Xavier Dullin  : "S'opposer au Lyon-Turin, c'est revenir au 19e siècle"

Xavier Dullin, issu du monde de l'entreprise, est depuis avril 2014 le président de la communauté d'agglomération Chambéry Métropole, et est conseiller régional (UDC) en 5e position sur la liste de Laurent Wauquiez pour les élections. Qu'il s'agisse du Lyon-Turin ou du futur périmètre régional qui interroge l'avenir commun des Savoie, il espère qu'ils consolideront bien plus qu'ils ne fragiliseront le statut de Porte des Alpes.

Acteurs de l'économie - La Tribune : Le bassin de Chambéry représentera 2,5 % de la population de la nouvelle grande région Auvergne-Rhône-Alpes. Comment peut-il se positionner face aux grandes métropoles régionales comme Lyon et Grenoble ?

Xavier Dullin : nous avons tous les avantages d'une métropole, mais nous n'en sommes pas une. Le bassin de Chambéry est le point focal de trois métropoles, Genève, Lyon, Grenoble. Nous disposons de pôles d'innovation importants en matière d'énergie renouvelable, en aménagement de la montagne, en agro-alimentaire, en bien-être et santé. Nous n'avons aucun des inconvénients des métropoles. Nos voies ne sont pas saturées, quel que soit le mode de transport. Nous sommes à 45 minutes de deux aéroports internationaux (Saint-Exupéry et Genève Cointrin). Par ailleurs, nous sommes en espace naturel : plus de 56 % du territoire est en zone agricole. Nous bénéficions d'un environnement exceptionnel de lacs et de montagnes, et nous disposons de foncier disponible pour l'industrie, pour la logistique et pour les services. Bref, je pense que nous sommes très attractifs.

Sur un territoire plus grand que la Suisse avec 7,6 millions d'habitants, les échelles vont être bouleversées au 1er janvier. Avez-vous la crainte que la future grande région privilégie ses grandes métropoles au détriment de villes plus modestes comme Chambéry?

Nous devons être ensemble pour continuer d'exister dans cette grande région. La loi NOTRe prévoit que l'orientation du développement économique sera la compétence des régions et des intercommunalités. C'est pour cela que les collectivités se sont rassemblées d'Aix-les-Bains à Montmélian pour créer Chambéry Grand Lac, concentrant ainsi nos forces en matière de développement économique. Quand la région réalisera son schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation, l'an prochain, nous serons prêts.

La fusion de l'Auvergne et de Rhône-Alpes représente-t-elle un intérêt pour les entreprises et l'économie savoyardes ?

Nous avons plusieurs sujets d'intérêt en commun, dont nous pouvons nous inspirer mutuellement. L'Auvergne est une zone de montagne et de tourisme. Le secteur du tourisme de la Haute-Loire réussit mieux l'été que le nôtre. À l'inverse, ils doivent sans aucun doute regarder vers la Savoie pour ce qui est de la valorisation des produits laitiers. Nous savons convertir le lait de montagne en produits à forte valeur ajoutée, comme le Beaufort, le Reblochon et la Tomme. Nous avons aussi des sujets communs à développer, notamment en matière d'exploitation de la filière bois. Nous serons gagnants à établir des passerelles entre nous.

A lire : Notre dossier sur la fusion Auvergne Rhône-Alpes

La position des Savoie serait-elle mieux défendue par une fusion des départements ou par un renforcement des compétences de l'Assemblée des Pays de Savoie ?

Il revient aux élus départementaux de se prononcer sur cette question. Nous pouvons simplement noter qu'en matière de développement économique, les deux départements sont structurés différemment. Donc il faut respecter cette différence fondamentale. Je serai très attentif au résultat de leur réflexion.

La Savoie est directement concernée par le projet du tunnel Lyon-Turin, qui est loin de faire l'unanimité. Quelles retombées attendez-vous du chantier sur le bassin de Chambéry ?

Notre statut de porte des Alpes nous confère beaucoup d'atouts, mais aussi des inconvénients. Nous avons quatre kilomètres entre deux piémonts pour faire passer la rivière, le train, l'autoroute et les voies de circulation quotidiennes. Dès que la voie urbaine (VRU) est bloquée, on se rend compte que les capillarités n'existent pas. Chaque fois qu'un poids lourd se couche sur notre voie urbaine, cela paralyse le maillon central de notre bassin de vie et le lien entre deux autoroutes à vocation internationale. Le poids lourd, qui part le matin de Milan pour livrer à Dijon l'après-midi, débarque à 7 heures du matin sur la voie rapide urbaine, où il côtoie l'automobile de la mère de famille qui emmène ses enfants à une activité sportive ou culturelle. Cette dangerosité devient chaque jour de plus en plus prégnante.

Et elle se renforcera d'autant que le tunnel du Fréjus va ouvrir une deuxième galerie au nom de sa sécurité ... mais pas de la nôtre ! Le tunnel du Mont-Blanc verra alors progressivement, au nom de l'environnement et de la sécurité, le flux des camions se réorienter sur nos voies de circulation. Le Lyon-Turin a comme obligation d'urgence de reporter tout ce risque majeur de la présence de poids lourds vers le rail. C'est cela la première mission du Lyon-Turin. Nous pourrions reporter 50 % du flux de poids lourds qui passe sur nos voies.

Le tunnel Lyon-Turin ne sera toutefois pas achevé, dans le meilleur des cas, avant 2030...

Un report modal existe déjà entre Orbassano, en Italie, et Aiton, en Maurienne... On peut se demander ce qu'attend l'Etat pour nommer un opérateur afin de pouvoir charger les remorques de camions sur les trains entre Aiton et Grenay, dans l'Est lyonnais. La France, l'Italie et l'Europe doivent agir : il est possible de faire une autoroute ferroviaire dès maintenant, en attendant la réalisation de la ligne à grande vitesse Lyon-Turin. Cela fait cinq ans qu'on nous dit que cela va se faire. Qu'attend-on ? Qu'il y ait encore des morts sur les autoroutes ?

Mais si une autoroute ferroviaire est possible dès maintenant sur la ligne existante, pourquoi le Lyon-Turin est-il, selon vous, nécessaire au report modal ?

Le tunnel de base améliorera la performance ferroviaire, puisqu'il viendra capter les flux à Saint-Jean-de-Maurienne, en évitant la montée jusqu'à Modane. Donc j'aimerais entendre les opposants au Lyon-Turin dire oui au tunnel de base. Or, ils disent non... ce qui revient à vouloir vivre comme à la fin du XIXe siècle. La pente actuelle vers Modane ne permet pas la performance du transport de fret, et elle ne permet donc pas un plein report modal efficace. Or, de nos jours, les temps de transport influent directement sur les coûts et sur la capacité des entreprises à exporter. A long terme il faudra pouvoir aussi absorber de nouveaux flux de trafic à travers les Alpes ce que doit permettre de faire le nouveau tunnel.

Par ailleurs, quand nous aurons une ligne à grande vitesse pour le fret, rien n'empêchera d'y faire passer des trains de voyageurs, ce qui contribuera à développer nos relations commerciales avec l'Italie. Paris sera alors à 2h25 de Chambéry, à moins de 3 h d'Annecy. Il y aura une cascade de bénéfices, y compris la préservation de la qualité de notre air. C'est pour cela que les anti-Lyon-Turin devraient venir habiter à Chambéry pour s'en rendre compte. La décroissance a bon dos ! Ici, on ne voit pas de décroissance.

Outre la sécurité, sur quelles retombées économiques directes comptez vous pour l'agglomération de Chambéry ?

Les retombées économiques immédiates en Savoie, ce sont 3 000 salariés qui ont commencé les travaux du Lyon-Turin. Un partenariat est en place depuis mai 2015 pour réussir l'ancrage territorial des chantiers par un recrutement local.

Parmi les autres retombées, il y a aussi l'implantation à Chambéry de TELT, la société responsable du chantier Lyon-Turin, avec 300 emplois à la clé. Ils recherchent actuellement 2 000 mètres carrés de bureaux.

A lire : Notre dossier complet sur le Lyon-Turin

Comment accueillez-vous la décision de la justice italienne de relaxer l'écrivain Erri de Luca, qui avait appelé au sabotage du Lyon-Turin ?

Il y a des textes de loi qui s'appliquent. Il y a peut-être aussi une volonté d'apaisement, comme cela a été le cas quand la loi italienne a permis la concertation et non plus le passage en force de l'État dans les vallées italiennes, comme cela prévalait auprravant. Cela participe à l'apaisement. C'est une bonne chose.

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Commentaires 10
à écrit le 16/12/2015 à 18:32
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Depuis bien des années, les flux de marchandises intra-Europe s'orientent Sud <-> Nord (et non plus Est <-> Ouest, un des fondements du Lyon-Turin), des ports méditerranéens (Venise, Gènes, Fos) vers les usines et bases logistique du Nord et de celle...

à écrit le 19/11/2015 à 13:19
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Il est affirmé : "Il y aura une cascade de bénéfices, y compris la préservation de la qualité de notre air. C'est pour cela que les anti-Lyon-Turin devraient venir habiter à Chambéry pour s'en rendre compte. La décroissance a bon dos ! Ici, on ne voi...

à écrit le 19/11/2015 à 13:15
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Les affirmations: "Parmi les autres retombées, il y a aussi l'implantation à Chambéry de TELT, la société responsable du chantier Lyon-Turin, avec 300 emplois à la clé" La Sté TELT, anciennement LTF, a déjà implanté ses bureaux depuis quelques anné...

à écrit le 17/11/2015 à 17:33
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"Il y aura une cascade de bénéfices, y compris la préservation de la qualité de notre air. C'est pour cela que les anti-Lyon-Turin devraient venir habiter à Chambéry pour s'en rendre compte. La décroissance a bon dos ! Ici, on ne voit pas de décroiss...

à écrit le 17/11/2015 à 17:27
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On lit : "Parmi les autres retombées, il y a aussi l'implantation à Chambéry de TELT, la société responsable du chantier Lyon-Turin, avec 300 emplois à la clé" La Sté TELT, anciennement LTF, a déjà implanté ses bureaux depuis quelques années, avenu...

à écrit le 16/11/2015 à 15:07
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Selon Mr Dullin : "Parmi les autres retombées, il y a aussi l'implantation à Chambéry de TELT, la société responsable du chantier Lyon-Turin, avec 300 emplois à la clé" Selon Mr Dullin : "Les retombées économiques immédiates en Savoie, ce sont 3 00...

à écrit le 15/11/2015 à 21:43
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"Le Lyon-Turin a comme obligation d'urgence de reporter tout ce risque majeur de la présence de poids lourds vers le rail" A quel moment faut'il rire ... ou pleurer. Le tunnel de base c'est à minima 2029 pour X. Dullin. Ensuite, il restera encore 2...

à écrit le 15/11/2015 à 0:12
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Le 9 novembre dernier, le Conseil d'Etat a rejeté les requêtes qui demandaient l'annulation de la Déclaration d'Utilité Publique prise en 2013 pour les accès français de la liaison Lyon-Turin. Les juges ont souligné une confusion introduite dans l'e...

à écrit le 12/11/2015 à 20:30
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"rien n'empêchera d'y faire passer des trains de voyageurs," c'est une ligne fret 100% ? Vers St Jean de Maurienne, l'autre jour, ai vu un train passer, avec uniquement trois tracteurs (cabine) et plus loin les trois remorques, rien d'autre sur ce tr...

à écrit le 12/11/2015 à 14:48
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Il y a toujours une ambiguïté savamment entretenue, le tunnel de base serait à lui tout seul le Lyon-Turin. Le tunnel de base n'est qu'un tiers de ce projet (8,5 Mrds sur 26 Mrds), il restera le CFAL et les accès au tunnel. Comme pour le St-Gothard (...

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