Antoine de Riedmatten (In Extenso) : "L'interprofessionnalité pourrait se généraliser rapidement"

A l'heure de la déréglementation et des transformations des métiers du chiffre et du droit, les professionnels tentent de répondre aux évolutions en anticipant et s’organisant. Le cabinet d'expertise-comptable lyonnais In Extenso (Deloitte) s'y emploie depuis un an avec la création d’une branche avocat en son sein. Son directeur, Antoine de Riedmatten, croit ainsi à la "généralisation" de l’interprofessionnalité "d’ici cinq ans" avec le regroupement, en un même lieu, d’experts-comptables, avocats, huissiers, et de notaires.
(Crédits : Jean Jacques Raynal)

Acteurs de l'économie-La Tribune. En juin 2016, vous inauguriez le nouveau siège social d'In Extenso dans le quartier de la Confluence à Lyon. Un site qui représente bien plus qu'un projet immobilier selon vous puisqu'il s'inscrit dans la stratégie de l'entreprise. Expliquez-nous.

Antoine de Riedmatten. Ces locaux durables et de nouvelle génération agissent comme une vitrine et prouvent que l'innovation est l'une de nos priorités. De plus, nous constatons que c'est l'un des meilleurs vecteurs de communication qu'il soit, notamment lorsqu'il s'agit de recruter. Le cadre de travail est en effet un argument pour attirer les futurs collaborateurs.

Ce nouveau bâtiment reflète donc notre philosophie que nous transmettons partout sur le territoire auprès de nos 4 700 salariés répartis sur nos 220 sites. Alors que nous sommes un groupe aux 370 millions d'euros de chiffre d'affaires, nous voulons conserver cet esprit d'innovation et d'entreprise à taille humaine.

Avec plusieurs milliers de personnes, de quelle manière parvenez-vous à conserver cet état d'esprit ? Quelle stratégie avez-vous mise en place pour y parvenir ?

Notre nouveau siège coïncide avec la transformation et l'évolution de la politique RH du groupe. C'est de notre responsabilité [la direction] de le faire vis-à-vis de nos collaborateurs. Avec les changements de génération et les nouveaux rapports au travail, l'employeur a aussi le devoir de s'engager pour permettre aux collaborateurs de s'épanouir et faire carrière. C'est pourquoi, nous avons souhaité la clarifier en la redéfinissant.

Ces dernières années, nous avons fait beaucoup de croissance externe, élargissant alors les populations. Conséquence : nous avons perdu, entre autres, de la lisibilité sur le parcours personnel du collaborateur. Pour aller plus loin, nous avons par ailleurs lancé un baromètre RH afin d'obtenir un retour sur les engagements entrepris auprès d'eux. Les résultats seront connus en ce début d'année et dès mars, nous mettrons un plan d'actions qui complétera l'actuel.

Le climat économique a été une nouvelle fois contrasté en 2016. Dans ce contexte quel bilan faites-vous de votre année écoulée ?

Sur le plan national, le secteur de l'expertise-comptable a été stable et suit l'économie du pays. Et avec un PNB qui augmente poussivement de 1 % par an, les croissances des entreprises du secteur ne sont pas très importantes. C'est pourquoi, lorsque nous réalisons 3 % de croissance interne, nous surperformons. Donc le bilan annuel est positif, conséquence des choix menés tout au long de l'année, qui privilégiaient de la croissance interne plutôt qu'externe.

Nous avons su aussi déployer des outils innovants, ce qui nous permet d'avancer sur le champ de la numérisation. Puis en intégrant le métier d'avocat, nous avons répondu à la fois à l'attente de cette population qui doit faire face à des transformations tant sur la déréglementation apportée par les lois Macron et Sapin, que sur l'évolution du comportement des clients. Et de notre côté, cela répond au besoin formulé par nos clients de disposer d'offres packagées composées de métiers différents mais complémentaires.

Cette activité intégrée à vos services représente quelle part de votre chiffre d'affaires ? Et qu'elle est votre ambition avec celle-ci ?

Nous serons sur une tendance en rythme annuel de 10 millions d'euros. Ce qui nous oblige encore à poursuivre le maillage territorial afin de pouvoir proposer cette activité sur les 12 régions.

Cette diversification est-elle une évolution inéluctable d'une entreprise d'expertise-comptable et, plus généralement, de la profession ?

Nous sommes sur des métiers réglementés qui, progressivement, seront déréglementés, ouvrant alors un très large champ des possibles. A l'heure actuelle, certains sont en voie d'ubérisation, nous obligeant à proposer des prestations à plus fortes valeurs ajoutées, ce qui permet de conserver encore les activités anciennes et donc nos clients. Dans ce climat, notre volonté est d'être numéro un sur la qualité de service. Ce qui nous demande à la fois d'avoir les bons outils, des collaborateurs motivés et des offres différentes.

Le digital a modifié votre métier, dès lors de quelle manière parvenez-vous à anticiper ces transformations ?

L'expert-comptable avec son bureau rempli de classeurs, c'est terminé. Tous les documents sont aujourd'hui en ligne, accessibles depuis une tablette. Pour avoir un temps d'avance, et être sans cesse dans l'innovation, nous sommes devenus maître de nos outils informatiques, sur les produits de production comptable ou de paie notamment, afin de ne pas être dépendant des éditeurs.

Aussi, nous travaillons avec des startups sur des thèmes précis pour lesquelles elles proposent une solution performante. Dans ces conditions, nous avons été aussi amenés à revoir notre politique RH, qui s'inscrivait dans une logique pyramidale et hiérarchique comme beaucoup, en la faisant évoluer vers plus de travail collaboratif et de décloisonnement.

Craignez-vous l'uberisation de la profession ?

Le terme ubérisation ne correspond pas à la réelle innovation qu'apporte Uber. Fondamentalement, Uber a su développer un modèle améliorant la qualité de service. Avec celui-ci vous êtes un vrai client, dans un taxi, un passager. Certes, la dimension prix est importante, mais le service l'est tout autant.

Donc pour le moment, sur le marché de l'expertise-comptable, il n'y a pas de menaces d'une ubérisation générale sur l'aspect de l'expérience client avec de nouveaux acteurs qui viendraient bouleverser le marché. Le processus d'uberisation est cependant en cours et est inéluctable. En revanche, il n'est pas brutal, et ne se produit pas du jour au lendemain. Cette inertie fait que nous restons sur un certain nombre de grandes tendances. Néanmoins, nous ne savons pas jusqu'à quand elles le demeureront.

Imaginez-vous que cela puisse arriver un jour ?

Sur la qualité de service non. Le modèle de l'expert-comptable repose sur la proximité avec le client. Il est en quelque sorte votre confesseur et ce n'est pas un ordinateur qui va le remplacer.

Au-delà de l'ubérisation et de la digitalisation, quels bouleversements le secteur va-t-il connaître ?

L'interprofessionnalité sera sans doute généralisée assez rapidement d'ici cinq ans. Nous verrons ainsi, sous le même toit, le regroupement des experts-comptables avec des avocats, et peut-être des huissiers, voire des notaires, si demain, ces professions sont déréglementées. Soit toutes celles en contact avec les patrons de TPE. Nous avons commencé à le faire, en nous inspirant des maisons médicales qui regroupent différents métiers. Cela générera des synergies, chacun restant maître de sa spécificité et de ses clients.

Comment imaginez-vous le métier demain ?

C'est une question à laquelle nous allons tenter de répondre en lançant notre plan stratégique qui sera présenté en septembre prochain. Mais dès à présent, je pense que l'évolution de l'automatisation va continuer et nous poussera à monter dans la chaîne de valeur ajoutée. Nous ne serons plus seulement les producteurs d'information mais ceux qui aiderons les patrons à analyser et à comprendre des chiffres, à prendre des décisions.

Et celui d'In Extenso ?

Nous sommes dans le top 4 avec Fiducial, KPMG et Cerfrance, et pourtant nous ne réalions que 3 % de parts de marché sur un secteur qui pèse entre 10 et 15 milliards d'euros. Donc si je double mon chiffre d'affaires, ce n'est pas cela qui sera transformant, et ce n'est pas mon but.

En revanche, je suis persuadé que nous pouvons faire la différence avec la qualité de service proposé. C'est pourquoi, je suis persuadé que demain, nous aurons un équivalent de Tripadvisor qui notera les professionnels. A partir de ce moment-là, la croissance sera une conséquence de ce classement et non le but premier. Ainsi, vous changez l'ordre des priorités : In Extenso doit d'abord miser et consolider sur sa qualité de service, de là, découlera de la croissance.

Après avoir mis en pause la croissance externe, allez-vous en réaliser à nouveau en 2017 ?

Nous allons effectivement recommencer, principalement sur les territoires où nous n'avons pas encore une taille suffisante.

Engagé dans un développement massif sur la France, vous avez annoncé recruter plus de 1 000 personnes sur 12 mois entre 2016 et 2017. Mais le métier d'expert-comptable a-t-il la cote auprès du jeune public ?

Le métier ne fait pas forcement rêver et c'est à nous, dans notre communication, de casser cette image. Nous recrutons des profils qui peuvent être à l'aise avec la technique, le commercial, le management, etc., soit une palette plus large que le simple comptable qui passe des écritures toute une journée. Nous aurons ainsi besoin de juristes, de personnes spécialisées en social, en informatique.

Puis, si nous souhaitons faire évoluer nos métiers, nous devons avoir des profils avec une personnalité, évolutifs et de plus en plus diplômés. De longues études jouent ainsi sur la capacité d'adaptation des gens. Elles vous amènent à apprendre des choses mais aussi à penser par vous-même.

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