Jean-Jack Queyranne : "Avec Laurent Wauquiez, c’est un duel de personnalité"

A quelques jours du scrutin des Régionales (6-13 décembre) scellant le mariage de l’Auvergne et de Rhône-Alpes, Acteurs de l'économie - La Tribune éclaire le débat via un tour d'horizon des principaux candidats. Après un entretien avec Laurent Wauquiez (Les Républicains), nous vous proposons l'interview, en deux parties, de Jean-Jack Queyranne, président sortant et candidat socialiste.

Les attentats de Paris, Jean-Jack Queyranne, estime qu'ils donneront une dimension nationale au scrutin, par ailleurs terrain "privilégié" de son principal adversaire Laurent Wauquiez. A 70 ans, celui qui brigue un troisième exercice fustige le populisme et la démagogie du candidat "Les Républicains", et pense trouver dans ce clivage idéologique - la "ligne Buisson" contre "l'humanisme social, caractéristique de l'identité du territoire" - le ferment de sa victoire. Celui que le président de la métropole de Lyon Gérard Collomb et la fédération PS du Rhône ont délaissé devra, pour "rassembler la gauche" au second tour, proposer "un contrat de gouvernement solide" et tirer les enseignements des dysfonctionnements de son mandat, dossier ERAI en tête.

Acteurs de l'économie - La Tribune. Dans quelle mesure, selon vous, les attentats qui ont ensanglanté la France sont-ils de nature à impacter le comportement des électeurs, le 6 décembre prochain, lors du premier tour des élections régionales ?

Jean-Jack Queyranne. En premier lieu, je crois qu'il y aura un intérêt supplémentaire pour voter. Les concitoyens ont conscience que ces ignobles attentats visent à atteindre la démocratie. Or, l'un des fondements de la démocratie est le suffrage universel, et voter est bel et bien une forme de résistance. J'espère donc que la mobilisation dans les urnes sera significative.

Le scrutin sera probablement davantage nationalisé, compte tenu de l'émotion qui traverse le pays. Mais j'ai également le sentiment que cela sera un choix très fort de personnalité. En Auvergne Rhône-Alpes, la situation fait qu'il y a une personnalité, Laurent Wauquiez, marquée sur la droite extrême. Sa réaction immédiate suite aux attentats en est une nouvelle démonstration.

A-t-il, selon vous, commis une faute politique en proposant d'interner les « 4 000 personnes fichées pour terrorisme » ?

La "ligne Buisson" s'est affichée là, qui vise à pousser la droite traditionnelle sur les terres du Front national. Il s'agit même de "déborder" le parti frontiste avec des mesures démagogiques et populistes. Mesures qui, sur le coup de l'émotion et de la réaction, peuvent toucher l'opinion, mais qui sont aussi inefficaces qu'impraticables sur le plan juridique.

Jean-Jack Queyranne

Le contexte de ces attentats engendre une cristallisation des débats sur la communauté musulmane et sur les migrants. Cela qui pourrait profiter à la fois à Laurent Wauquiez dans la région, et bien sûr, au Front national dans les territoires (PACA, Nord-Pas-de-Calais-Picardie) qu'il est en mesure de conquérir...

Je ne le crois pas. Et si je combats, c'est pour défendre valeurs et convictions républicaines. Face au drame qui endeuille la France, la population a réagi avec maturité, intelligence, sans désigner de fautif, sans faire d'amalgame ni mélanger les situations. Les prises de position de Laurent Wauquiez, en s'attelant sur les thèmes - privilégiés du Front national - de la sécurité et de l'immigration épousent une posture nationale.

En s'enfermant dans cette position, il crée la confusion avec le Front national. Or en 1998-1999, au moment de l'affaire Millon, notre Région n'a-t-elle pas montré, par sa réaction, qu'elle ne voulait pas de cette confusion ? J'ai d'ailleurs été un élément qui a permis de trouver une solution républicaine.

Les déclarations du candidat LR constituent, à mes yeux, une erreur de stratégie politique. Et les électeurs jugeront. J'ai placé ma campagne sous le signe de l'humanisme social, car c'est ce qui caractérise les deux régions qui s'uniront au 1er janvier 2016. Auvergne et Rhône-Alpes sont des terres empreintes d'un esprit de résistance, qui s'est manifesté dans les moments les plus difficiles de l'histoire. Ce sont aussi des terres de mesure, d'équilibre. Ces deux régions refusent les extrêmes.

Certains domaines, notamment de la sécurité, ne sont pas dans le champ de compétences de la Région. En existe-t-il néanmoins, collatéraux du drame parisien - sécurité, dans les transports, dialogue interreligieux, sensibilisation dans les écoles, etc. - dont elle pourrait s'emparer ?

Le combat à mener est double : sécurité et culture. Et dans ces domaines, la Région a des responsabilités. Dans les TER, qui relèvent du champ de compétences des régions, j'ai pu constater que les services de police (une centaine d'agents) et ceux de la Sûreté ferroviaire (environ 190 agents du Suge, relevant de la SNCF) travaillent en bonne coordination dans les gares. Les trains et l'ensemble des gares rénovées sont équipés de systèmes de vidéosurveillance. Rappelons toutefois qu'au contraire des municipalités, la Région n'a aucune autorité « policière ».

Dans les lycées, les 5 800 collaborateurs d'Auvergne et de Rhône-Alpes qui composent la communauté éducative ont été sensibilisés à participer à la prise de conscience collective post-13 novembre. D'aucuns parmi les candidats aux Régionales ont proposé d'installer des barrières électroniques devant les établissements. Cela correspond-il à l'attente réelle des familles ? Non. Est-ce souhaitable et réaliste ? Non.

La réalité, en définitive, est bien loin de celle que Laurent Wauquiez a voulu décrire, affirmant sur son site internet que les trains étaient attaqués en permanence et que 7 600 agressions avaient été recensées. Ce chiffre n'est pas faux. Sauf qu'il désigne les délits perpétrés sur tout le sud-est de la France et dans tous les modes de transports... Est-il normal qu'un conseiller d'État puisse tenir de telles inepties ?

Jean-Jack Queyranne

Et sur le plan culturel, que proposez-vous ?

Le terreau culturel est fondamental, car de lui dépend en grande partie la fertilisation ou au contraire l'éradication du djihadisme en France. Et il interroge la situation d'un certain nombre de banlieues. Dissuader les jeunes d'être enrôlés par des prédicateurs et les couper de la tentation mortifère de s'engager dans le djihad passe en partie par un travail culturel, éducatif et sportif.

Quels sont les symboles que les terroristes ont frappés à Paris ? Celui du sport au Stade de France et celui de la culture au Bataclan. L'incarnation de deux valeurs qui s'inscrivent contre la barbarie et en faveur desquelles le Conseil régional doit continuer de s'investir, tout comme d'ailleurs au profit de la politique de la ville. Il faut soutenir tout ce qui concourt à l'action éducative, de l'école à l'emploi.

Donné perdant au sortir de l'été, vous êtes au coude-à-coude avec votre adversaire désigné Laurent Wauquiez. A quels éléments attribuez-vous ce revirement, dans un contexte national défavorable ? Sur quoi fondez-vous aujourd'hui la possibilité d'une victoire objectivement - et même au fond de vous, rapporta votre propre entourage - très improbable il y a deux mois ?

Même dans mon propre camp, la défaite m'était promise... J'ai toujours été réaliste, et ai affirmé que je m'engageais parce que j'avais une chance de l'emporter. Je ne pouvais pas déserter le combat, surtout à l'aune de mon bilan, de ce que nous avons développé depuis un an avec René Souchon - président de la région Auvergne, NDLR -, et de la nécessité de proposer une alternative à la droite extrême et à l'extrême droite. C'est pour cette raison que nous avons mené la campagne, dès juillet, sur le thème "Nous c'est la région".

Le fait que je sois au coude à coude avec Laurent Wauquiez révèle un affrontement de personnalité. Cette région réclame une personnalité rassurante, bienveillante, tolérante, intègre, ouverte. Exactement ce que la droite (ultra)sarkoziste, victime des outrances nationales et régionales, n'imprime plus. Deux droites s'affrontent bel et bien : celle de Nicolas Sarkozy et celle d'Alain Juppé...

...Et il y avait la droite de Michel Barnier, candidat à l'investiture et écarté par les instances de désignation nationales. Seriez-vous allé au combat si l'ancien Commissaire européen s'était présenté ?

Michel Barnier a été éliminé.

Mais seriez-vous allé au combat ?

Je ne sais pas. Seule certitude : si Michel Barnier était entré dans la compétition et si j'avais décidé de l'affronter, la nature des débats aurait été d'un tout autre niveau. Avec lui, il n'y aurait pas eu de place pour les attaques de caniveau dont mon adversaire, enfermé dans une stratégie nationale et colporteur de contrevérités, est coutumier. Oser dire que je suis entouré de 55 collaborateurs alors que j'en ai que 14...

Jean-Jack Queyranne

Considérez-vous que le Premier ministre Manuel Valls a « déliré », pour reprendre les termes de sympathisants et d'élus socialistes, lorsqu'il a évoqué un Front républicain et une fusion des listes au second tour pour faire barrage au Front national ?

Il faudra examiner la situation au soir du premier tour. Nous ne sommes pas directement concernés, car Laurent Wauquiez est la réédition de Charles Millon. Je ne veux pas préempter les situations dans les autres régions. Les jeux sont ouverts.

Mais cette fusion des listes est-elle, à vos yeux, une hypothèse et une stratégie saugrenues ?

L'option ne doit pas être écartée par principe. En 1999, je pouvais légitimement être président de région, au troisième tour, au bénéfice de l'âge. J'ai privilégié une solution républicaine, permettant l'élection par toute la gauche d'Anne-Marie Comparini.

Comment composerez-vous au second tour avec la Liste du Rassemblement (EELV, Parti de Gauche, Nouvelle Donne) ? A quelles concessions êtes-vous prêt pour gouverner ? A contrario, quels engagements pouvez-vous prendre sur le fait que dans la future gouvernance vous ne renouvellerez pas les compromis - voire les compromissions - consentis lors de votre mandat et qui l'ont lourdement pénalisé ?

Il faut un contrat de gouvernement solide, mais aussi des engagements sur la méthode de travail. On ne peut pas, compte tenu notamment de la situation du pays, demeurer dans des relations insuffisamment établies, écrites, claires. La situation de chantage ne sera plus admissible, la majorité ne devra pas être changeante. Il faut affirmer un cap. Et ce cap sera l'objet des discussions menées dans le cadre du second tour.

La campagne a mis en lumière officiellement ce que les initiés savaient depuis longtemps : les profondes dissensions entre Gérard Collomb et vous, entre la fédération du PS et vous. Dans quelles mesures ont-elles pénalisé votre mandat et freineront-elles votre future action si vous êtes élu ? Si vous perdez, considérerez-vous que cette défaite sera en partie le résultat de cette situation ?

Je ne ferai pas porter la responsabilité sur les autres en cas de défaite. Cependant, cette élection régionale était la première se situant sur le territoire de la Métropole, et c'était donc une belle occasion pour s'engager. D'autre part, avec Gérard Collomb, nous avons signé le contrat métropolitain, c'est-à-dire la façon dont l'État, la Région, et la Métropole vont travailler ensemble ces six prochaines années. Cela méritait, à mes yeux, un engagement. Jusqu'à présent, il est vain pour des raisons bassement politiciennes.

Quant au comportement de la Fédération PS du Rhône, je l'ai très mal vécu. Je suis membre du Parti socialiste depuis de nombreuses années, j'étais au Congrès d'Epinay - qui, en 1971, consacra l'unification des courants socialistes et mit sur orbite François Mitterrand, NDLR -, j'ai été porte-parole pendant huit ans de ce parti : ce comportement est déplorable. Pour autant, je ne pense pas qu'il aura une quelconque incidence au plan électoral, reflétant là, malheureusement, la faible influence aujourd'hui des partis politiques sur la population. J'ai démontré que j'avais du caractère, et que j'étais un homme libre dans mes choix.

Jean-Jack Queyranne Collomb

L'articulation des compétences, de la Métropole et de la Région va être clé dans la vitalité du territoire. Comment voyez-vous la répartition des compétences économiques entre ces deux collectivités ? Puisque, selon le candidat LR, il semble se dessiner une entente naturelle entre eux, un tandem Wauquiez-Collomb ne servirait-il pas mieux l'intérêt du territoire ?

Ceci est la posture d'une petite politique. Gérard Collomb imagine-t-il que Laurent Wauquiez fera l'entente cordiale avec lui ? Je ne peux pas le croire. Si elle doit avoir lieu, la lune de miel durera quelques jours. La droite gouverne déjà le département du Nouveau Rhône et a une envie de reconquête qui, en cas de victoire aux Régionales, fera de la Métropole de Lyon une principauté isolée ; le président socialiste de cette dernière a tout à perdre à être encerclé.

Si vous êtes élu, quels enseignements tirerez-vous des erreurs commises lors de votre mandat, y compris en matière de gouvernance ?

Les étapes et les échéances de la fusion sont lourdes : il faudra réaliser un budget avant le 31 mai, assurer la cohésion des personnels, choisir une organisation de l'administration. Tout cela doit se mettre en place rapidement afin qu'il n'y ait pas de temps perdu. Et cela exige un temps plein, une mobilisation de tous les instants incompatibles avec des responsabilités politiques nationales ou un mandat de parlementaire. Le candidat de la droite a, lui, la tête ailleurs, et cela les acteurs du terrain le perçoivent.

Les pistes d'amélioration sont de deux ordres. D'abord, la gauche doit être rassemblée. Ce ne fut pas possible au premier tour, ce devra l'être au second. On ne peut plus, comme ce fut le cas cinq ans, exercer sous l'emprise des pressions permanentes. Tout le monde gagnera à travailler dans la sérénité. L'idée d'un rapport de force perpétuel initié par un certain nombre d'élus EELV se fait au détriment de la direction de la région.

D'autre part, il faudra une vigilance sur les organismes extérieurs. Notamment ceux satellites de la Région qui ont été créés car le cadre administratif ne permettait pas d'assumer certaines fonctions et interdisait la gestion de fait par les élus.

Parmi ces établissements satellites, l'un aura constitué l'un des fardeaux de votre mandature : ERAI (Entreprise Rhône-Alpes International, structure d'aide des entreprises à l'export). Quelles erreurs et même quelles fautes, en premier lieu le soutien inconsidéré au président Daniel Gouffé et l'étouffoir posé sur les comptes de l'organisation, la gouvernance de la Région a-t-elle commises ?

Rappelons d'abord que la reconduction de Daniel Gouffé, que j'avais sollicité en 2005 sur la base de son expérience de capitaine d'industrie, fut souhaitée par les milieux économiques : la gouvernance était donc partagée. Dès le début de l'année 2014, nous avons proposé des mesures pour fusionner Erai avec Ardi (Agence régionale du développement et de l'innovation), afin de créer une nouvelle entité. La politisation du dossier ne l'a pas permis. Soyons clairs : les Verts ont pris Erai en grippe, en premier lieu parce qu'ils n'aiment pas le commerce international. Une partie de la droite, incitée par Laurent Wauquiez, a elle aussi décidé et pour des raisons purement politiques de mettre à mal la structure.

Dès qu'une entreprise est en difficulté dans la région, le Conseil régional se mobilise. Or là, pour des motifs idéologiques ou stratégiques, ses contempteurs ont tué Erai et doivent endosser la responsabilité d'avoir fait perdre leur emploi à 140 personnes.

Je prends ma part de responsabilités dans le triste feuilleton Erai. Mais ces responsabilités-là devaient-elles engager à condamner, sans la réformer, une institution reconnue par ses partenaires internationaux (Québec, Shanghai) ?

Certes, Erai ne correspondait peut-être plus à la réalité des besoins et des situations qui avait dicté sa création, et le paysage des structures privées d'accompagnement s'était, depuis, étoffé. Mais je continue de penser qu'Erai était réformable, à condition de revoir ses prérogatives.

Quelle sera donc votre nouvelle stratégie pour accompagner ces entreprises à l'international ?

Il ne faut pas recréer Erai. Nous nous appuierons sur les missions des pôles de compétitivité, doublerons le nombre de V.I.E (volontariat international en entreprise, NDRL) et augmenterons la durée de ces contrats, consoliderons les présences fortes, là où politiquement et stratégiquement il est indispensable d'entretenir des relations poussées (Shanghai et Québec notamment). Le montant du budget lié à l'action économique internationale de la Région devra être révisé. A ce jour, il représente la moitié de celui de la Catalogne (30 millions d'euros).

Pour mener ces politiques, nous solliciterons une participation des professionnels intéressés, comme dans le cadre d'Erai ou de Rhône-Alpes Cinéma. Et il faudra mettre en place un contrôle plus sérieux et sévère de la part de la Région.

Retrouver la deuxième partie de l'interview : "L'innovation relève de la Région, pas de la Métropole"

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Commentaire 1
à écrit le 27/11/2015 à 18:22
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Ce nullard ferait mieux de se taire : hôtel de région 180 millions , son cabinet 54 conseillers personnel 150 véhicules 250000 @ de frais de bouche, impôts +26 %, dettes multipliées par quatre,dépenses de fonctionnement triplées, 70 & des subventions...

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