manière de travailler dans les nouveaux concepts d'agences.

Le 18 LCL servira donc de modèle pour la rénovation des prochaines agences ?

On peut s'en inspirer. Le 18 sera un modèle. En revanche, toutes nos agences ne sont pas configurées comme le 18 LCL qui est un bâtiment exceptionnel.

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Le 18 LCL, un nouveau concept d'agence déployé au sein du siège régional Rhône-Alpes-Auvergne. (crédits : DR)

Le développement de l'intelligence artificielle (IA) est observé de très près par nombre de vos concurrents. Où en êtes-vous sur ce sujet ?

Si on est jusqu'au-boutiste, d'aucuns diraient qu'il n'y aura bientôt plus besoin de conseillers de clientèle au service de nos clients. Je ne pense pas que ce soit la bonne piste. En revanche, l'IA en tant qu'assistant d'un opérateur, pourquoi pas. Là-dessus, nous avons des projets, notamment pour les fonctions supports de clients.

À quelle échéance pourraient aboutir ces projets ?

Il est trop tôt pour vous le dire aujourd'hui.

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Suite à cette interview, la section LCL du syndicat FO, relayé par Mediapart, a fait état de "risques psychosociaux préoccupants" dans le cadre de la mise en place du plan "Centricité clients" au niveau national. Interrogée, la direction de LCL a déclaré : "LCL met tout en œuvre pour que les conditions de travail dans lesquels évoluent ses collaborateurs soient les meilleures".

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