"Le phénomène Trump va faire pschitt "

Les primaires républicaines débutent ce 1er février par le traditionnel caucus de l'Iowa. Le "phénomène" Trump se concrétisera-t-il dans les urnes ? Que révèle-t-il de la situation sociale, sociologique et économique du pays, des bouleversements identitaires et des (dés)équilibres de la nation, des particularités du système domestique des primaires ? Qu'enseigne-t-il sur les contradictions idéologiques du Parti républicain, sur les nouveaux codes de communication politique et même sur la stratégie "française" de Marine Le Pen ? L'analyse de Vincent Michelot, professeur d'histoire politique des États-Unis et directeur de Sciences Po Lyon.
Pour Vincent Michelot, le "phénomène" Trump ne se concrétisera pas dans les urnes.

Acteurs de l'économie - La Tribune - L'Agefi (Suisse). Le phénomène Trump a atteint un niveau inédit, et sa réalité dans les sondages est désormais confrontée à l'épreuve de vérité : les primaires républicaines. Qu'indique-t-il sur "l'état de santé" de la société américaine, sur ses attentes, ses espérances, ses angoisses ?

Vincent Michelot. Ce phénomène n'a surpris aucun politologue, historien ou journaliste aguerri, tant ses racines sont bien identifiées.

Il résulte de la combinaison de trois faits majeurs : d'abord un bouleversement démographique - entre 2040 et 2050, les blancs non hispaniques deviendront une minorité. D'autre part, une reprise économique trompeuse : le taux de chômage, contenu sous la barre des 5 %, masque un sous-emploi (ceux qui travaillent moins qu'ils ne le souhaiteraient ou à un niveau de salaire inférieur à leurs qualifications) qui frappe 20 % des Américains, les classes moyennes inférieures étant par ailleurs les plus affectées par la stagnation des salaires et simultanément l'érosion du pouvoir d'achat.

La création nette d'emplois, certes très favorable, ne profite pas aux secteurs d'activité dits traditionnels. Enfin, le parti Républicain, en état de schizophrénie électorale, doit faire face à de profondes contradictions qu'il a lui même créées, notamment par une stratégie électorale qui a souvent depuis les années 1970 reposé sur une rhétorique des "guerres culturelles" et donc de la division.

Quelles sont ces contradictions ?

Le hiatus entre, d'un côté, les soutiens financiers et l'establishment du parti et, de l'autre, la base électorale dans les primaires est de plus en plus visible et purulent.

Exemples ? L'immigration.

La majorité populiste des activistes dans les primaires y voit la source de nombreux maux de la société américaine mais les grandes entreprises et l'establishment pragmatiste repèrent surtout l'incidence (positive) sur le coût et la flexibilité du travail. En effet, cette immigration pèse à la baisse sur les salaires et constitue une opportune variable d'ajustement.

Or qui, dans le discours populiste du bouc émissaire, souffre en premier lieu de la prétendue concurrence des immigrés illégaux ? Ces fameuses classes moyennes inférieures, peu éduquées et très mal informées sur le politique et qui forment un mouvement nativiste au sein duquel le discours de Donald Trump fait particulièrement "mouche".

Comment alors satisfaire à la fois les attentes, antagoniques de l'establishment du parti et des électeurs certains de voter dans les primaires ? Cet écartèlement, les caciques du Parti ne savent pas comment le gérer.

Autre hiatus : pendant longtemps, l'establishment du parti a fait croire à ses électeurs que l'intérêt collectif de la nation, et notamment la création de richesses, impliquait une baisse des impôts pour libérer l'esprit d'entreprise. Or à qui ce conservatisme fiscal de Ronald Reagan et des Bush père et fils a-t-il essentiellement profité ? Aux foyers dont le revenu annuel dépassait les 200 000 dollars.

Comment donc, là encore, être audible auprès de classes moyennes inférieures qui, malgré leur discours libertarien de dénonciation de l'État, expriment paradoxalement souvent une demande de plus d'État ?

Vincent Michelot

"Le Parti républicain devrait payer chère sa schizophrénie électorale." (Laurent Cerino / ADE)

L'électorat supposé de Donald Trump est-il homogène ? Quels sont les ressorts (origine et milieu sociaux, aspirations) communs à ses partisans ?

Le profil est remarquablement uniforme. Cet électorat putatif figure parmi les moins éduqués - nombre d'entre eux ne possèdent pas de diplôme de l'enseignement secondaire, encore moins du supérieur.

Il est également schizophrène : il dit haïr l'État et ses institutions - plus de 85 % des sympathisants de Trump expriment une "mauvaise opinion" du Congrès - mais est en forte demande d'État, puisque ce dernier est le seul à pouvoir le protéger de ses spectres (immigration, redistribution des prestations sociales, atteinte à la sécurité de l'État...). Il souffre plus que d'autres d'un sentiment de déclassement, car les emplois qui s'offrent à lui sont sous-qualifiés et donc souvent dépourvus des couvertures et avantages qui sont l'apanage d'emplois qualifiés à temps plein dans les moyennes ou grandes entreprises.

Ce sentiment de déclassement est commun à l'électorat français de Marine Le Pen (Front National). Les motivations de leurs électeurs mais aussi les postures et les stratégies des deux dirigeants partagent-elles d'autres substrats communs ?

Indéniablement. Outre celle de déclassement, la perception d'abandon est grande.

Électeurs comme dirigeants cultivent par ailleurs un même violent antiparlementarisme, ce même rapport contradictoire à l'égard de l'État - au sein du public frontiste : "on" l'admoneste, mais "on" déplore son désengagement territorial, "on" apprécie d'être employé par lui et "on" exige de lui protection et solutions -, une même politique des boucs-émissaires : les Mexicains chez Donald Trump, les migrants et plus globalement les musulmans chez Marine Le Pen.

Ceux qui ne font pas partie d'une communauté nationale uniforme d'un point de vue religieux, ethnique ou culturel, communauté évidemment fantasmée et inventée de toutes pièces, deviennent l'ennemi. Enfin, des deux côtés de l'Atlantique, ces dirigeants pratiquent avec succès une stratégie à laquelle un électorat apeuré mais surtout en pertes de repères et d'avenir succombe aisément : la théorie du complot.

"Au sein de leur électorat une même perception de déclassement et d'abandon, et un même rapport contradictoire à l'Etat, et chez eux une stratégie identique du bouc-émissaire et du complot : Marine Le Pen et Donald Trump sont très proches."

La montée en puissance et l'enracinement des hispaniques signifient-ils que le vote démocrate est promis à devenir hégémonique ?

Non. Certes, le facteur démographique participe significativement au comportement électoral, mais il n'y a pas pour autant de déterminisme démographique. Et d'ailleurs, en l'occurrence, il n'existe aucun fatalisme à un quelconque vote massif des hispaniques en faveur des démocrates : certaines valeurs propres à cette communauté catholique pratiquante - avortement, mariage homosexuel - trouvent un écho favorable dans la rhétorique républicaine.

Autre exemple : l'entreprenariat. Culturellement, la communauté hispanique regorge de petits patrons et commerçants, donc d'indépendants tous ardents défenseurs du libre-marché et, par essence, rétifs, voire franchement hostiles, à une intervention de l'État communément associée à la doctrine démocrate. Ces deux seuls facteurs sont de nature, sinon à contrebalancer, au moins à contenir les effets mutilants d'une parole stigmatisante, violente et humiliante de certains candidats à la primaire républicaine - notamment lorsqu'ils préconisent de faire payer une amende dans le cadre d'un processus de "régularisation" aux quelque 11 millions d'immigrés illégaux qui, depuis des années, sont installés sur le sol des États-Unis, travaillent, scolarisent leurs enfants... et payent leurs impôts.

Par le passé, des candidats extrémistes ultramoralistes, ultrareligieux, ultrabelliqueux, ont concouru. Mais quasiment jamais un candidat ouvertement raciste n'avait à ce point semblé pouvoir gagner. Une partie de l'Amérique a-t-elle décidé d'assumer ouvertement sa xénophobie ?

De tels profils ressurgissent à certains moments de l'histoire américaine, le dernier en date étant le gouverneur de l'Alabama Georges Wallace, candidat indépendant d'un Sud raciste mais déclinant en 1968. Précédemment, c'est au lendemain des deux guerres mondiales que ce phénomène s'était fait le plus criant. Donald Trump se singularise en cassant toute une série de tabous dans le fonctionnement de la politique et particulièrement de la "communication politique"...

Justement, cette rhétorique délibérément outrancière de Trump est certes jugée cynique, mensongère, démagogue, ségrégationniste, absurde, hallucinatoire et, preuves à l'appui, frappée des plus implacables anathèmes par les observateurs, rien ne semble pouvoir la disqualifier. Elle est même interprétée comme un "parler vrai" par ses partisans. Et elle a provoqué parmi les candidats aux primaires une surenchère dont la principale victime est Jeb Bush, "coupable" selon les observateurs de Politifact de produire la proportion la plus élevée de "propos exacts" (48 %)... Quelle tendance sur les nouveaux codes de communication la popularité de Donald Trump indique-t-elle ?

La raison pour laquelle la quasi-totalité des observateurs de la politique américaine raillait, au sortir de l'été 2015, les possibilités de Donald Trump d'aller très loin dans la course à l'investiture républicaine, c'est qu' "à un moment", pronostiquaient-ils, sa rhétorique allait s'écraser sur le mur des codes traditionnels de "la" politique, c'est-à-dire du discours, du comportement, et donc de la communication politiques. Or, chacun doit se rendre à l'évidence : aucun des écarts même les plus outranciers, les plus mensongers, les plus ubuesques ne l'a, pour l'heure, condamné.

L'explication est multifactorielle, mais la plus essentielle d'entre elles tient à l'inculture politique de cet électorat peu éduqué, peu diplômé, désocialisé et totalement hermétique aux médias traditionnels - seul Fox News l'attire, et encore avec parcimonie. Dès lors, il est vulnérable, attentif aux propos les plus démagogiques et populistes, les plus fantasques ou fallacieux. Ce public est en phase avec "son" candidat, avec lequel il partage un même désintérêt profond pour ce qui se passe au-delà des réalités de son quotidien ou des frontières de son pays.

Donald trump l'emporterait dans l'iowa

"Les chances de victoire de Donald Trump sont nulles pour le scrutin présidentiel et très faibles pour la primaire."

Le discours nationaliste et de repli de Donald Trump fait écho dans une période de l'histoire contemporaine américaine qui ne semble pas s'y prêter naturellement ; l'ogre chinois est en difficulté, l'économie russe est atrophiée, le cours du baril fragilise même l'Arabie saoudite, jamais sans doute l'Europe n'a été à ce point inoffensive, l'armée américaine s'est retirée des bourbiers afghan et irakien, et nombre d'indicateurs de l'économie domestique (4,6 % de chômage, croissance de 2,5 %) progressent... Comment explique-t-on cette singularité ? Par un besoin inédit "d'identité nationale" ?

Ce "besoin d'identité nationale" n'est pas plus prégnant aujourd'hui qu'il y a 10 ou 20 ans. Contrairement à la France où les ressorts de cette identité nationale composent avec des tensions non seulement internes mais aussi exogènes - construction européenne en premier lieu -, les États-Unis ne sont pas assujettis à une organisation qui les "dépasse" et menace leur souveraineté. Non, le principal réceptacle du discours de Donald Trump demeure le sentiment de déclassement.

Il est important de bien saisir les mécanismes et la spirale de ce déclassement, qui ont pour ciment la globalisation de l'économie. Autrefois, tout ouvrier qualifié chez Ford ou GM était syndiqué et bénéficiait d'une réelle sécurité de l'emploi ; ainsi "protégé", il élevait ses enfants avec espoir, la certitude même, que l'ascenseur social allait fonctionner si l'on respectait les codes, dont l'importance des diplômes de l'enseignement supérieur. Cet ouvrier pouvait donc "se" projeter avec confiance dans l'avenir. Cette "aristocratie de la classe ouvrière", la globalisation l'a, d'abord peu à peu puis très vite, disqualifiée, elle et sa descendance. Les compétences professionnelles se sont trouvées inadaptées aux exigences des entreprises. Et en transférant les unités de production industrielles dans les États (Texas, Caroline du sud, Tennessee, Alabama, etc.) hostiles aux syndicats, les entreprises ont tout à la fois abaissé leurs coûts du travail, précarisé les emplois et évincé les plus vulnérables - outre-Atlantique, taux de syndicalisation et coût du travail sont fortement corrélés.

La popularité de Donald Trump signifie-t-elle que la fracture entre l'Amérique éclairée et l'Amérique recroquevillée, apeurée, abrutie atteint un paroxysme ?

Il est très difficile de répondre. En France, le Front national connaîtra-t-il le même enracinement, la même pérennisation ou stabilité sociologiques qui firent les "beaux jours" du mouvement communiste au XXe siècle ? Pour l'heure, nul ne le sait. Il en va de même du "phénomène" Trump.

À l'approche des scrutins, primaires puis élections générales, le Parti républicain pourrait très vite se désengager des problématiques économiques et se concentrer sur les culture wars, les guerres culturelles. Cette stratégie lui permettrait de dissimuler son "rapport", schizophrène, à l'impôt ou à l'État, et de taire les sujets qui divisent son électorat. Souvenez-vous des débats, délirants, dans les années 1980 ou 1990 : le thème de l'avortement avait occulté quasiment tous les autres, y compris ceux qui "font" l'essentiel du quotidien des Américains (salaire minimum, pouvoir d'achat, pérennité des contrats de travail, protection sociale, etc.). Cette stratégie dite de wedge issues consiste à détourner la population des vrais sujets, embarrassants, clivants et difficiles à résoudre, à la fragmenter en introduisant des divisions artificielles puis à jouer de ce morcellement pour mobiliser la base.

Dès lors, déterminer le degré de fracturation au sein de l'Amérique incarné par la popularité de Trump est délicat.

Vincent Michelot

"Le principal réceptacle du discours de Donald Trump demeure le sentiment de déclassement." (Laurent Cerino / ADE)

Ce schisme au sein de la population signifie-t-il que l'Amérique de Trump et celle des mégalopoles, de la culture européenne ou de la Silicon Valley ne forment plus une même nation ? "Ces" Amériques peuvent-elles encore seulement dialoguer ?

Une fois le scrutin achevé et qui a peu de chances de se conclure en sa faveur, le "phénomène" Trump devrait dégonfler très vite, ramenant le pays vers un minimum d'unité. Cette unité, c'est-à-dire le dialogue et le respect entre les différentes composantes de la nation américaine, viendra aussi de la capacité du futur Président à ressusciter le "rêve" des classes moyennes américaines, à restaurer l'ascenseur social, à revivifier un avenir pour les "déclassés". À  identifier et à exploiter les manifestations non seulement quantitatives mais aussi qualitatives d'une reprise économique extraordinairement puissante - l'augmentation des salaires et du pouvoir d'achat en serait le symbole. À réconcilier la farouche volonté de liberté et la demande, tout aussi élevée, de protection de la part de l'État, sur les terrains autant intérieur qu'extérieur - cela en préservant une singularité qu'aucun Américain n'est prêt à sacrifier : l'exceptionnalisme de la nation, qui condamne tout candidat qui souhaiterait l'altérer ou s'en éloigner.

Le succès actuel de Trump, fondé en partie sur la perception d'une érosion de la souveraineté, cristallise-t-il le déclin de l'hégémonie américaine ? Incarne-t-il même un "recul civilisationnel" du pays ?

Il est trop tôt pour envisager de telles conclusions. La seule campagne 2016 ne permet pas de lire une telle possibilité, en premier lieu parce que le vote des primaires ne fait que débuter. En revanche, si Donald Trump vient à remporter l'échéance initiale et qu'ensuite le pire de cette campagne se renouvelle lors des scrutins de 2018 et 2020, alors la question méritera d'être posée.

Dans quelle mesure le bilan, contrasté, de Barack Obama et notamment l'indigence de sa politique étrangère aux Moyen et Proche Orients - nonobstant l'accord de dégel avec l'Iran d'ailleurs vilipendé par l'opposition républicaine - participent-ils au succès de Trump ? En d'autres termes, la popularité de Trump "est-elle" l'échec d'Obama ?

Je ne crois pas. Pour plusieurs raisons. La première, c'est que la politique étrangère est totalement absente des débats des primaires. Cela n'est pas propre à l'échéance républicaine 2016, car traditionnellement lesdits débats sont quasi exclusivement centrés sur la politique intérieure, et ne commencent à s'ouvrir - d'ailleurs timidement - aux enjeux extérieurs que dans la dernière ligne droite, une fois les deux candidats démocrate et républicain désignés. Seul un attentat d'une ampleur massive frappant des citoyens américains pourrait modifier la donne.

La motivation des électeurs républicains - et cela quel que soit le candidat - sera, de toute façon et quoi qu'il arrive, très conservatrice, et fortement enracinée dans la haine de Barack Obama. Une haine qui a débuté le 20 janvier 2009, jour de sa première investiture, et n'a cessé de croître au fur et à mesure que la réforme de la santé devenait réalité.

Barack obama se felicite que l'iran ne puisse pas se doter de l'arme atomique

"La haine de Barack Obama cristallisera la mobilisation des électeurs républicains."

Mandat présidentiel (4 ans) trop court, scrutin mid-term « guillotine », organe législatif bicaméral (Sénat et Chambre des représentants) d'une couleur souvent contraire à celle du Président : le système politique et le fonctionnement de la démocratie américaine sont-ils encore adaptés aux nouvelles réalités économiques, environnementales, géopolitiques, géostratégiques et militaires de la planète ? Ne sont-ils pas à bout de souffle, voire obsolètes ?

Ce système est difficile à réformer ou à faire évoluer car il repose sur de très fins équilibres. En deux siècles, on a assisté au renforcement progressif mais inéluctable de la présidence au détriment du Congrès, la Cour Suprême exerce un rôle majeur aux côtés des deux pouvoirs élus, enfin les mécanismes qui à la fois distinguent et entremêlent les compétences des États fédérés et de l'État fédéral sont subtils et sanctuarisent un système bien rôdé. Tout a déjà été imaginé ou même fantasmé pour réformer le fonctionnement de la démocratie américaine, mais finalement rien n'a jamais été réellement entrepris. Y compris parce qu'aucun Président en exercice ou en campagne ne prendra le risque de s'attaquer à un tel aggiornamento institutionnel.

Le bilan de Barack Obama en est l'illustration : sa fenêtre de tir était circonscrite aux deux premières années de son premier mandat. C'est d'ailleurs à ce moment qu'il a initié trois grandes lois : plan de relance de l'économie, réforme de la santé et réforme de Wall Street. Certes, ces lois sont pleines d'insuffisances qui viennent des inévitables compromis politiques et partisans, mais elles ont le mérite d'être une réalité. En 2009, 50 millions d'Américains ne possédaient pas d'assurance santé ; sept ans plus tard, un tiers d'entre eux sont couverts. N'est-ce pas un succès en matière de politique publique?

Jeb Bush, Marco Rubio, Ted Cruz, Rick Perry, Carly Fiorina, John Kasich, Ben Carson... Vu de France, la popularité et même la personnalité des candidats républicains semblent écrasées par celles de leur adversaire, quand bien même ils ne manquent pas d'atouts - par exemple l'origine mexicaine de l'épouse de Bush lui assurant une certaine popularité au sein du stratégique électorat hispanique. Cette primaire est-elle encore moins que les autres celle du débat d'idées, de la confrontation programmatique, de l'opposition de vision ?

L'année de l'élection est le théâtre de bouleversements que tout Français a peine à imaginer. Au début de l'année 2004, seuls 10 % des Américains connaissaient l'existence de John Kerry ; en novembre de la même année, il remportait presque l'élection présidentielle - seule la défaite dans l'Ohio l'en empêcha. Dix mois avaient suffi pour qu'il passe du stade d'inconnu à celui de quasi vainqueur. Voilà à quoi avaient servi les primaires : d'abord exister, à grands renforts d'un très basique "My name is John Kerry, I'm a Democrat and I'm running for President." Puis, petit à petit, commencer à percoler, à prendre chair et corps, à diffuser un certain nombre de propositions.

Les primaires ne sont absolument pas représentatives d'une quelconque philosophie - qu'il s'agisse d'économie, d'emploi, de fiscalité, de diplomatie ou de social. Ne pas confondre le Liban et l'Indonésie suffit à ne pas se disqualifier - et encore... -, et on ne s'adresse qu'à un segment infime de l'électorat appelé à voter en novembre. Un segment traditionnellement activiste, militant, et sensible aux discours des candidats les plus radicaux - et cela quelle que soit l'obédience démocrate ou républicaine, comme l'illustre la popularité du "très à gauche" Bernie Sanders engagé dans la primaire face à Hillary Clinton. Après les primaires démarre donc la véritable campagne, celle qui révèle ce que les candidats veulent réellement mettre en œuvre une fois élus.

Le republicain marco rubio dans la course a la maison blanche

"Des candidats républicains, Marco Rubio est potentiellement l'adversaire le plus dangereux pour Hillary Clinton."

Les chances de Donald Trump de conquérir l'investiture républicaine sont-elles réellement infimes ?

Dans leur immense majorité, les politologues spécialistes des États-Unis doutent très fortement de sa capacité de victoire aux primaires et a fortiori en novembre prochain ; "soutenir" verbalement un tel personnage ne signifie pas qu'une fois dans l'isoloir on concrétise la démarche, et son "public", fortement désocialisé, traditionnellement ne se déplace guère pour voter. Face à Trump, tout candidat démocrate est presque assuré de gagner. Son discours de rejet séduit les "mauvais génies" qui hantent l'inconscient collectif américain, mais il n'est nullement celui d'adhésion qui peut crédibiliser l'hypothèse de victoire.

De ce que nous connaissons aujourd'hui de la personnalité, de la trajectoire et du programme de chaque candidat républicain, lequel serait le plus redoutable rival pour Hillary Clinton ?

Incontestablement Marco Rubio, et sinon John Kasich. Ted Cruz et Donald Trump sont trop extrémistes et trop détestés par l'establishment du parti Républicain pour espérer gagner - ledit establishment ne peut pas désigner un candidat à ce point sûr de perdre ou d'entrer en conflit ouvert avec la représentation républicaine au Congrès. Les États-Unis sont las de la famille Bush, et la faiblesse de son charisme et de ses facultés oratoires est rédhibitoire. Marco Rubio reste porteur d'espoir : il est jeune, il saura faire la synthèse entre les différents courants républicains, et sa campagne, nettement moins haineuse, ne le disqualifiera pas face à Hillary Clinton.

Quant à John Kasich, c'est "l'adulte dans la cour d'école" ainsi qu'il aime s'autoproclamer. Il est le seul à porter un programme détaillé de politique intérieure et extérieure, et il revendique une vraie expérience de l'État en tant que gouverneur de l'Ohio.

* Colloque, Les primaires aux Etats-Unis : en un combat (politique) douteux

Avec : Zachary Courser (Claremont McKenna College), Maya Kandel (IRSEM), Ray La Raja (UMass Amherst), Alix Meyer (Université Bourgogne Franche-Comté) et Vincent Michelot (Sciences Po Lyon).

4 février, 18 heures, à Sciences Po Lyon (rue Appleton, Lyon 7e).

Renseignements et inscriptions : https://www.weezevent.com/les-primaires-aux-etats-unis

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Commentaires 6
à écrit le 24/02/2016 à 11:05
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Alors ce pschitt ? Comme quoi la théorie ne vaut pas le terrain... Comme je l'ai écrit avant la campagne sur ce site web, Trump sera très dur à déloger et sera probablement l'adversaire d'Hillary

à écrit le 01/02/2016 à 14:53
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analyse intéressante où le parallèle fait entre l'électorat FN et celui de D Trump me parait judicieux, tant les similitudes dans la situation sociale et culturelle sont proches. Il s'agit dans les deux cas de populations qui ont davantage subit la g...

à écrit le 01/02/2016 à 13:01
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La théorie du Pschitt est belle et bien étayée, mais elle date et fait fi du terrain. La réalité est que Trump va remporter l'Iowa et le New Hampshire et qu'il sera difficile de le déloger comme opposant d'Hillary Clinto, ceci dit grande favorite de ...

à écrit le 01/02/2016 à 12:24
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Excellent entretien merci. Par contre Trump a une chance de remporter ces élections hélàs, mille fois hélàs, Hilary Clinton, qui fera une moins bonne présidente que Obama à n'en pas douter est en rivalité farouche avec Bernie Sanders, grosse surp...

le 01/02/2016 à 15:18
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vous avez tout à fait raison. Dans l'hypothèse, quoique hautement improbable, où Sanders serait élu président des USA, il se retrouverait en opposition frontale avec la ploutocratie américaine, dont on sait l'influence considérable qu'elle exerce sur...

le 01/02/2016 à 15:59
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Comme vous je suis très sceptique quand même, cependant il convient de noter que Clinton n'a que trois points d'avance sur Sanders tandis que Trump lui en a 5 sur Cruz et que ces primaires démocrates sont quand même surprenantes je pensais que l'age ...

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