Mohed Altrad : "Il faut supprimer les prud'hommes et tribunaux de commerce en France"

De passage à Clermont-Ferrand pour y donner une conférence, Mohed Altrad compte parmi les plus grandes fortunes françaises. En trente ans, son groupe de BTP, basé à Montpellier, est devenu leader sur le marché de la bétonnière, de l'échafaudage et de la brouette, réalisant un chiffre d’affaires d’1,9 milliard d’euros. Sacré Entrepreneur mondial de l'année 2015, ce Syrien d'origine, arrivé en France à l'âge de 15 ans avec seulement 200 francs en poche, raconte sa vision de l’entrepreneuriat en France, ses espoirs dans la jeunesse issue des quartiers et critique vigoureusement la lourdeur de l'actuel système français.
Mohed Altrad a été sacré Entrepreneur mondial de l'année 2015.

Acteurs de l'économie-La Tribune : Vous êtes sollicité en France et partout dans le monde. Quel message délivrez-vous lors de vos conférences ?

Mohed Altrad : Je considère qu'y répondre est un devoir. Je viens expliquer aux jeunes que, finalement, une entreprise n'existe pas en tant que tel. Elle est ancrée dans la société, dans la cité. Et pour la conduire, il y a des hommes et des femmes. Ce sont eux qui font sa richesse. Une évidence que l'on oublie souvent.

Vous avez reçu le prix de l'« Entrepreneur mondial de l'année » en juin 2015. Qu'est-ce qui a fait votre différence ?

Il faut d'abord connaître les circonstances dans lesquelles on le reçoit. Cinquante-six pays étaient en compétition, ce qui représentent 95 % de la richesse mondiale, avec le meilleur de chaque pays. Je ne m'attendais pas du tout à le remporter. Je ne vends que des produits banals : des bétonnières, des brouettes... Il n'y a rien de technologique. Pourtant, il faut savoir faire la différence par rapport aux concurrents.

Chez moi, la différence se crée grâce aux hommes. Sans les hommes, vous ne faites rien. J'ai commencé l'aventure il y a trente ans et j'ai la chance d'avoir trouvé le bon message à faire passer auprès de mes salariés pour qu'ils se sentent bien chez moi. Ensuite, il faut que les bonnes personnes occupent les bons postes.

Comment est née chez vous l'envie de bâtir un tel empire, le groupe Altrad ?

Je pense qu'il faut remonter aux blessures de l'enfance, à ma mère qui a été violée deux fois à l'âge de 12 ou 13 ans. La première fois pour donner naissance à mon frère, maltraité et tué par le père, et la deuxième fois pour me donner naissance.

Élevé par ma grand-mère, j'ai eu beaucoup de chance que le père ne veuille pas de moi. C'est un des moteurs qui m'a toujours fait avancer dans la vie pour progresser et porter le bien. Pour réaliser ce dessein, il faut engager un important travail sur soi-même et ce travail, je le fais tous les jours, à travers la réflexion, l'écriture (1) et les personnes que je rencontre.

Lire aussi : Plume de patrons, ces chefs d'entreprises écrivains

Votre groupe a doublé son chiffre d'affaires en l'espace de deux années, passant de 900 millions d'euros à 1,9 milliard. Quels sont vos objectifs désormais ?

L'objectif, c'est justement qu'il n'y en ait pas ! Je peux vous dire quel chiffre d'affaires je souhaite réaliser l'an prochain. Mais sur le plan de l'aventure humaine, il n'y a pas d'objectif chiffré. Ceci ne se quantifie pas. C'est une volonté collective, humaine, largement partagée.

Je ne sais pas combien de temps je vais encore vivre. Je n'ai pas d'horizon. Celui-ci recule au fur et à mesure que j'avance. J'aurai fait le maximum auprès des gens qui m'entourent : les proches, les fournisseurs et les clients. Aujourd'hui, il n'y a pas un chantier sur terre qui n'a pas de produits Altrad.

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Dans votre situation, votre principale force est-elle d'avoir su vous entourer des bonnes personnes ?

Pour gérer les 17 000 salariés du groupe, 25 personnes seulement composent mon équipe directionnelle. Je n'en veux pas plus. La raison ? Ce sont des gens motivés, jeunes, mus par l'envie de bien faire.

Chez moi, on pratique le "management collégial et interactif" avec une transparence totale. C'est une façon d'appréhender les hommes et d'établir de bonnes relations entre les salariés. J'entraîne des jeunes dans l'aventure pour les tirer vers le haut. Parfois l'on fait face à des échecs, mais il faut savoir les accepter.

Vous êtes Français d'origine syrienne. Quel regard portez-vous sur la situation actuelle ? Que vous inspire l'actualité du moment, notamment autour des migrants ?

Ce ne sont pas des migrants ! Ce sont des gens qui se trouvent dans une situation d'exode. Les immigrés partent volontairement d'un endroit à un autre. Ce n'est pas leur cas. Ils partent, car ils n'ont pas le choix. On détruit leur maison. On viole leur femme... C'est un exode !

Des 25 millions d'habitants en Syrie, 10 millions ont déjà fui le pays. Personnellement, je suis contre les quotas d'accueil des migrants, ils sont dérisoires et insuffisants. La seule chose que l'on puisse faire pour eux, c'est de les aider à rentrer chez eux. Libérer leurs villages pour qu'ils recommencent à vivre. Je l'ai expliqué à François Hollande lorsqu'il m'a reçu en juillet dernier à l'Élysée.

Que vous a-t-il répondu ?

On n'attend pas du Président de la République qu'il vous réponde. Il m'a écouté. Je lui ai dit que j'étais à sa disposition. Je suis un soldat. Mais les soldats, il ne faut pas les envoyer à la bataille sans les protéger. Il faut leur donner les moyens de gagner le combat.

Pourriez-vous vous engager en politique ?

Nécessairement, un chef d'entreprise fait de la politique à sa manière. La politique pour moi, c'est celui qui travaille pour le bien de la cité. Tous les chefs d'entreprise font cela, car ils embauchent, créent de la richesse, et la redistribuent. Donc, en ce sens, je fais de la politique. Le Président m'a d'ailleurs confié une mission, celle d'aller dans les quartiers pour faire découvrir l'entreprise.

Quelle sera la teneur de cette mission ?

En France, il existent 1 500 zones dans lesquelles habitent 11,5 millions d'habitants. Qui sont-ils ? La plupart des immigrés de première, deuxième, troisième génération. Si vous regardez d'encore plus près, 90 % sont Arabes. On constate également 70 % d'inactifs.

Le taux de chômage dans ces zones est le double de la moyenne nationale. Et dans le même temps, on y recense deux fois plus de créations d'entreprises qu'ailleurs, mais aussi trois fois plus d'échecs, car ces entrepreneurs ne possèdent pas les clés. Voilà la réalité des quartiers. C'est l'une des raisons qui poussent certains jeunes à faire le djihad en Syrie.

Le challenge est là : aider ces zones difficiles. Avec quels moyens ? Un marché. Le plus difficile, c'est de toucher "le client". Je sais qu'il y en a 11,5 millions potentiels. Il faut alors leur proposer "un produit", c'est-à-dire former cette population, l'informer et la financer.

C'est ce que nous avons convenu avec le Président de la République. L'État dépense chaque année 2,7 milliards d'euros dans ces quartiers. Néanmoins l'argent ne va pas au bon endroit. Il n'y a pas d'autres solutions que d'aller dans ces quartiers et de leur proposer de construire quelque chose.

Mohed Altrad est le 1er Français à décrocher le trophée mondial  EY

La croissance économique française stagne inlassablement ces dernières années même si des signes de reprise sont mesurables. Selon vous, quelles sont les raisons ? Un Code du travail contraignant, par exemple ?

C'est tout simplement une catastrophe ! Le Code du travail est une pile de plusieurs mètres de documents. Il faut revoir tout cela. Je voyage beaucoup, et la France est, par exemple, le seul pays où il y a des prud'hommes et des tribunaux de commerce. Il faut arrêter tout cela ! S'il y a du travail, alors on embauche. S'il n'y en a plus, on doit pouvoir le dire sans en faire un drame.

Un chef d'entreprise ne cherche qu'une chose : de l'activité pour réaliser du chiffre d'affaires et embaucher. Donc laissez-le faire ! C'est dans l'entreprise que la richesse est produite. La France crée, d'une année à l'autre, davantage de richesses. Mais parallèlement, davantage de chômage, de dette et de pauvreté. Si vous appliquez cela à une entreprise, elle déposera le bilan !

De qui vous inspirez-vous ? Quels sont vos modèles ?

Je n'ai pas de modèle. J'ai un parcours d'homme parmi les hommes. Mais j'aurai souhaité rencontrer deux personnes dans ma vie, malheureusement décédées : Nelson Mandela et le pape Jean-Paul II.

J'ai pu en revanche rencontrer Barack Obama, à Nairobi, l'été dernier, lorsqu'il m'y a convié. Un premier président noir pour la première puissance mondiale, c'est un symbole pour l'humanité. Mon objectif, c'est d'apporter ma goutte d'eau à cette humanité. Et je suis en train de réaliser ce rêve.

(1) Mohed Altrad est également romancier. Il a raconté sa vie dans Badawi, roman inspiré de son parcours (Edition Babel).

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Commentaires 10
à écrit le 04/02/2016 à 21:33
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Enfin, si tant de Syriens fuient aujourd'hui vers l'Europe et la France, ce n'est quand même pas pour l'attractivité des tribunaux de commerce et des conseils de prud'hommes, bon évidemment, hein ? Mais alors, voudraient-ils nous aider à procéder aux...

à écrit le 04/02/2016 à 18:47
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je pense que bien d'autres méritaient ce prix mais c'est un syrien coincidence ou pas des questions restent à se poser sur ce prix ???????

à écrit le 04/02/2016 à 18:02
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Mais la culture européenne bati au fil des siécles, des guerres et des paix n'est pas forcément celle des tribus moyen-orientales ou des bédouins du désert...La tradition européenne de discuter légalement entre partenaires dépasse un peu les discussi...

à écrit le 04/02/2016 à 17:34
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Enfin quelqu'un de sensé dans ce pays de fous ! Le code du travail doit juste comporter 2 volets : un volet chef d'entreprise dont les obligations sont de payer ses employés pour le travail effectué et d'assurer leur sécurité au travail (pas contre d...

à écrit le 04/02/2016 à 16:39
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"Un chef d'entreprise ne cherche qu'une chose : de l'activité pour réaliser du chiffre d'affaires et embaucher. Donc laissez-le faire ! " Vous avez créé votre société que vous avez fait prospérer, maintenant généraliser cette opinion à l'ensemble...

le 04/02/2016 à 19:17
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amusant votre commentaire se termine par une critique de la pensee binaire alors que vous en etes le parfait exemple en parlant de l actionnaire vampire. Qu il y est une gestion court terme de certaines societes est un fait mais c est pas forcement ...

le 05/02/2016 à 9:58
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pouvez vous m'expliquer en quoi parler de l'actionnaire parasite je dirais plutôt que vampire, moi la fiction vous savez... , a un quelconque rapport avec la pensé binaire ? Savez vous ce qu'est une pensée binaire je vous prie ? Merci.

le 22/11/2019 à 14:48
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Peut être que tous les patrons ne sont pas comme M. Altrad, et qu'ils se disent que vivre dans un pays ou dès le 1er employé vous devez vous farcir une pile de 4 mètres de haut de règles n'est pas vivable. Peut être qu'ils se disent que de se faire i...

à écrit le 04/02/2016 à 16:21
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Malheureusement, monsieur Altrad, vous défendez votre vision de l'entrepreneuriat, mais dans votre monde, une grande majorité de vos confrères n'ont pas les mêmes nobles sentiments que vous...

le 22/11/2019 à 14:42
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Qu'en savez-vous? Peut-être que si. Ou peut être qu'ils en ont marre d'avoir une pile de plusieurs mètres de haut de règles à suivre dès le 1er employé, et de se faire injurier à longueur de journée par des syndicats et des hommes politiques. Moi, si...

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